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Pour répondre aux demandes légitimes des couples de gays et de lesbiennes, qu’il s’agisse de leur situation matérielle (pensions; successions) ou des relations entre les enfants et les adultes, notamment le deuxième adulte, le pouvoir socialiste a imaginé la loi ridiculement nommée « mariage pour tous ». Et malheureusement ce titre a tout du lapsus.
Alors que le nombre de couples non mariés, et celui des enfants nés hors mariage ne cessent de progresser, et bien qu’une tradition ancienne, à gauche et à l’extrême gauche, ait toujours défendu l’union libre, le gouvernement réaffirme la supériorité, symbolique et contractuelle, du mariage et ré-associe sexualité et mariage (on a même entendu parler de « mariage homosexuel » comme si la sexualité devait redevenir le fondement du mariage). Etendant le mariage, le gouvernement l’a renforcé. En réalité, rien n’imposait ce renforcement du mariage comme moyen juridique pour satisfaire les demandes des couples de gais ou de lesbiennes.
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Le projet de loi ne s’arrête pas à l’extension du mariage aux couples de personnes du même sexe: il réorganise, de manière tortueuse, le droit d’être parent (s).
Contrairement à ce que soutiennent les opposants de droite, le droit d’être parent(s) n’a rien de naturel; il est le produit de l’institution. Il était réservé, en droit romain, aux seuls citoyens, les esclaves en étant exclus. Le christianisme interdit de parentalité les religieux et religieuses; pour les couples de laïcs, il est subordonné au mariage religieux, et devient un devoir. Le XX ème siècle a connu d’autres formes d’exclusion ou de limitation du droit d’être parents: les discriminations raciales et eugénistes, les stérilisations forcées et l’obligation de l’enfant unique.
A l’inverse, les sociétés modernes ont étendu ce droit aux mariages civils puis aux formes d’union entre un homme et une femme autres que le mariage. Le droit d’être parent n’est plus une prérogative du couple. C’est un droit individuel universel.
Le « mariage pour tous » rompt avec cette tendance en attribuant au mariage une présomption supérieure du droit d’être parents. Il pose à la fois la supériorité du mariage sur les autres formes d’alliance des couples, et la supériorité du couple sur les personnes.
L’extension de l’adoption aux couples homosexuels en est un bon exemple. Dès lors que l’adoption par une personne homosexuelle est autorisée, le « mariage pour tous » considère comme logique d’autoriser aussi à adopter des couples de personnes homosexuelles, qui plus est mariés officiellement.
Mais ce raisonnement n’est qu’un sophisme. Dans son éthique, en effet, l’adoption part des besoins et des droits de l’enfant, pas de ceux des adultes. Elle traduit le souci du soin de la génération des enfants par la génération des parents. L’éthique et le droit de l’adoption ne s’appuient pas sur un quelconque « droit d’avoir des enfants ». Les parents adoptifs ont le droit universel d’être parents. Ils ne disposent pas, au nom de leur désir d’un enfant, d’un droit d’avoir des enfants. Au contraire, ils sont agréés, c’est-à dire reconnus aptes et autorisés à adopter.
Lorsqu’une personne homosexuelle est agréée, ce n’est ni à cause ni en dépit de son homosexualité, mais indépendamment d’elle. L’extension au couple marié de l’adoption individuelle change tout, à moins de suivre l’exemple hypocrite de la Suède où les services sociaux, sous prétexte d’un mode de vie inconvenant, refusent aux gays mariés, c’est-à-dire aux homosexuels réels, ce que les députés ont accordé en théorie aux homosexuels mariés.
La loi Taubira déplace le sens de l’autorisation d’adoption en créant une légitimité a priori du couple adoptif reposant sur l’approbation par l’état de son mariage et de sa sexualité. On voit mal comment elle pourrait ne pas aboutir à un nouveau droit d’être parents au profit des marié (e)s homosexuel (le)s en tant que tels. Elle crèe donc une inégalité à l’encontre des couples non mariés quelle que soit leur sexualité. Et elle modifie en profondeur le sens et l’éthique de la démarche d’adoption qui sera traduite comme un effet du « droit d’avoir des enfants ».
(3)
En effet, dans une société dominée par l’idéologie consumériste, le nouveau droit d’être parents du « mariage pour tous » ne pourra pas ne pas se transformer, en « droit d’avoir des enfants ».
Pour les couples homosexuels, l’adoption ne peut suffire à garantir l’exercice de ce droit; elle n’avait pas cette signification jusqu’à maintenant, elle n’en a pas la portée. Le « droit d’avoir des enfants » est étroitement attaché aux différentes méthodes de procréation artificielle. Certaines de ces méthodes sont assez simples, en particulier, pour une femme, le recours à un donneur sans relation sexuelle. L’engendrement artificiel deviendra donc nécessairement non seulement le moyen habituel du nouveau droit d’avoir des enfants, pour les parents qui ne peuvent ou ne veulent pas en avoir de manière naturelle, mais aussi sa principale justification pratique.
La logique fondamentale – et l’objectif réel- du « mariage pour tous » est bien l’institution des « enfants pour tous », la transformation du droit d’être parent en droit d’avoir des enfants: derrière l’extension du mariage, non seulement l’extension mais la transformation profonde de la filiation.
Ce nouveau droit d’avoir des enfants se confond avec l’organisation d’une offre de prestation d’engendrement, plus ou moins subtilement camouflée par ce qu’on appelle « l’assistance médicale ». Entre un système totalement administré par la puissance publique, et le marché des enfants sur catalogue, il n’y a qu’une différence de degré dans l’industrialisation et la commercialisation de l’enfance, c’est-à-dire dans la prolétarisation des parents. La solution humaine, connue de longue date, d’un accord bénévole et explicite entre un couple ou une personne seule et une autre personne, donneur ou porteuse, est clairement préférable. Mais elle ne peut pas, pour des raisons évidentes, satisfaire ce droit d’avoir des enfants: du côté des couples de femmes, certaines ne veulent pas entendre parler du donneur et souhaitent de sa part un anonymat maximal; du côté des hommes, il ne sera pas si facile de trouver des mères porteuses bénévoles. On peut donc être assuré que le marché apparaîtra comme le grand simplificateur de tous ces obstacles au désir d’enfant illimité, d’autant plus qu’il autorisera une dose bien comprise d’eugénisme.
En prétendant hypocritement reporter à plus tard la question de la « procréation médicale assistée », à laquelle il serait favorable, et de la « gestion pour autrui » qu’il écarte, le gouvernement a cru s’éviter des difficultés supplémentaires. Il apparaît pourtant évident que le recours au marché étranger des enfants suivi d’une régularisation par l’adoption va rendre l’application de la loi assez tordue.
On voit mal enfin comment le droit d’avoir des enfants pourrait être cantonné aux seuls limites de la loi « mariage pour tous ». Pour quelles raisons les autres formes de couple, de personnes de sexe différent ou du même sexe, union libre, concubinage, pacte, devraient elles en être exclues, alors qu’elles sont d’ores et déjà le cadre non seulement pour engendrer mais aussi pour éduquer des enfants? Et pourquoi se limiter aux couples, et ne pas reconnaître ce droit aux femmes et aux hommes seuls, sans parler des « trouples » (trios) qui semblent effaroucher si fort la ministre mais ont fait la couverture du magazine Têtu en 2012?
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On s’achemine d’autant plus logiquement vers l’option du droit consumériste d’avoir des enfants pour tous que la situation des enfants, le point de vue des enfants, le soin des enfants ont tout bonnement été oubliés dans la préparation de cette loi exclusivement centrée sur les envies des adultes et les moyens de les satisfaire.
Un exemple, central et édifiant, que chacun peut vérifier, de cet oubli des enfants est l’étude d’impact, préalable et annexée au projet de loi. C’est un document d’une constante médiocrité, mal informé, mal écrit, aussi faible sur le plan juridique que philosophique ou psychologique. Il comporte pourtant des renseignements significatifs sur le caractère bâclé de la préparation officielle de la loi.
Le texte a six parties: état des lieux; études (sic) des options; objectifs de la réforme; analyse des impacts; consultations; mise en oeuvre. Le point de vue des enfants n’est pris en compte nulle part: ni dans le 1-2 (nouvelles situations familiales), où les difficultés ne concernent que les adultes, ni dans les objectifs (ouverture du mariage et possibilité pour un couple de même sexe d’adopter). Les impacts sont détaillés ainsi: impacts juridiques, sur les juridictions, sur les autres administrations, diplomatiques, sur les finances publiques, sur le droit des femmes. Pas un mot sur l’impact psychologique, éducatif, sociologique sur les enfants! Visiblement les embarras bureaucratiques à venir ont plus intéressé les auteurs de cette étude que le souci des enfants.
Aucun plan divin, aucune nature, aucune anthropologie ne peuvent démontrer que les homosexuel (le)s seraient de moins bons, d’aussi bons ou de meilleurs parents que les hétérosexuels. La responsabilité du soin des enfants échoit aux adultes et ne peut trouver d’autres fondements ailleurs. La question des conséquences psychologiques pour l’enfant de l’appartenance à un régime de parenté exceptionnel ne peut être évitée.
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Les manifestants de droite, dans le plus pur style pétainiste, ont fièrement affiché leur intolérance, leur fanatisme équivoque de la norme, et leur angoisse que d’autres si différents puissent être plus heureux qu’eux.
La dégénérescence des Versaillais n’est plus à démontrer. C’est un fait historique. Une seule nouveauté mérite d’être signalée: l’emploi irresponsable des enfants comme témoins de l’indigence morale de leurs parents et chair à manifestation.
Les développements homophobes des « manifestations pour tous » n’ont rien d’accidentel. L’homophobie est là depuis le début, y compris dans les textes de l’Amie des gais, Frigide Barjot. Pour tenter de justifier l’incapacité des homosexuels à être parents, elle cite Philippe Arino, lui-même homosexuel: «La nature même de l’homosexualité, et ses causes profondes, suffisent de mon point de vue pour comprendre l’incompatibilité du mariage avec des personnes du même sexe: l’homosexuel est une personne souvent blessée, à la sexualité souvent immature, qui se transforme alors en une sexualité boulimique avec une infidèlité quasi-consubstantielle…». Ainsi la «nature» même de l’homosexualité serait d’être immature, boulimique, infidèle. On est bien loin de l’enfant qui se pose des questions sur ses origines et bien proche d’une justification pseudo rationnelle de la méfiance et du mépris envers les homosexuels.
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Le mariage pour tous est un échec politique pour le pouvoir socialiste. L’origine de ce projet et la raison de son échec tiennent dans le curieux attelage qui l’a propulsé, une alliance entre la tendance politiquement correcte du PS et les tenants de la politique queer.
Comme la majorité du PS, le courant politiquement correct pense que la base du PS n’est plus constituée par les travailleurs salariés mais par la classe moyenne. Au sein de cette classe moyenne, la fraction d’avant garde serait la « classe créative » qui se reconnaîtrait dans les goûts et les valeurs soit-disant portés par les communautés gaies et lesbiennes. C’est la lutte des classes réduite au plan de table. Cette tendance n’a aucune idée un peu précise sur la politique ni l’économie; et mieux vaudrait qu’elle s’abstienne d’en avoir sur la culture. Pour elle tout est moral et sociétal.
Avec le mariage pour tous, ce courant a cru pouvoir réitérer l’initiative du PACS en isolant la droite qui ne devait pas manquer une nouvelle fois de se signaler par son refus obstiné de toute modernité.
Pour arriver à ces fins, le parti socialiste a traité avec certains courants apparus plus récemment et qui se retrouvent autour de la politique queer. La politique queer c’est la politique du trouble dans le genre. L’identité est quelque chose de complexe et un des grands plaisirs de la vie serait de pratiquer consciemment ce trouble dans l’identité, entre sexe et genre, mais aussi dans le travail, l’interprétation des textes, les âges et les générations, les groupes sociaux. La particularité de la politique queer à la française, conforme au génie national, est son tropisme administratif qu’on a pu déjà vérifier sur la question du traitement de la sexualité dans les manuels scolaires. Judith Butler par exemple n’est pas favorable au « mariage homosexuel ». Mais ses émules français, libertaires et néanmoins bureaucrates, adorent voir et faire intervenir l’état dans la vie de chacun. On peut sur ce point se reporter à la prose inénarrable d’Eric Fassin, notamment sa fameuse «homosexualité en biais».
Ceux-ci et ceux-là étaient faits pour se rencontrer et s’entendre. On faillit en voir le plus beau résultat lorsque le ministère de la Justice examina quelque temps la proposition digne d’Alphonse Allais de reconnaître la présomption de paternité à la deuxième femme d’un couple de lesbiennes. « Ma belle mère est mon père » voilà une proposition logique dont le maniement aurait pu permettre aux bambins du mariage pour tous de se préparer à être les champions du linguistic turn et de la novlang. On se rappelle aussi avec plaisir du jeune député Erwan Binet rétablissant dans l’article 1 de la loi tous les pères et toutes les mères que Madame Taubira et la FLGBT avaient fait disparaître, pour des raisons de « technique d’écriture du texte ».
Les partisans PS et queer du texte avaient pourtant trouvé un argument implacable que les médias ont relayé plusieurs mois: il s’agissait seulement d’ouvrir à une minorité, qui en était privée, des droits dont disposait déjà la majorité, sans que rien ne bouge par ailleurs. On a pu voir à quel point l’opinion publique était railleuse et mal disposée.
