sans attendre

Par Les Obscurs

Les Obscurs projettent l’écriture collective d’un manifeste.

On trouve ici une version du premier article intitulé « sans attendre ».

Ce fragment, comme les suivants, est soumis à la critique de nos amis et lecteurs.

sans attendre

On ne va pas attendre.

On ne va pas attendre cent ans.

On ne va pas attendre cent ans pour vivre.

On ne va pas attendre cent ans pour vivre libres.

On ne va attendre ni dix, ni vingt, ni cent ans.

Le refus de l’attente, comme type de révolte et de volonté, procède de notre conception de l’état : pour nous, il n’est pas d’abord une chose, une machine, ni même le plus froid des monstres froids.

Il est d’abord une relation.

Quelle que soit notre volonté, nous ne pouvons être assurés de la transformation de cette machine , nous ne voulons pas en dépendre.

Mais notre volonté seule suffit à modifier cette relation.

Il dépend de notre seule volonté que cette relation – l’état sans majuscule, l’état comme relation – soit modifiée.

Pour décrire les changements de cette relation, il faut s’être exercé à les repérer. Pour les repérer, il faut s’être exercé à les expérimenter. Nous sommes entraînés pour ce genre d’exercices.

Nous nous entraînons pour ce genre d’exercices.

Du refus de l’attente relève la critique de l’attentisme. Mais le refus de l’attente est premier. Il est pratique et expérience. Il s’exprime dans chaque situation où la relation d’autorité, de pouvoir, d’état peut être modifiée. Il suppose des esprits, des volontés et des corps préparés. Il ne dépend pas de la critique de l’attentisme, ni d’aucune lutte d’idées.

La critique de l’attentisme a une fonction purement négative. Elle n’est rien d’autre que le tableau exact de l’impuissance politique généralisée. Elle ne vise à rien de plus que défaire les nœuds d’impuissance serrés par le culte de la machine état, la fascination pour le monstre froid, le désir de conquête et d’exercice du pouvoir d’état.

Peu importe, à ce stade, que ces nœuds d’impuissance prennent la forme du goût pour les patronages politiques, de l’illusion techno – bureaucratique, de la névrose des militantismes, des folklores complotistes ou insurrectionnalistes, dans tous les cas, il s’agit d’attendre.

De celles et ceux qui formulent, dans un langage clair comme le cristal, une critique bien sentie de l’attente politique, un vieux dicton rapporte : ils sont entrés dans la chambre du roi.

[commentaires]

NB : A la suite de chaque article, nous placerons, dans une partie « commentaires », d’une part, certaines annotations qui nous permettront d’expliciter nos positions propres par rapport à un texte soumis au débat, d’autre part, des réactions qui nous sembleront dignes d’être enregistrées.

Les Obscurs sont venus à cette critique de l’attentisme par la re-découverte et l’étude approfondie d’une tradition, aujourd’hui méconnue et travestie au point qu’elle pourrait être décrite comme « tradition cachée », qui est celle d’une certaine anarchie.

Nous l’avons retrouvé dans l’expérience du groupe des Causeries populaires, telle qu’Albert Libertad l’avait formulée :

On ne va pas attendre cent ans pour vivre en anarchistes. 

Nous l’avons retrouvée encore dans les textes de Gustav Landauer – dont nous avons traduit et étudié la « Lettre à Max Nettlau » – et aussi dans la présentation que Martin Buber donne de l’œuvre de Landauer dans « Utopie et Socialisme ».

C’est évidemment à Landauer que nous devons la notion de l’état – relation.

Ce n’est pas sans fortes raisons qu’il avait entrepris de traduire La Boétie en allemand.

L’Etat est une relation, un rapport entre les hommes, un mode de comportement des hommes les uns vis-à-vis des autres. On le détruit en se comportant autrement les uns à l’égard des autres. 

Et de tant d’indignités, que les bêtes elles-mêmes ne sentiraient point ou n’endureraient pas, vous pourriez vous en délivrer, sans même tenter de le faire, mais seulement en essayant de le vouloir. Soyez donc résolus à ne plus servir et vous serez libres.

On trouvera ci dessous certains commentaires qu’il nous a semblé intéressant de mettre en circulation. Les amis ou lecteurs qui souhaiteraient nous adresser leur réaction peuvent le faire en écrivant à lesobscurs@gmail.com . Merci d’indiquer si vous acceptez/souhaitez que votre réaction soit publiée ici.

Les prochains articles, plus ou moins en cours, porteront sur « pluralité des formes-de-vie », « culture de soi », « démocratie directe ».

Note de Madame Pichart

Je voudrais revenir sur la formule de « tradition cachée » que le texte utilise, dans la partie « commentaires », et qui est bien trouvée. « Tradition cachée » correspond à ce refus de l’attente et de l’attentisme qui nous a tellement frappés lorsque nous l’avons découvert chez Landauer, Libertad, et d’autres comme Pelloutier. A nous en tout cas, cette tradition avait été cachée et bien cachée. Mais la formule pourrait, dans le texte, trouver aussi à s’appliquer à la définition de l’état comme relation. Dans ce cas, la tradition est ce fil très mince qui va de La Boétie à Landauer. Là c’est une tradition carrément occultée. Je trouve que le rapprochement du « sans attendre » avec « l’état comme relation » est le point fort de l’article. Mais n’y-a-t-il pas un risque de confusion avec ces une ou deux traditions cachées ?

Sur la première, il est pénible de relire le passage de « La Société du Spectacle » sur les anarchistes :

[92] « Le fait de regarder le but de la révolution prolétarienne comme immédiatement présent constitue à la fois la grandeur et la faiblesse de la lutte anarchiste réelle (car dans ses variantes individualistes, les prétentions de l’anarchisme restent dérisoires). De la pensée historique des luttes de classes modernes, l’anarchisme collectiviste retient uniquement la conclusion, et son exigence absolue de cette conclusion se traduit également dans son mépris délibéré de la méthode. »

On remarque plusieurs choses. Visiblement Guy Debord en 67 avait une idée extrêmement vague de la critique anarchiste de l’attente et de l’attentisme, que ce soit chez les « dérisoires » anarchistes « individualistes » ou chez les anarcho-syndicalistes. Grosso modo, les anarchistes seraient des insurrectionnalistes, des ahuris qui veulent la révolution tout de suite et « méprisent délibérément la méthode ». Aussi consternant que ce soit, il faut reconnaître que, sur ce point, il reprend purement et simplement le point de vue marxiste léniniste. Le succès du gauchisme au sein de la jeunesse révoltée après 68 doit beaucoup à cette domination de l’idéologie attentiste au sein du mouvement. Heureusement un courant échappait à cette vision et associait culture de soi et refus de l’attente : le mouvement des femmes.

Dernier article de Madame Pichart :

« Question posée à la France entière : où sont les femmes ? »

Note de Francis Linart

Finalement il y a non pas deux mais trois points : [1] critique de l’attente, [2] l’attentisme comme effet du culte de l’état, [3] l’état comme relation. Le point [1] est la majeure ; c’est l’entrée du manifeste ; c’est une tradition cachée, entres autres pour des raisons telles que celle qu’évoque Madame Pichart. Le point [2], la dénonciation anarchiste de l’état en général est ultra connue, et en aucun cas une « tradition cachée ». Le point [3] est fondamental. Il ne peut être qu’évoqué ici. J’avoue, après les échanges de LesLecturesLandauer sur le texte de Colin Ward, que l’interprétation de la thèse de Landauer, « l’état comme relation », me donne le tournis. En tout cas, c’est une thèse, pas une « tradition cachée ».

Dernier article de Francis Linart :

« La question du totalitarisme »

Note d’Alain Giffard

Merci à Madame Pichart d’avoir pointé cette question. Le sujet de cet article 1, c’est le refus de l’attente et la critique de l’attentisme. La thèse de l’état-relation est mentionnée mais devra être explicitée ailleurs. On verra comment. C’est pour ce genre de situation que nous faisons l’exercice du manifeste, pas pour consigner ce dont nous croyons être sûrs. Pour ma part, je me méfie beaucoup de l’illusion de pouvoir dériver une quelconque stratégie d’une thèse sur l’état, même juste ; je trouve que le texte de Colin Ward tombe un peu dans ce travers.

Dernier article d’Alain Giffard :

« anarchie minuscule »

Une réflexion sur “sans attendre

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