Le mouvement des feuilles blanches contre la dictature de Xi

Par Les Obscurs

Cet article fait suite à celui que nous avons consacré, en février, à Peng Lifa :

Le mouvement des feuilles blanches, fin novembre 2022, est probablement le plus important mouvement d’opposition au totalitarisme chinois, depuis que Xi a réussi à imposer sa dictature. Il est loin pourtant d’avoir été compris comme tel, particulièrement en France ; les médias l’ont nettement sous-estimé ; il n’a pas reçu le soutien politique qu’il méritait ; il n’a fait l’objet d’aucune analyse sérieuse.

Son point de départ paraît avoir été un incendie, le 24 novembre 2022, dans la ville d’Urumqi, capitale du Xinjiang. On se doute que cette localisation n’a rien d’une circonstance secondaire. Le feu a pris dans une tour d’immeubles d’un quartier ouïghour ; les autorités reconnaissent dix personnes mortes dans l’incendie et neuf autres grièvement blessées, toutes ouïghoures, évaluation que la population considère comme minorée. Le feu aurait pu être facilement contrôlé. Mais il semble que d’une part les véhicules des pompiers aient été empêchés d’accéder au bloc d’immeubles par des barrières et des poteaux, et que d’autre part, les habitants de l’immeuble aient eu des difficultés à s’échapper, du fait des mesures de confinement anti-Covid. L’immeuble était confiné mais le quartier était classé « à bas risque Covid » et les habitants auraient dû pouvoir sortir normalement. Mais, selon des vidéos et des conversations échangées par Libération avec des Ouïghours en exil, « les habitants n’avaient pas le droit de sortir de chez eux, la porte de leur escalier était scellée, celle du bâtiment fermée avec des fils de fer, le portail principal était verrouillé, et la résidence était entourée de barricades ».

L’incendie d’Urumqi comporte des particularités propres à la situation du Xinjiang, mais aussi, en germes, tous les éléments qui vont se développer rapidement dans de nombreuses villes chinoises. Les autorités chinoises n’ont pas hésité à mettre en cause le comportement de la population ouïghour dont les voitures mal stationnées auraient bloqué les accès. Dans une déclaration ahurissante, le chef du département incendie d’Ürumqi, Li Wensheng, un chinois han, a mis en cause les « capacités de certains résidents à se sauver à temps ». Mais ces provocations n’ont pas retenu la population chinoise d’Ürumqi d’organiser les premières manifestations, les Ouïghours restant prudents pour les raisons que l’on sait. Il est très important de noter que la réaction dans les autres villes chinoises comporte un élément inattendu de solidarité avec les Ouïghours. Les Chinois se sont reconnus dans la situation des habitants d’Urumqi : une ville peu frappée par le Covid, mais devant supporter des mesures de confinement, limitées sur le papier, mais absurdement compliquées par la bureaucratie. La politique dite de Zéro-Covid du pouvoir communiste chinois, qui lui a attiré les éloges de tant de commentateurs et d’ « experts » français, sans parler de l’administration corrompue de l’OMS, n’est pas seulement remarquable par son autoritarisme et sa violence. Elle suscite un byzantinisme dément qui aboutit, par exemple, à ce que sur le même territoire, se succèdent zones d’isolation, de confinement plus léger, immeubles de regroupement des mis en quarantaine, avec des règles multiples et contradictoires de tests, de circulation et de contrôle. A tel point qu’on a pu dire que dans l’immeuble d’Urümqi, les résidents ne savaient pas s’ils avaient le droit de sortir, et se retrouvaient à la merci de l’interprétation du dernier sous-fifre à se mêler de l’affaire.

Les Chinois n’ont donc eu aucun mal à retrouver, dans l’incendie d’Urumqi, l’autoritarisme forcené et l’inhumanité du programme étatique dit « Zéro Covid ». La riposte de la population de la capitale ouïghour frappe les habitants des grandes villes : Shanghai, Nanjing, Pékin et Guangzhou et les grandes universités. La première manifestation se tient à Shanghai, à l’Urumqi Middle Road. Le mouvement se développe à partir du 27 et du 28 novembre à partir d’une critique de la police sanitaire des populations, le mot d’ordre principal étant la levée des mesures d’isolement. Mais, très rapidement, et pour ainsi dire, dès le début, le mouvement contre la politique anti-Covid se donne une expression démocratique, anti-totalitaire qui va étonner même les participants les plus engagés. Les mots d’ordre politiques comprennent un appel à la démocratie, à des élections libres, la suppression de la censure, et même la démission de Xi.

Concrètement, le mouvement s’exprime sous la forme de veillées d’hommage aux victimes où les manifestants partagent des lectures, ou des chants. Un moyen d’expression devient rapidement populaire : la feuille blanche de format A4 brandie comme une dénonciation de l’ordre idéologique totalitaire. Des carrés blancs sont publiés sur WeChat. On diffuse sur le web l’équation du physicien russe Friedmann, pour sa consonance avec « Freed Man » ou « Freedom ». Une citation de Xi Jinping détournée connaît un grand succès : « A présent, le peuple chinois s’organise et ne peut être négligé ». Le mouvement fait référence à la protestation anti-totalitaire de Peng Lifa. Le 27 novembre, à Wuyun Road, Shanghai, les participants à la veillée entonnent le chant « The Sitong Bridge » de Peng Lifa. A partir du 29, les observateurs étrangers notent la critique directe de la gouvernance communiste, et même la mise en cause explicite de Xi. Les affrontements avec la police tournent à l’émeute, avec des jets de pierre contre la police à Guangzhou. Le gouvernement s’efforce d’interdire sur les réseaux sociaux des hashtags comme « A4Revolution » ou « white paper exercise ».

Le mouvement démocratique ne fait qu’un avec le mouvement contre la politique dite Zéro-Covid. « Il se développe autour d’une critique de cette police sanitaire des populations, avec son cortège de privations de liberté, de contrôles et de vexations de toutes sortes. La population chinoise, des villes en particulier, est à bout. Mais elle n’est pas la seule. Des immigrants qui se retrouvent totalement bloqués et sans secours, des paysans qui ne peuvent traiter leurs récoltes et préfèrent les incendier, les populations du Xinjiang qui doivent supporter de nouvelles mesures d’oppression : c’est la plus grande partie de la population qui se retrouve victime de la violence étatique supposée la protéger contre la pandémie. Selon certaines évaluations, on compterait depuis le début de l’épidémie jusqu’à 780 millions de Chinois ayant eu à supporter une situation d’isolement, de quarantaine (à la maison ou dans des zones de regroupement) ou de confinement. Aux critiques des dispositions caractéristique de la quarantaine, c’est à dire de privation de la liberté de circuler, s’ajoutent les critiques contre la surveillance numérique (bracelets, caméras et autres dispositifs). La destruction des caméras de surveillance et des cabines de test se répand. Les Chinois découvrent en regardant la coupe du monde de football que les spectateurs des autres pays ne sont pas contraints à porter le masque. Ils mesurent aussi que l’inanité de la politique dit de « zéro Covid » se traduit, comme c’est toujours le cas dans les systèmes bureaucratiques, non seulement par des discriminations, mais aussi par une alternance d’ordres et de contre-ordres incompréhensibles qui dé-légitiment les mesures de police sanitaire. Le gouvernement n’hésite pas d’ailleurs à détourner les classements sanitaires pour punir les manifestants. Dans ces conditions, la censure de l’information et l’absence d’une liberté d’expression minimale, qui permettrait d’éviter les conséquences les plus tragiques de l’incompétence étatique, deviennent de plus en plus insupportables. La revendication de la liberté d’expression revient alors en Chine, avec le symbole de la feuille de papier blanc brandie par les manifestants. » (Les Obscurs https://lesobscurs.wordpress.com/2022/11/28/solidarite-avec-le-peuple-chinois-en-lutte-contre-le-totalitarisme/)

Le pouvoir chinois, surpris par l’ampleur et l’orientation de la réaction populaire, comprend qu’il doit à tout prix dissocier l’opposition à la politique anti-Covid du mouvement démocratique. Le 1er décembre voit une débauche de chrysanthèmes (qui inquiète le pouvoir) en l’honneur de Jiang Zemin, l’homme qui a introduit la Chine communiste dans le commerce mondial, considéré comme plus humain que Xi. Le même jour, le gouvernement suggère que les nouvelles variantes du Covid seraient moins dangereuses. A Guangzhou, où la situation est tendue, des officiels apparaissent en public sans porter de masque. La politique Zéro Covid est progressivement abandonnée à partir de décembre. Le 8 décembre voit de nombreux hommages sur les réseaux sociaux à Li Wen Liang, un ophtalmologue considéré comme un héros contre le Covid, qui n’a pas hésité à s’opposer au pouvoir au début de la pandémie. Le 10 décembre, le Premier ministre en sursis, Li Kequiang apparaît en public sans masque. Le pouvoir démantèle son dispositif anti Covid. Le 7 janvier est le premier jour sans quarantaine imposée à l’entrée en Chine.

Les Victimes de la répression

La répression des acteurs du mouvement des feuilles blanches débute fin décembre. Nous faisons le point ici sur tous ces amis, dissidents, ou révoltés des veillées de la fin novembre 2022.

Nina Li Yuanjing, comptable, Pékin, veillée du 27/11, « troubles et querelles ».

Li Siqi, journaliste free-lance, Pékin, veillée du 27/11, arrêtée le 18/12, « troubles et querelles ».

Zhai Dengrui, enseignante et féministe, Pékin, veillée du 27/11, « troubles et querelles ».

Cao Zhixin, éditrice, Pékin, veillée du 27/11, « troubles et querelles ».

Li Yi, Shanghaï

Chen Jialin, Shanghaï

Xin Shang, a récité le 18ème sonnet de Shakespeare lors d’une veillée (sonnet de l’espoir), passera son 29ème anniversaire en prison

Zhai Shunming, représentant chez Astra Zeneca, Pékin, Veillée le 26/11, « troubles et querelles ».

Sun Yingqi, dessinatrice bandes dessinées, même veillée que Zhai.

Joséphine Hou Jinyi, auditrice associée chez KPMG, a distribué des feuilles blanches lors d’une veillée, arrêtée le 24 janvier.

Kamila Wayit, étudiante ouïghoure, a posté des vidéos sur le mouvement des feuilles blanches sur We Chat, détenue depuis le 12/12

Nina Li, travaille à l’Université de Pékin, veillée de novembre.

Wu Yanan, professeur en philosophie, de l’université de Nankai à Tianjin, envoyée en asile psychiatrique, après avoir mentionné le mouvement des feuilles blanches dans un cours.

Ni Xinyi, universitaire, arrêté pour avoir dirigé le chant « The Sitong Bridge » de Peng Lifa, à Shanghai, le 27/11.

Qin Ziyi et Yang Liu auraient été relâchés.

N’oublions pas Peng Lifa et Xiao Liang, le peintre qui a fait son portrait et celui de Zelensky.

La punition pour excitation aux « troubles et querelles » peut aller jusqu’à cinq ans de prison, pour une première condamnation.

On note la forte présence des femmes parmi les emprisonné-es.

Conclusion

Le mouvement des feuilles blanches contre la dictature de Xi est riche d’enseignements. Il a révélé l’existence d’une opposition populaire, souterraine mais diffuse et large, qui revendique des libertés concrètes et s’affirme comme démocratie directe. Certes elle n’est ni centralisée, ni unifiée ; c’est une révolte populaire dans le sens le plus classique. Mais il est certainement très étonnant que le pouvoir communiste ait reculé aussi vite comme s’il craignait réellement de perdre le contrôle de la population. Évidemment l’opposition démocratique est plus restreinte mais elle est consistante et courageuse, populaire dans la jeunesse urbaine et elle a démontré qu’elle pouvait se rapprocher des forces populaires. A contrario, la solidité de la dictature de Xi, inentamée du point de vue policier, apparaît moins assurée du côté de l’adhésion de la population.

Le moment est (re)venu d’affirmer la lutte contre les totalitarismes et le soutien à leurs opposants.

Laisser un commentaire