Pourquoi agir en soutien au peuple ukrainien?

Il fait peu de doutes que les Français dans leur grande majorité condamnent l’invasion de l’Ukraine par les troupes de Poutine. Il est probable que la majorité apporte son soutien au gouvernement et au peuple ukrainiens.

En sens inverse, on vérifie facilement que peu, parmi nos concitoyens, ont un début de réponse à la question : pourquoi agir en soutien au peuple ukrainien ?

Nous n’avons pas en vue ici le pourquoi de la position, qui nous semble évidente et largement disponible, mais le pourquoi de l’engagement, de l’action. A quoi bon ? Quel effet peut avoir mon action, personnelle ou collective, nécessairement limitée et située, sur un conflit de cette envergure ?

Pour certains – et peu importe ici qu’ils soient multi diplômés ou qu’ils jouent au tiercé – la passivité est devenue une seconde nature ; ils se sont eux-mêmes retranchés de l’action politique (et cela même lorsqu’ils ont des opinions très extrêmes ou très sophistiquées) et repliés sur leur vie privée ; ce sont des consommateurs de la politique. Nous ne pouvons pas grand-chose pour eux.

Nous nous adressons aux autres qui se demandent : que faire ? comment ne pas être manipulé ? comment compenser cet éloignement du théâtre des opérations ? quelle position adopter face à un risque aussi majeur que celui de la guerre nucléaire ?

Voici quelques éléments de réponse. Ces réponses sont les nôtres ; nous les mettons en circulation ; nous les soumettons au débat. Elles sont – nous-semble-t-il – le bagage certes incomplet mais suffisant pour entrer dans l’action.

Ce que vous pouvez faire, et sans attendre, et même sans autres moyens que ceux dont vous disposez déjà, c’est participer à la bataille pour l’opinion publique. Du cours que prendra cette bataille, en France et dans le monde, dériveront des déplacements de force susceptibles de modifier les rapports stratégiques sur le terrain.

1/ Face au point de vue anti – poutinien, général mais assez vague, il existe un fort courant pro – Poutine. Ce courant va des agents d’influence et propagandistes stipendiés de l’état russe jusqu’aux réalistes et pragmatiques de la politique étrangère. Il est présent dans la plupart des partis politiques, dans les médias, traditionnels et numériques, dans l’appareil de la bureaucratie diplomatique. Il se voit à l’extrême-droite, en pleine lumière, mais aussi à l’extrême-gauche, et dans une sorte de gaullisme dévoyé qui n’a gardé de De Gaulle qu’un plat réalisme et oublié le courage. Un mot sur le pacifisme qui est un courant estimable lorsqu’il s’exprime sous la forme de la non-violence de Tolstoï ou Gandhi. C’est à une telle non-violence, associée à la désobéissance civique que recourent les opposants à la guerre en Russie ou au Belarus. Mais les pacifistes français, où sont-ils ? quels risques prennent-ils ?

Le courant pro-Poutine est divers ; mais, en même temps, il constitue une minorité active, voire très active. L’invasion de l’Ukraine a été un fiasco intellectuel pour ce courant, contraignant plusieurs candidats à la présidentielle à des condamnations purement verbales de l’invasion, tout en se présentant comme le parti de la paix. Qui voudrait s’opposer à la paix ? Mais qui a le droit de décider, à la place des Ukrainiens s’ils veulent se battre ou non ? Madame Royal ? Et s’ils décident de se battre, peut-on les soutenir sans soutenir leur combat ? Et disqualifier ce combat, est-ce autre chose que leur tirer dans le dos ?

En face d’une telle minorité active, la réponse indifférenciée et vague de la majorité, même s’il y a une forme d’accord entre le pouvoir et l’opinion publique, est insuffisante. En face de la minorité active, il faut une autre minorité active, plusieurs autres minorités actives, plusieurs autres courants qui, sur le fond de leur position propre, avec leurs analyses et leurs styles spécifiques, sauront mener la bataille des idées.

Chacun peut le faire et des succès sont à notre portée. L’exemple de Fillon, l’agent rouble, obligé de démissionner de ses postes à  Sibur et Zarubezhneft est intéressant. La campagne de dénonciation de Fillon qui a associé des membres de la droite LR, des activistes des réseaux numériques, et des journalistes de gauche, a d’abord été un mouvement d’opinion. Certes, les menaces des autorités anglaises ont aussi beaucoup compté. Mais le gouvernement Johnson, mis en cause, y compris par un autre leader conservateur, était lui-même sous la pression de l’opinion publique britannique pour sa faiblesse à l’égard des oligarques financiers russes installés à Londres. La démission de Fillon n’est pas seulement un geste symbolique ou éthique (!). Elle affaiblit Shroeder, elle accentue la pression sur les oligarques du premier cercle de Poutine.

2/ La bataille des idées a un autre objectif qui est de faire pression sur les gouvernements, pour que le soutien affiché aux Ukrainiens soit consistant sur le plan quantitatif et qualitatif – le point clé étant la livraison d’armes – mais aussi effectif, c’est-à-dire concrètement que les livraisons arrivent à temps.

On est là dans un domaine où, normalement, la délégation de pouvoir des citoyens au gouvernement est total : ce sont les fameuses fonctions régaliennes. Et, en France, l’état ne manque pas de tirer sur cette corde en recourant largement à l’argument de la nécessité du secret. Il n’est pas rare que les états aient moins de secrets pour leurs ennemis que pour leurs peuples. Le peu regrettable Claude Cheysson est resté dans les mémoires pour avoir déclaré urbi et orbi à propos de la Pologne insurgée : « Bien sûr nous n’interviendrons pas ». Et on sait que de semblables comportements n’ont pas manqué dans le conflit actuel.

Un grand classique est donc l’état qui adopte une vertueuse position officielle d’hostilité, tout en faisant savoir à son ennemi supposé qu’il n’en fera rien. Ainsi tout le monde est satisfait : l’ennemi épargné, le public dupé qui pense que l’état fait front, les défaitistes de l’appareil d’état qui arrivent à leurs fins sans être repérés, le pouvoir qui s’évite tout risque.

Les transformations techniques dans la communication, les exigences démocratiques des citoyens ont rendu ces manœuvres plus difficiles. Par exemple, on sait un peu – tout le monde peut savoir jusqu’à un certain point – quel type de matériel a été promis et s’il a été livré. Les remerciements du président ukrainien, remarquable travail de communication, ont été assez explicites.

C’est ainsi que le gouvernement allemand a dû faire évoluer ses positions, s’étant retrouvé confronté aux manifestations de soutien à l’Ukraine les plus puissantes en Europe.

En France, certaines positions gouvernementales ont pu sembler bien équivoques : toute la phase initiale, visiblement marquée par une sous-estimation du risque réel ; la déclaration de la ministre de la défense nationale sur Fillon (une simple « question d’éthique ») ; la position sur Swift, peu claire pendant deux jours ; la question de Total.

Evidemment ce sont le rapport de forces et la ligne politique générale qui orientent l’action de l’état, mais, comme le montre l’exemple allemand, l’opinion publique, la bataille des idées et des informations, des images et des affects, sont justement un élément clé de ce rapport de forces.

3/ La lutte pour l’opinion publique a encore une place déterminante dans une troisième relation que résume le mot clé #StandWithUkraine. C’est la question de la solidarité internationale.

Il est certainement frappant de constater que la Russie a perdu la bataille de la communication dès le premier jour de l’invasion. Non seulement les messages insensés de Poutine sont tombés à plat, mais les médias russes en Europe ont été discrédités, au point que leur interdiction est une question d’heure. Ce point a rapidement été compris par quelques journalistes français qui ont mesuré ce que pourrait leur coûter leur pseudo « anti-conformisme ».

Mais, plus frappant encore est le fait que le gouvernement et la résistance ukrainienne ont positivement remporté cette bataille. Le président Zelensky est considéré comme un modèle de courage et de sagacité. Le peuple ukrainien démontre une combattivité démocratique et une unité remarquables. La tactique d’utilisation des médias est un modèle.

Non seulement l’opinion publique européenne s’est placée sur les positions de la résistance ukrainienne, mais elle lui manifeste sa sympathie. Le retournement de situation est total par rapport au premier jour d’invasion, quand le président ukrainien ne pouvait rien faire d’autre que constater l’isolement, et l’abandon de l’Ukraine par les gouvernements.

Cette solidarité et cette sympathie se déploient dans plusieurs directions. En premier lieu, le point de vue ukrainien est connu, repris, apprécié par l’opinion publique européenne. Les mobilisations ne se limitent pas aux pays européens libres ; même la Russie et le Belarus ont vu des manifestations témoignant d’un courage extraordinaire. Evidemment la connaissance par le peuple ukrainien de cette solidarité et de cette sympathie renforce son moral.

D’ores et déjà, les succès de l’Ukraine dans cette bataille de la communication ont des effets concrets, comme l’accueil des réfugiés. Mais ils auront un rôle encore plus important si le conflit est amené à durer.

Pourquoi agir en soutien au peuple ukrainien ?

Parce que la bataille pour l’opinion publique est efficace. Vous savez en quoi elle consiste ; vous savez comment faire.

N’attendez plus.

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