
La version industrielle de la culture de soi est d’abord apparue comme une composante spirituelle majeure de l’ American way of life, balisée à ses débuts par la philosophie du développement personnel de Dale Carnegie et la scientologie de Ron Hubbard. Partout surgissent, à la fin du XXème siècle, des agences de l’esprit et de l’affection, créées pour répondre aux grands besoins métaphysiques et psychologiques du public contemporain et animées par les plus dévoués des mentors. Outre Carnegie et Hubbard, déjà cités, il faut mentionner Peale et sa pensée positive, Rogers, le doctrinaire du non – directif, ou le théologien Boisen, fondateur de «l’éducation clinique pastorale». La France n’est pas absente de ce tableau avec le pharmacien Coué, inventeur de la méthode qui porte son nom, ni la Suisse, avec le Docteur Tissot, qui, surtout connu pour ses vues originales sur la masturbation, est un des théoriciens les plus pénétrants de l’auto – médication. On remarque cependant, à l’ancienneté de ces références, que l’Europe, en ce domaine comme en tant d’autres, souffre d’un retard qu’on peut qualifier de structurel. Nous en voulons pour preuve la doctrine de psychologie positive adoptée en 1998 par l’Association américaine de psychologie sous l’impulsion de son nouveau président, Martin E.P Seligman:
« Nous avons découvert qu’il existe un ensemble de forces humaines qui constituent les meilleures défenses contre la maladie mentale : le courage, l’optimisme, les compétences relationnelles, l’éthique du travail, l’espoir, l’honnêteté et la persévérance. Pour prévenir les maladies mentales nous allons créer une science de ces forces humaines dont la mission sera de promouvoir ces vertus auprès de la jeunesse. »
De toutes parts, dans les conversations comme dans les magazines, on recherche un élargissement du cadre de vie, un nouvel entraînement à la clarté mentale, ou la meilleure façon d’obtenir des produits frais. Les domaines d’activité les plus divers sont concernés: la théologie et le fitness, l’escroquerie et la sexualité, le numérique et l’évaluation des salariés. Elever l’esprit en favorisant la digestion, tel est le grand projet de cette nouvelle civilisation. Elle a déjà ses martyrs. Le sympathique Kevin Trudeau a été condamné à dix ans de prison à cause de ses émissions prônant l’alimentation naturelle. On accable aussi de mille reproches le coach de la financial literacy, Robert Kiyosaki, pour avoir révélé que le salariat n’était pas la bonne voie de l’enrichissement. Madame Pichart, auteur d’un des articles fondateurs sur la question («En êtes-vous vraiment capables?») et inventeur du concept de «culturisme de soi», est littéralement victime d’un complot du silence. Et que dire de la rumeur jalouse qui accompagne la personne de Natasha Vita-More, véritable icône du transhumanisme et synthèse vivante du body-building et du futurisme technologique? Mais ni les moqueries ni les persécutions n’ont pu retenir le culturisme de soi de s’imposer comme une des pièces essentielles du nouveau décor spirituel, jusque dans les fractions les plus avancées de la société du spectacle.
On sait que les salariés de Google, honteusement caillassés dans leur bus par les anarchistes d’Oakland, trouvent un réconfort dans des séances gratuites de méditation pleine conscience. En effet les thérapies populaires constituent un des chapitres les plus intéressants du culturisme de soi.
C’est ainsi que, d’après Marie Salomé Peyronnel, qui signe, dans Glamour, un article scientifique sur la pop-thérapie, les séries télé et les comédies romantiques, non contentes de représenter «un support d’analyse pour décrypter le monde moderne», possèdent de véritables «vertus thérapeutives». Pour appuyer cette hypothèse, l’article cite Sandra Laugier, Stanley Cavell et Jacques Attali, et surtout le livre de Philippe Durant, Filmothérapie. Durant n’hésite pas à affirmer, à propos de Love Actually, «c’est un hymne à l’amour qui invite le spectateur à comprendre que ce sentiment est omniprésent et protéiforme, si on veut bien ouvrir les yeux». Comme Pierre Langlais, spécialiste des séries télé, le souligne, à propos de Girls, «voir des corps et des scènes de sexe plus réalistes à l’écran est évidemment très décomplexant, autant pour les femmes que pour les hommes». Selon le philosophe Olivier Pourriol, la pop culture offrirait ainsi des «clefs de lecture et des remèdes sérieux», et serait proche du «concept platonicien de «pharmakon», soit médicament soit poison, selon la dose qu’on ingère».
La frustration générale n’est pas vaine puisqu’elle engendre tant d’exemples et de si beaux engagements. Le monde moderne trouve enfin sa consolation: ce n’était qu’une question de dose.
Philippe Durant, Fimothérapie, 52 films qui font du bien, éditions Favre
Marie Salomé Peyronnel, Prête pour une POPthérapie?, Glamour n°125, août 2014
Madame Pichart, En êtes vous vraiment capables?, Le Discret
Samuel Tissot, Avis au peuple sur sa santé, Quai Voltaire, 1993.
Une réflexion sur “Thérapies Populaires”