L’EXPERIENCE D’OCCUPY WALL STREET D’APRES MC KENZIE WARK

afficheoccupy

Le débat sur le mouvement Occupy Wall Street a vu ressurgir les tropismes habituels du léninisme: la méfiance à l’égard du mouvement pratique (nous ramenant suggestivement à la position du PCF et de certaines pseudo avant-gardes maoistes et trotskystes en mai 68) ; l’incompréhension du rôle des occupations; la critique de l’absence ou de la faiblesse des revendications.

L’article de Thomas Frank paru dans le Monde Diplomatique de décembre 2012, « Occuper Wall Street, un mouvement tombé amoureux de lui même » est bien représentatif de cette tendance.

Dans un texte du 3 Octobre 2011 (1), Mc Kenzie Wark répondait aux léninistes:

« Certains observateurs ont interprété l’humilité de cette exigence comme une faiblesse de la part d’Occupy Wall Street. Ces derniers veulent une liste de revendications, et ils n’hésitent pas à en proposer. Mais peut-être que le meilleur aspect d’Occupy Wall Street est sa réticence à faire des demandes. Ce qui reste de la pseudo-politique aux États-Unis est remplie d’exigences. Réduire la dette, couper les impôts, abolir les régulations. Personne ne prend plus la peine ne serait-ce que de justifier tout cela. C’est quelque part admis que seul ce qui importe à la classe des rentiers compte

Ce n’est pas tellement que les rentiers achètent les politiciens aux États-Unis. Pourquoi s’ennuyer quand on peut louer leur service ? Dans ce contexte, l’élément le plus intéressant d’Occupy Wall Street est l’idée que ce qui manque n’est pas les exigences, mais le processus. Ce qui manque, c’est la politique elle-même. Cela peut paraître contre-intuitif, mais il n’y a vraiment pas de politique aux États-Unis. Il y a de l’exploitation, de l’oppression, des inégalités, de la violence et des rumeurs laissent entendre qu’il y aurait encore un État. Mais il n’y pas de politique. Il y a seulement un semblant de politique. Des professionnels qui louent leur influence pour favoriser leurs intérêts. L’État n’est même plus capable de négocier pour les intérêts communs à la classe dominante.

La “politique d’en-bas” est aussi simulée. Le Tea Party réalise vraiment une excellente campagne marketing. C’est un moyen de rendre attractive les exigences de la vieille classe des rentiers – au moins pour un temps. Comme la malbouffe, ça semble délicieux jusqu’à ce que commence l’indigestion. C’est le ”Contract on America, its Compassionate Conservatism”, mais avec de nouveaux ingrédients ! Le Tea Party a rencontré un certain succès. Mais on ne peut pas tromper tout le monde, tout le temps, et sans doute une nouvelle campagne marketing attend son heure, pour le moment où ça s’essoufflera.

Le génie de l’occupation est simplement de suggérer qu’il peut y avoir une forme de politique qui permet aux gens de se rencontrer, de proposer et de négocier. Cette idée renvoie à l’immense absence au centre de la vie des américains : une nation entière, un empire même, sans politique.

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Wall Street est le nom d’une abstraction qui a un double sens : une classe de rentiers qui utilise un pouvoir vectoriel pour contrôler les ressources et qui contourne dans le même temps le processus politique dont le rôle minimum serait de prendre en compte les intérêts du peuple. Contre cela, l’occupation propose une autre abstraction, et celle-ci a également un double aspect.

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L’abstraction, c’est que l’occupation est double : une occupation de l’espace, quelque part près de Wall Street, et une occupation d’un média social avec des slogans, des images, des vidéos et des histoires.  Keep On Forwarding! (Continuez à transférer!) ne serait pas un si mauvais slogan. Sans même parler de la nécessité de créer un vrai langage politique dans le champ des médias sociaux. Les entreprises qui les possèdent en retireront quand même une rente – il n’y a pas grand chose à faire à cela – mais au moins l’espace peut être occupé par autre chose que de mignons petits chats.

Alors que les intellectuels ont pris l’habitude de parler de La Politique, l’occupation a entrepris de créer une politique avec un petit P qui est abstraite et prosaïque en même temps. Ce n’est pas un hasard si tout a commencé avec ceux que l’on pourrait définir au sens large comme « anarchistes » . Ils ont travaillé sur la théorie et la pratique pour quelques temps. Le mouvement ouvrier organisé a commencé à y prêter attention quand il devenu évident que ni la police ni les intempéries ne dissuaderaient les anarchistes et ceux qui les suivaient. C’est un peu comme si les travailleurs organisés s’étaient réveillés un matin, avaient vu que l’occupation continuait et s’étaient dit : “Je dois les suivre parce que je suis le leader!”. C’est mieux de récupérer des membres déjà syndiqués dans les lieux de travail, ce qui semble d’ailleurs être la stratégie principale des syndicats.

A ce jour, ce qu’il se passe ici est ce que j’appellerais un étrange événement médiatique mondial. C’est un événement dans la mesure où personne ne peut prédire la suite. C’est un événement médiatique en ce que son destin est lié à l’occupation à la fois de la place Zucotti et des médias. C’est un événement médiatique mondial au moins depuis que la police de New-York a arrêté des gens sur le pont de Brooklyn conférant ainsi à l’occupation une immense publicité gratuit (merci les gars!). C’est un étrange événement médiatique mondial : des éléments sans précédent qui nous sortent de l’ennui du quotidien et de toutes ces choses qui sont généralement contrôlées et pacifiées.

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Par exemple, les observateurs s’enferment dans des débats, tentant de savoir s’il s’agit ou non d’un mouvement social. C’est une occupation. C’est dans le titre, au cas où vous l’auriez manqué: “Occupy Wall Street”. Ceux qui y ont prêté attention remarqueront qu’elle fait partie d’une vague mondiale plus large d’actions anarchistes qui ont inspiré les occupations, grandes et petites. Ma propre université, la New School for Social Research, a été occupée, bien que brièvement, en 2008. C’est une tactique qui a été essayée et affinée depuis quelques années.

Une occupation est conceptuellement l’opposition d’un mouvement. Un mouvement dont le but en est la cohérence, mais qui utilise l’espace comme un espace pour ses troupes. Une occupation ne conditionne pas son sens à ses limites spatiales, mais choisit des espaces significatifs ayant une résonance signifiante dans le terrain abstrait de la géographie symbolique.

Une des raisons pour lesquelles tout fonctionne est que cela ne reproduit pas ce que font les mouvements sociaux, au moins jusqu’à maintenant. C’est aussi loin de la Politique que certains intellectuels veulent bien le dire, mais également différent de la politique du Forum Social ces dernières années. Pour ceux qui veulent une théorie pour aller avec la pratique, il faut se tourner vers autre chose que Negri ou Badizek. Il n’y a pas de multitude, pas d’avant-garde. »

(1) Ce texte dont nous avons reproduit de larges extraits a été publié initialement par VersoBooks, et traduit en français par OWNI, le 7 octobre 2011

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