L’expédient est un moyen de se sortir d’embarras. Il se prend souvent en mauvaise part pour qualifier une mesure qui tire d’embarras provisoirement, mais laisse subsister, voire aggrave la difficulté. Au pluriel, les expédients sont des moyens onéreux et extrêmes qu’on emploie pour se procurer de l’argent. A ce titre, on peut écrire: le gouvernement socialiste est rendu aux expédients.
L’endettement et le fiscalisme sont de tels expédients. Le fiscalisme n’est pas seulement la propension excessive à augmenter les impôts; c’est aussi la croyance aux vertus de l’impôt pour lui même, à la cohérence de la synthèse capitaliste, bref une idéologie.
C’est ainsi qu’on a pu voir, dès 2012, le parti socialiste engagé dans une campagne aux allures mystiques pour réhabiliter l’impôt, comme s’il s’agissait de revenir à Caillaux.
Avant les élections, en avril 2012, un débat intitulé «l’impôt heureux, c’est possible» était organisé à l’Assemblée nationale à l’initiative de l’association «Trésor Académie». Glavany, Le Duigou, Ayrault, Delors, la CFDT ont rivalisé sur ce thème de la réhabilitation de l’impôt en général, ou de l’impôt sur le revenu.
Dans le Monde du 26 février 2013, un certain Olivier Bargain, professeur d’économie à Aix, s’appuyait sur les travaux menés par l’Institut zur Zukunft der Arbeit pour démontrer que supporter des taxes rend heureux. D’ailleurs d’inévitables neuroscientifiques ne prouvent-ils pas que les contributions obligatoires activent les mêmes parties du cerveau que les gratifications?
Dans une telle ambiance, il était fort tentant pour l’idéologie fiscaliste de s’esayer à une petite tentative orwellienne, et ce fût, à l’été 2013, la «pause fiscale», déjà bien oubliée. Dans la nov-lang telle que se l’approprient les gouvernements français, «pause fiscale» relevait clairement du vocabulaire B. Le vocabulaire B, comme Orwell l’a défini, comprend les mots destinés à imposer l’attitude mentale voulue à la personne qui les emploie. Pause fiscale aurait dû fabriquer une nouvelle attitude mentale des Français à l’égard de l’impôt, cette chose qui, dans la France de 2014, devrait diminuer quand elle
augmente.
Dans les faits, ce sont les abominables Bonnets Rouges qui se sont chargés de traduire l’attitude mentale réelle des Français à l’égard de l’impôt. La population trouve qu’elle paie trop d’impôts tout le temps, qu’ils ont trop augmenté récemment, alors que le niveau de vie baissait, et elle n’est même pas prête à considérer que l’impôt qui augmente réellement fait la pause.
On a essayé de décrire les Bonnets Rouges comme d’affreux réactionnaires, des chouans opposés au pouvoir central: plaisante falsification quand on nous serinait quelques mois auparavant que la Bretagne s’était entichée de Hollande. La droite et le MEDEF local ont évidemment profité de la situation, mais la gauche et la dite extrême gauche feraient bien de reconnaître cette réalité: la population n’en peut plus des impôts.
Or en 2014, la pause fiscale devrait s’incarner dans une très prosaïque hausse de la TVA. On sait que cet acronyme de TVA relève aussi de la nov-lang, mais dans une version plus réussie et plus ancienne, celle du vocabulaire technocratique de l’époque des Trente Glorieuses.
Cette pseudo taxe sur la valeur ajoutée est acquittée réellement à partir de la consommation. C’est une taxe sur la consommation, à l’encontre des consommateurs, une TC. Et en vérité, c’est une taxe sur la pauvreté et contre les pauvres, une TP. Personne n’y échappe, ni le clochard qui s’achète du vin rouge, ni le Rom qui va à la boulangerie, ni l’étudiant qui s’alimente industriellement. C’est l’impôt le plus injuste: il n’est pas progressif, mais seulement proportionnel à la quantité de consommation. Il est même régressif puisque les revenus élevés consomment moins et investissent plus proportionnellement.
Cet impôt injuste a accompagné la mise en place d’une fiscalité adaptée à l’économie de la société du spectacle. Dans son assiette, puisqu’il repose sur la consommation, et aussi dans son mode de recouvrement. La grande popularité de la TVA chez les politiques et les technocrates, peu informés des derniers développements des neuro sciences, tient au fait qu’elle serait indolore. Entendez que celui qui la paie réellement ne la déclare pas, et que, n’ayant pas à épargner pour la payer, il n’a pas le sentiment de se priver.
La TVA est l’impôt qui se fait oublier. Consommez, nous nous occupons de vous ruiner.
Que sont les républiques modernes sinon d’immenses brigandages?
La TVA n’est pas seulement le plus injuste des impôts, c’est aussi le moins conforme au principe du consentement démocratique à la contribution. C’est l’impôt malheureux par excellence, celui auquel on ne consent pas, ni qu’on déclare, et auquel on n’échappe pas; nul moyen qu’il active jamais les mêmes parties du cerveau qu’une gratification…
L’augmentation de la TVA est le type même d’une mesure d’austérité; elle entraîne une baisse tout à fait consistante du niveau de vie de la population, et surtout des pauvres.
Vous voulez réhabiliter l’impôt? Vous ne voyez pas que cette nouvelle augmentation, que vous venez de décréter, est bien plus qu’un nouveau malheur pour la population; c’est l’excès de trop, celui qui fait passer de la petite vie à la survie, de la survie à la misère, le «solde insuffisant» qui s’affiche de plus en plus tôt dans le mois au guichet de la banque, les courriers qu’on n’ose même plus ouvrir, l’avis de l’huissier sur la table, le salaire saisi.
Vous voulez réhabiliter l’impôt? Supprimez les 10% de pénalités, déclarez le moratoire sur les impôts en retard pour les particuliers, interdisez les saisies sur salaire, baissez la TVA, rétablissez le bénéfice réel pour les auto-entrepreneurs, diminuez l’impôt sur le revenu pour les travailleurs et les classes moyennes.
Vous prétendez, en 2014, réhabiliter l’impôt en le réformant? Vous saurez bien assez tôt ce qu’en pense la population lorsqu’elle découvrira vos augmentations.
Assez d’expédients, assez de brigandages.
Ce n’est pas l’impôt qu’il faut réhabiliter, mais la révolte contre l’impôt.
