Notre vie ne se passe pas dans une sage éternité, toute peuplée de certitudes ordinaires. Tous les témoignages ne peuvent être découragés. L’atmosphère banale et déprimée de notre existence n’est plus celle d’un décor immuable. La situation, pour cette raison, devient franche. L’ancien décor qui semblait sortir irrésistiblement des écrans n’est pas encore complètement déroulé, et le nouveau que nous commençons à peine à esquisser, s’enroule à l’autre de manière surprenante.
Certains ne voient pas le mouvement, ou plutôt ce qu’ils se représentent comme le mouvement. Ils cherchent le mouvement et ne le voient pas. En d’autres temps déjà, ils ne le voyaient pas. Certains, parfois les mêmes – «autrefois les plus à craindre, aujourd’hui les plus à plaindre»- ne voient pas la théorie, le programme, la ligne, les revendications. Bien qu’ils le cachent, ils ne peuvent se défaire de leur mantra «sans théorie, pas de mouvement».
Mais aucune époque vivante n’est partie d’une théorie. Nous savons les bonnes adresses. Les obscurs connaissent l’art des commencements sans commencement, cette condition de fragment arraché qu’ils tiennent des anciens réprouvés.
Par exemple:
Et de tant d’indignités que les bêtes mêmes ou ne les sentiraient pas ou ne les supporteraient pas, vous pouvez vous en délivrer, si vous essayez, non pas de vous en délivrer, mais seulement de vouloir le faire. Soyez résolus à ne plus servir, et vous voilà libres.
Ou cet autre:
Nous sommes les ennemis irréconciliables de tout despotisme moral ou matériel, individuel ou collectif, c’est-à-dire des lois et des dictatures (y compris celles du prolétariat) et les amants les plus passionnés de la culture de soi-même.
Ce début de siècle ne laisse certainement pas prévoir la stabilité du même tableau. Le même décor ne se présentera plus longtemps sous la même absence de signes.
