Tant va le langage à la dérision

Tant va le langage à la dérision qu’à la fin il s’y noie. Nous avons appris à nous méfier des mots, moins parce qu’ils trompent aisément qu’en raison du monde auquel ils appartiennent et qui ne nous concerne pas vraiment.Sous le ton pathétique des discours qui perturbent la destinée de millions d’hommes, nous avons fini par déceler la grimace de la vie refoulée. L’homme de pouvoir, l’angoissé du prestige, le bailleur de conseils et d’autorité, est à tel point engoncé dans sa carapace que ses invocations au bonheur et à l’émancipation s’éraillent en grinçant sur les raideurs de son corps et de son comportement. Quoiqu’il tente de proclamer, tout prend couleur de marchandise, à l’égal de ce qu’il est.

La malversation du langage qui tourne autour de notre vie nous a rendus plus sensibles.Attentifs à la marée des plaisirs et des déplaisirs, nous percevons l’importun bourdonnement de la pensée séparée comme une inutile tracasserie à écarter.

Les mots n’ont d’importance qu’en la vie qui les fait oublier.

Ils n’ont d’ agrément qu’à l’instant de céder à l’éloquent silence des gestes amoureux.

Raoul Vaneigem

Le mouvement du Libre – Esprit, 28

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