maintenant : démocratie directe

Ed Van der Elsken

Un article des Obscurs

Les élections les plus minables de la Vème république viennent donc de s’achever. Elles ont produit tous leurs effets les plus immédiats et ils sont à la hauteur : la France peut s’enorgueillir d’avoir un trotskyste comme président de la commission des finances de l’assemblée nationale.

La première leçon est massive : c’est l’augmentation et l’installation durable de l’abstention, désaveu majeur de l’oligarchie qui a confisqué la vie politique nationale. Il y a maintenant une durée et même une histoire de l’abstention contemporaine qui interdit de la réduire à un phénomène « sociologique », comme le célèbre et méprisant modèle du « pécheur à la ligne ». On a moins remarqué que, si les électeurs s’étaient de plus en plus abstenus, les politiques eux-mêmes s’étaient comme absentés de la campagne, Macron et Le Pen en particulier. Et cette absence des politiques n’est rien d’autre qu’un refus de se plier aux règles de concurrence et de délibération de la démocratie, aussi formelles qu’elles soient.

Cette crise des élections se double d’une crise de la représentation ; la crise quantitative est aussi une crise qualitative. Rappelons que la représentation politique ne repose pas sur une représentation sociale qui supposerait le pouvoir pour l’état d’assigner les citoyens à telle ou telle identité, et donc l’existence d’un tel système global d’identification. Castoriadis a montré comment le modèle athénien reposait sur le principe inverse. La démocratie représentative est supposée s’appuyer sur l’individu, capable de se dégager des déterminations identitaires, pour exprimer sa volonté politique. Mais la volonté politique ne pouvant se séparer de l’action politique, et l’acteur individuel des acteurs collectifs, ce que représente la démocratie parlementaire ne peut être rien d’autre que la véritable vie politique, c’est-à-dire la démocratie directe. Or si la minorité des électeurs a réussi à imposer aux macroniens, dans un système conçu pour imposer une majorité dans tous les cas, une dose de proportionnalité plus équitable, qui a joué en faveur du RN et de la NUPES, la véritable représentativité politique, la représentativité de la vie politique des citoyens, individuellement et collectivement, n’a pas progressé d’un iota.

La NUPES apparaît comme la dernière nouveauté, l’article à la mode du spectacle parlementaire. On note que son leader reconnaît que les législatives n’ont pas été un succès pour lui, ce qui est bien observé. Les partis regroupés sous cette étiquette ne font pas plus de voix qu’en 2017. Mais surtout ils sont très loin de retrouver la puissance électorale de l’union de la gauche du programme commun, ou même de la gauche plurielle de Jospin. Cette faiblesse électorale n’est pas passagère. Elle est le prix fort à payer pour des partis qui ont déserté le combat contre le RN, abandonné les classes populaires et tenté, notamment pour LFI, de jouer la carte communautariste. Les électeurs de la NUPES apparaissent comme un conglomérat : mélenchonistes, survivants des autres partis, nostalgiques de l’union de la gauche, partisans d’un rééquilibrage face à l’arrogance butée et à la médiocrité des macroniens. On verra rapidement si l’organisation NUPES est plus qu’une mutuelle d’élus et de carriéristes.

Le succès du RN est lui bien réel. Il n’est pas électoral mais symbolique et organisationnel. Ce n’est pas le nombre de voix du RN qui est remarquable, c’est le fait que de nombreux électeurs opposés au RN n’aient pas voulu voter pour le candidat, macronien ou mélenchonien, qui prétendait s’opposer à l’extrême droite. C’est tout simplement que ces électeurs savaient, pour l’avoir constaté, que cette opposition était une fiction.

Un mot doit être dit sur la tactique du front républicain qui aurait disparu. Cette tactique a toujours visé à empêcher le FN puis le RN d’accéder au pouvoir central, voire à un pouvoir local important (région, grande ville). Elle ne peut signifier une rente électorale pour tout parti, se retrouvant opposé au RN, après que sa politique n’ait cessé de gonfler les rangs de l’extrême-droite, comme c’est le cas pour les macroniens.

Ceci dit, l’entrée au parlement de 89 députés est un succès symbolique pour le RN. C’est surtout un véritable succès organisationnel qui va permettre de nourrir aux frais du contribuable français des centaines de petits amis affamés de l’extrême-droite nationaliste et populiste.

Il est peu probable que le triangle REM/RN/NUPES puisse se maintenir tranquillement jusqu’en 2027. A la crise des élections et de la représentation s’ajoute une crise profonde des partis : culte du chef ; autoritarisme et hyper-centralisation ; improvisation doctrinale ; absence de vie politique interne ; sectarisme outrancier. La REM, LFI et le RN sont des marques personnelles, des entreprises personnelles, et dirigées comme telles. La vie devient difficile pour les partis politiques. Demain ce sera pire.

Cette triple crise ouvre une situation complètement nouvelle pour la démocratie directe, entendue non pas au sens restreint de modèle constitutionnel, mais comme la volonté, l’expression et l’action politique, singulières et autonomes, sans attendre et sans médiation, des individus et des collectifs. Car la crise de la démocratie indirecte n’est rien d’autre que la crise du schéma étatiste, où toute la politique est supposée passer par l’état, alors même que cet état s’incline totalement devant l’économie. Le refus de l’autoritarisme étatiste est inséparable de la critique de l’impuissance des hommes du système politique.

La démocratie directe est première, dans le temps, la logique et la légitimité, par rapport à la démocratie représentative.

Cette démocratie représentative ne représente pas la société civile. Elle ne représente le peuple et les citoyens qu’à la manière dont un avocat représente son client, et non, comme aujourd’hui à la manière dont un parent représente un mineur.

Pour être véritablement représentative, la démocratie indirecte doit d’abord reconnaitre sa secondarité, ce qui suppose que la démocratie directe prenne conscience d’elle-même.

La démocratie représentative représente la démocratie directe et ne peut rien représenter d’autre, pour autant que cette démocratie directe soit consciente d’elle-même. Autrement dit, la représentation de la démocratie indirecte est seconde par rapport à l’auto-représentation de la démocratie directe.

Nous faisons l’hypothèse que cette question va devenir centrale en France dans les années à venir. Nous pensons que la crise des élections, de la représentation et des partis va s’approfondir et que le système politique échouera dans ses réformes internes institutionnelles.

Symétriquement, nous pensons que la démocratie directe, dont nous voyons l’énergie et l’envergure, pourra se renforcer et s’étendre. Elle n’a aucun besoin d’une théorie extérieure comme dans le sinistre schéma léniniste. Mais elle a besoin, aujourd’hui, de s’expliciter à soi-même, de prendre conscience d’elle-même, par elle-même.

C’est à cette tâche que nous voulons contribuer. Nous ne sommes pas des militants ; nous combattons le militantisme. Nous ne voulons pas préparer la création d’un parti de la démocratie directe, ce qui serait purement illusoire et illogique. Nous ne visons pas à préparer un nouveau système étatique qui relèverait de la démocratie directe. Nous voulons, dès aujourd’hui, sans attendre, mettre à profit la situation pour propager la « liberté par le bas ». Nous voulons nous appuyer sur notre expérience et notre implication pour expliciter avec d’autres ce qu’est la démocratie directe, c’est-à-dire la véritable démocratie. Le cours des événements nous indiquera s’il est possible d’associer les deux démocraties et comment.

Références

« Sur la crise des partis politiques » par le Groupe de lecture Simone Weil

« Note sur la suppression générale des partis politiques » par Simone Weil

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