
A en croire les commentateurs, l’événement à retenir de la manifestation en faveur de la révolution féministe en Iran, qui s’est déroulée à Paris le 2 octobre, serait l’accueil mortifiant (huées et sifflets) qui fut réservé à Sandrine Rousseau (EELV) et Manon Aubry (LFI). Certes cette affaire n’est pas un pur détail – et nous allons la reprendre – mais il y a plus à dire, et plus important sur cette manifestation.
- D’abord, elle fut un succès. Et ce succès est méritoire si on songe à quel point les partis de gauche et d’extrême-gauche ont réussi à effacer les anciens réflexes de solidarité internationale, si caractéristiques de ce qu’ils prétendent être leur tradition. Le souvenir des mouvements contre la mondialisation, pour le soutien au Vietnam, au Portugal ou à la Pologne semble s’être totalement évanoui, au profit d’initiatives bouffonnes comme l’adhésion à l’Association bolivarienne proposée par LFI ou des positions équivoques à l’égard de la Russie ou de la Chine de JL Mélenchon. Il semble cependant qu’un certain renouveau de cette solidarité internationale trouve à s’exprimer à l’occasion de la guerre d’agression de la Russie contre l’Ukraine, et du mouvement en Iran.
- Ce qui mérite d’être relevé, c’est la mobilisation impressionnante des Iraniennes et Iraniens de Paris. Cette mobilisation a permis que la manifestation se déroule sur la base des mots d’ordre des Iraniennes « Femme Vie Liberté », « Non au régime islamique en Iran », « Dehors le dictateur » et qu’elle rende hommage à la revendication initiale – la fin du hijab obligatoire – et à ses héroïnes, à commencer par Mahsa Jina Amini. Pratiquement, il faut souligner aussi que le pilotage de la manifestation était assuré par des femmes iraniennes en continuité avec ce qui forme la spécificité historique de ce mouvement : une révolution féministe, d’abord féministe, où les forces, et aussi bien la direction se constituent en premier lieu au sein du mouvement des femmes.
- Du côté des Français, la mobilisation, certes encore insuffisante, n’était pas ridicule. Elle se caractérisait par un point essentiel : la faible présence des partis, et donc corrélativement l’implication des sans-parti venus seuls, ou en petits groupes. Nous avons suffisamment insisté sur ce rôle des sans-parti depuis #JeSuisCharlie pour ne pas y revenir. L’implication des sans-parti avait été compliquée par une préparation délirante, nouvel exemple de crise des partis et du militantisme : il y eut une manifestation vendredi, une autre samedi et il devait y en avoir deux dimanche. Les Iraniennes et Iraniens se tenaient informés mais les Français qui avaient trouvé l’information avaient bien du mérite. C’eut été trop demander aux partis parlementaires qu’ils utilisent les moyens numériques pour alerter le petit peuple . Europe Ecologie Les Verts : un communiqué de soutien à l’Iran du 30/09/ des deux porte-paroles, pas d’appel à la manifestation sur le site. La France Insoumise avait manifesté le samedi précédent sur la base d’un curieux communiqué de soutien à la « Révolution citoyenne de la jeunesse en Iran ». A bien lire la présentation de cette révolution inédite, on y apprend que « de nombreuses femmes sortent sans foulard » et que « certaines les ont brûlés en public ». Cependant l’idée d’un mouvement féministe, et, encore moins, d’une révolution féministe, n’est pas même évoquée ni suggérée par ces élus pourtant garantis féministes pur-sucre. Parti socialiste : rien sur le site, mais un appel d’Olivier Faure samedi sur Twitter appelant à la solidarité contre « le régime autocratique des mollahs » (!). Laurence Rossignol, qui a fait une belle intervention à la République, en soutien à la révolution féministe en Iran, avait tweeté plusieurs fois pour appeler à la manifestation.
- Les Obscurs avaient appelé à cette manifestation et y ont participé. Nous avions comme base politique notre tract du 22 août : https://lesobscurs.wordpress.com/2022/09/22/tract-de-soutien-aux-femmes-iraniennes/ Ce tract s’appuyait, pour l’essentiel, sur les analyses développées par Maryam Namazie, notamment, ici : https://maryamnamazie.com/iran-this-is-a-womans-revolution-in-the-making/ Le point central est le caractère spécifique du mouvement iranien comme révolution de la femme, révolution d’ensemble, révolution démocratique contre le totalitarisme islamiste, mais révolution envisagée dans l’optique des femmes, portée, du point de vue des forces, surtout par les femmes, et dirigée, du point de vue de l’orientation, essentiellement par des femmes. Une révolution de la femme, de la vie, de la liberté. Une révolution des femmes. Une révolution féministe. Nous disions aussi ceci : « Nous ne devons plus hésiter à dénoncer les pseudo-féministes des partis politiques lorsqu’elles sont compromises avec l’islamisme et se refusent à cette solidarité. Nous ne devons plus hésiter chaque fois que cela est nécessaire ou pertinent à défier la misogynie islamique, dont le voile est un pilier, entretenu en France, en particulier par les Frères Musulmans. Nous ne devons plus hésiter à démasquer les partis de gauche et d’extrême-gauche qui se refusent à combattre les totalitarismes, et notamment le totalitarisme islamiste. » Nous ne pensions pas que la réalité nous dépasserait aussi vite.
- Il se trouve que nous étions près de la tribune, lors du rassemblement de départ, place de la République. Nous ne pouvons donc faire autrement que confirmer ce qu’ont vu ou entendu tous les témoins honnêtes, d’ailleurs confirmés par les vidéos : Aubry et Rousseau huées, Rossignol applaudie. Elles n’ont pas été huées pour leurs interventions, d’ailleurs équivoques, mais pour leurs positions connues et parfaitement identifiables sur la politique du voile et sur l’islamisme en France. Il est plutôt surprenant, mais cela confirme la position hors-sol de ces leaders de partis, qu’elles n’avaient visiblement pas anticipé une telle réaction. Il faut parfois sortir de sa bulle…Elles n’ont pas été huées « parce qu’elles étaient des femmes », ce qui pourrait vouloir dire : par des hommes, mais bel et bien, comme nous l’avons constaté, par des femmes iraniennes.
- Maintenant il faut choisir son camp: soit être clairement avec les Iraniennes et avec les Ukrainiens, soit faire la danse du ventre devant les différents totalitarismes. Les positions équivoques qui pouvaient être maintenues dans le cadre d’une politique nationale se révèlent intenables avec un nouveau contexte mondial marqué par la guerre Russie-Ukraine et la révolution féministe anti-islamiste en Iran. 2022 et 2023 pourraient être les années de grande clarification.