Crédit social: la police des populations en Chine communiste

photo de Li Zhensheng révolution culturelle

Listes noires de personnes malhonnêtes (shi xin, littéralement « qui ne sont plus dignes de confiance »)…3 594 000 entités (individus ou entreprises)…Un million d’entre elles a l’interdiction de participer à des appels d’offres…17, 46 millions de personnes interdites de réservation des billets d’avion…

Tels sont quelques éléments du bilan du système de « crédit social » chinois pour l’année 2018, révélés par Séverine Arsène au début de son excellent article « Le système de crédit social ou la gestion technocratique de l’ordre public ».

Le système du crédit social se veut une application du principe yi fa zhi guo « gouvernement par la loi ». Cette formule, en anglais « rule by law », est parfois curieusement traduite en français par « état de droit ». Mais le gouvernement par la loi est très exactement le contraire de l’état de droit : il ne désigne pas une limitation par le droit de l’activité du gouvernement, de l’administration, et encore moins du parti communiste, mais, au contraire, l’imposition forcée de la loi pour imposer l’autorité du parti-état.

Séverine Arsène rappelle l’organisation de l’enregistrement à la base de la police des populations avant Xi : le tristement célèbre hukou, registre des familles qui les assignaient à un statut agricole ou urbain, correspondant à deux personnalités juridiques différentes, pour les droits et les devoirs ; les comités de résidents à la campagne ; et l’unité de travail qui détient le dossier secret du salarié et organise sa vie quotidienne à la ville. Ce type primitif d’encadrement totalitaire des populations a été mis à mal par le développement du marché, de la corruption et des scandales de toutes sortes, suite aux réformes de Deng.

Le crédit social, c’est le passage du secret et du discrétionnaire à l’exposition de la réputation et au chantage à la stigmatisation. C’est aussi une sorte de contrôle direct qui saute l’échelon intermédiaire du comité de résident ou de l’usine. C’est enfin un système qui s’adresse à l’individu, à son auto-discipline par un mécanisme pseudo automatique de punitions et de gratifications qui se surajoutent aux peines « normales » : l’individu, déjà puni pour telle ou telle faute, l’est une deuxième fois pour ce qu’il est, son comportement d’ensemble. C’est finalement une sorte d’audit permanent de toute la population, un tableau de bord de la soumission individuelle, de l’intériorisation des règles communistes et de la participation active de chacun au fonctionnement de l’autorité. Séverine Arsène mentionne le « caractère coercitif et explicitement disproportionné des sanctions attachées aux listes noires ». On retrouve ici la tradition totalitaire du parti communiste chinois, s’efforçant d’impliquer la majorité de la population dans un processus de désignation, de stigmatisation et d’humiliation publique des présumés mauvais éléments.

Contrairement à une présentation superficielle, mais bien orchestrée, le crédit social s’appuie sur une technologie plutôt fruste, qui n’utilise que très peu les Big Data ou l’intelligence artificielle. A partir des nombreuses données collectées par l’administration sur les personnes, des notes de « crédit » – tout le système repose sur l’analogie entre la dette financière et la dette que tout individu contracterait à l’égard de la société- sont calculées en s’appuyant sur des barêmes. Le parti-état essaie d’associer les sociétés privées à la gestion et visualisation des données, c’est-à-dire qu’il tente de leur déléguer la fonction d’exposition et de stigmatisation. Séverine Arsène donne l’exemple d’une application mobile à Shanghai qui permet à l’utilisateur de connaître son score et de repérer les restaurants mal notés pour leur hygiène.

Nous conseillons vivement la lecture de ce texte. Plus généralement, l’ouvrage « Penser en Chine » sous la direction d’Anne Cheng est remarquable. Nous y reviendrons. Sa lecture s’impose à tous ceux qui veulent comprendre un peu mieux la situation et la stratégie du totalitarisme chinois.

Groupe de lecture des Obscurs

« Penser en Chine », sous la direction d’Anne Cheng, Gallimard, Folio, 2021.
« Le système de crédit social ou la gestion technocratique de l’ordre public », p 332- 358, Séverine Arsène.

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