vacances anarchistes

Par Alain Giffard

En juillet 2022, le thème retenu pour Les Reclusiennes était celui des « évasions ». Je remercie Danielle Mezuret, Franck Cormerais et Hélène Saint Araille de m’avoir invité et accueilli. J’adresse aussi mes remerciements à Anne Steiner, présente lors de ma conférence, pour les remarques qu’elle a bien voulu m’adresser. Plus généralement, mes réflexions sur le groupe des Causeries populaires seraient impossibles sans son travail d’historienne, auquel je dois beaucoup. Je n’ai pas véritablement réécrit ces notes, leur conservant cette forme d’exposé oral.

Nous allons parler de vacances : les vacances qu’ un groupe de jeunes anarchistes prend en 1905 à Chatelaillon, station balnéaire au Sud de La Rochelle. Ils ont entre 20 et 30 ans ; les principaux organisateurs viennent de Montmartre, le Montmartre de la Belle époque.

Ce groupe est le collectif des Causeries Populaires principalement animé par Albert Libertad, mais je parlerai aussi d’une autre animatrice des Causeries Populaires, Anna Mahé, qui joue, en général, un rôle important dans le groupe, et, en particulier, dans ce projet de vacances.

Quelques repères. C’est d’abord la scission des Causeries populaires avec le mouvement des Universités populaires, sur la base d’un refus de la transmission descendante du savoir des intellectuels vers le peuple. C’est ensuite la mise en place d’un « milieu libre », une communauté de vie et de travail, rue du Chevalier de la Barre, à Montmartre. C’est enfin le lancement d’un hebdomadaire, « l’anarchie », à la fois bulletin de liaison des groupes Causeries Populaires, qui ont essaimé, mais aussi revue théorique, et journal d’expression de soi collective (a). Dans cette première version, le groupe des Causeries populaires éclate à la mort de Libertad. Il a donc une durée de vie de six ans, de la formation des premiers groupes en octobre 1902, à la mort de Libertad, en novembre 1908. Mais le journal « l’anarchie » continue, repris notamment par E.Armand, et constitue un témoignage central sur l’anarchisme individualiste.

Les commentateurs rattachent en effet ce groupe à l’anarchisme individualiste, mais aussi au communisme libertaire, et à ce que Gaëtano Manfredonia appelle « l’éducationnisme ».(b)

Je ne prétends sûrement pas être un historien, même amateur, des Causeries populaires. Je m’appuie sur les travaux des historiennes et des historiens pour proposer une réflexion sur le lien entre la culture de soi et une certaine anarchie. Parmi ces historiens, j’ai cité Manfredonia. La grande spécialiste du sujet est Anne Steiner, qui vient de publier un article sur Anna Mahé dans le numéro 1 de la revue Brasero, et qui participe aux Reclusiennes.(c)

Le thème de ces Reclusiennes 2022 est l’évasion. Je parle de trois évasions. L’évasion vers les vacances, comme forme-de-vie choisie ; l’évasion de la ville vers la nature, de Montmartre à Chatelaillon ; et, dans une perspective féministe, l’évasion comme passage à l’extérieur.

Je ne dirai rien des relations entre Reclus et le groupe. Elles étaient mauvaises. Quand il n’y a pas d’affinités, il n’y a pas d’affinités. Et les jeunes des Causeries étaient modérément respectueux des anciens de l’anarchisme.

Congés et vacances

Lorsque nous pensons aux vacances populaires, c’est immédiatement le thème et l’épisode des « congés payés ouvriers» qui semblent s’imposer comme repères. Il y a un avant et un après congés payés ; les congés payés rendent possibles les vacances populaires, etc.

On va voir que les choses sont un peu différentes. De fait, l’action politique pour les vacances populaires comporte deux volets : la revendication pour un droit aux congés annuels, et pour un paiement de ces congés – c’est en quelque sorte le contenant ; et l’action, l’organisation pratique de ces vacances annuelles, des déplacements, hébergement et activités, en somme du contenu des vacances.

Les socialismes, et, en particulier, le socialisme étatiste, ont mis au cœur de leur action la législation, le passage par l’état pour diminuer le temps de travail. Les marxistes pensent ainsi agir contre l’exploitation qu’ils analysent comme l’imposition d’un temps de travail non seulement excessif, mais extorqué.

Dans cette vision, les congés annuels ont un rôle secondaire dans des projets législatifs qui tournent d’abord autour de la limitation de la journée, puis de la semaine de travail.

Concrètement, les fonctionnaires ont obtenu des congés payés sous Napoléon III : quinze jours qui deviendront la durée de référence. C’est ensuite le tour des ouvriers des chemins de fer, des établissements industriels relevant de certaines communes, dont Paris, puis des employés de bureau et de commerce.

En sont donc exclus les deux catégories les plus nombreuses : les ouvriers du secteur privé, et les travailleurs non salariés, paysans, artisans, commerçants.

En 1906, Edouard Vaillant, l’ex-blanquiste devenu un des dirigeants du parti socialiste français, dépose une proposition de loi pour des congés payés de 15 jours, qui n’est pas retenue. Jusqu’au Front populaire, l’action pour les congés payés en passant par l’état stagne. C’est seulement en 1926 que la CGT inscrit le droit aux congés payés dans son programme. Vous vous souvenez peut-être qu’ils ne figurent pas au programme du Front populaire. La SFIO en défend le principe, ce qui n’est pas le cas du parti communiste. C’est une initiative propre de Léon Blum qui reprend un projet abandonné du gouvernement précédent, soutenu au sein du Front populaire par le parti radical socialiste.(d)

Vue sous cet angle – la législation, le passage par l’état- la situation du droit aux congés payés au début du XXème siècle apparaît comme bloquée.

Le tableau est totalement différent si on tourne son regard du côté des vacances populaires, du côté du « contenu » : ce n’est pas la même chose ; ce n’est pas la même méthode ; ce ne sont pas les mêmes acteurs. Pas la même chose : les vacances réelles, plutôt que le droit aux congés. Pas la même méthode:on n’attend pas la législation par l’état, on agit directement ; on « prend » ses vacances au sens fort. Pas les mêmes acteurs : à la place des partis socialistes, ce qu’on a appelé le socialisme des intellectuels ; à la place du socialisme d’état, l’anarchisme.

Comme vous le savez, les deux courants, anarchisme et socialisme des intellectuels, se sont croisés dans le combat de l’affaire Dreyfus, puis dans la mise en place des Universités populaires. Ce sont d’ailleurs les Universités populaires qui vont être la matrice de cette action pour les vacances populaires autour de trois axes : l’établissement de vacances ( le format « colonie de vacances » se développe naturellement mais c’est aussi la période où on expérimente le campement sous la tente) ; l’organisation de financement, pour lequel la forme de la coopérative s’impose ; et le plan ou la philosophie des vacances.

Sylvain Pitt et l’Université populaire du faubourg Saint Antoine sont ainsi à l’origine de l’expérience de Kerninon, près de Ploubalzanec, où on retrouve l’anarchiste Paul Robin, ancien animateur de l’Internationale. Le fouriérisme jette ses derniers feux avec un projet piloté par Louis Guebin, en 1902. Et voici Chatelaillon, car il y a un premier Chatelaillon avant celui d’Anna Mahé et Albert Libertad. C’est une initiative de Gustave Théry, une personnalité typique du socialisme des intellectuels, membre de l’Université populaire de la rue Mouffetard. Il crée une société de vacances « Les vacances de Mimi Pinson » qui deviendra plus tard « La Nature pour tous ».(e) Le projet connait une scission entre Théry l’intellectuel, et les deux organisatrices concrètes de Chatelaillon, Mesdames Danel et Daniaud qui crèent leur propre société, le « Rayon de soleil » lequel a son siège en 1903 à l’Université populaire de Montmartre et ne vivra pas longtemps. « La Nature pour tous », au contraire, se développera dans les années 1910, ouvrira d’autres établissements, et deviendra une coopérative de consommation sur le modèle préconisé par Charles Gide.

Deux hommes vont participer à la colonie de Chatelaillon de la « Nature pour tous ». Le premier est Pierre Brunia, anarchiste et éleveur d’huîtres à Chatelaillon. Le deuxième n’est autre qu’Albert Libertad. Ensemble, ils vont concocter leur propre projet de vacances populaires sur un mode anarchiste, une « colonie de vacances libertaire pour adultes et enfants ». Le projet comporte une maison prêtée par Brunia, avec la perspective d’acheter un coin de plage – elle sera connue sous le nom de « Libertaire-Plage » et présentée dans « Les Temps nouveaux » et « l’anarchie », dès 1905- et une société de vacances, « Les Amis libres », créée en 1906 et gérée par Anna Mahé.

On ne va pas attendre cent ans pour prendre des vacances en anarchistes!

Il est certainement frappant de constater que le projet de colonie de vacances réitère la la logique politique des Causeries populaires, au point qu’il pourrait presque passer pour une conséquence de la première scission. Mais précisément les Causeries populaires ne sont pas une simple scission des Universités populaires, une scission qui d’ailleurs ne s’imposait pas, les universités populaires étant très différentes et largement autonomes. Mieux vaut définir à mon sens les Causeries populaires comme un détournement des universités populaires. Ainsi « Libertaire Plage » et « Les Amis libres » sont un détournement de la forme « colonie de vacances » impulsée par la tendance dite du socialisme des intellectuels, de la même manière que les Causeries populaires étaient un détournement de la forme « universités populaires ».

Une déclaration, d’ailleurs célèbre, d’Albert Libertad permet d’en rendre compte : « On ne va pas attendre cent ans pour vivre en anarchistes ». Ce refus de l’attentisme, courant puissant dans l’anarchie de cette époque – on pense à Landauer – oppose évidemment Libertad et le groupe aux socialistes autoritaires. On prend ses vacances ; on n’attend pas que la loi de Vaillant sur les congés payés, ou toute autre loi, soit adoptée. Mais le deuxième membre de la phrase les oppose aussi aux conceptions des Pitt, Théry, ou de Guyesse et Spire qui commentaient ces expériences dans la revue « Pages libres » proche de Georges Sorel. Il ne s’agit pas, pour résumer, de mettre à profit le temps des vacances pour civiliser ou instruire les ouvriers. Le but des Causeries populaires était simplement de vivre, et de vivre en anarchistes leurs vacances. C’était une telle expérience de vie en anarchistes, immédiate, sans attendre le grand changement politique, que proposait « Libertaire-Plage » aussi bien que le milieu libre de la rue du Chevalier de la Barre. Dans son article sur Anna Mahé, Anne Steiner peut ainsi présenter Libertaire-Plage comme une « sorte de phalanstère estival ».

De ce point de vue, l’expérience de Chatellaillon se situe dans le prolongement d’autres pratiques du groupe des Causeries populaires. Le groupe avait l’habitude d’organiser des promenades, des petits défilés dans Montmartre. On rassemblait quelques instruments de musique ; on distribuait des feuilles de chansons de Charles d’Avray et autres paroliers anarchistes, et on déambulait aux carrefours, aux terrasses des cafés où Libertad ratait rarement une occasion de démontrer son talent dans l’art de la provocation. Des balades champêtres étaient organisées le dimanche aux alentours de Paris et dans les lieux de distraction populaire détestés des socialistes intellectuels. Chanter, danser, faire les fous. On distribuait des brochures, les invendus du journal l’ « anarchie ». Libertad disait que faire la fête, « danser et faire les fous » était le meilleur moyen de propager la subversion.

Je ne peux pas être plus long sur ce point, mais il est essentiel. Dans ce que Libertad appelait sa « méthode », la propagande, mot de l’époque, la formation et la communication n’étaient pas des moments préparatoires à l’action politique. Elles étaient l’action politique elle – même. Vivre en anarchistes à Chatellaillon c’était propager l’anarchie.

Dans « Libertaire-Plage », il y a « Libertaire » et il y a « Plage »

« Libertaire-Plage » est donc le nom de cette « villégiature anarchiste », formule retenue par le journal « l’anarchie » dans un article de 1906. Dans Libertaire-Plage, il y a « Libertaire » et il y a « Plage ».

Dans son beau livre sur « l’invention de la plage », Corbin a montré comment la plage s’était transformée après la Révolution, de l’espace désolé des romantiques en décor de la régénérescence des corps pour la noblesse. (f) Les bains de mer fouettent le sang des ramollis. Puis le Second Empire ouvre l’époque des villégiatures bourgeoises structurées par l’hédonisme et le paraître.

Comment peut se constituer une vision et une pratique de la plage singulières, spécifiques d’une certaine anarchie ?

Libertad est certainement proche du courant des naturiens, présentés aujourd’hui comme des précurseurs de la décroissance.(g) Il les a rencontrés, pour ainsi dire, en voisins, à Montmartre. Il a fait partie du Cercle des Iconoclastes auquel appartenaient certains naturiens. Le journal « l’anarchie » accueillera des textes d’auteurs naturiens.

Avec eux, il partage le même point de vue sur les techniques de soi : refus de l’alcool, du vin, de la drogue, du tabac ; goût de l’exercice physique. L’ensemble est éclairé chez lui par cette « culture du moi » collective, qu’il oppose au « culte du moi » de Barrès, caractéristique de la Belle époque.

Il a aussi, avec les naturiens, une aversion très moderne contre les nuisances de ce qui n’est pas encore la société de consommation : dénonciation des farines empoisonnées, ironie à l’égard des gadgets qui apparaissent à l’époque.

Globalement, Libertad partage avec les naturiens l’idée d’une simplicité volontaire et parfois ostentatoire, à opposer au mode de vie bourgeois, mais aussi à l’orientation dominante du socialisme. Ce qui singularise le groupe des Causeries, c’est une forme d’exaltation de la joie de vivre, opposée au culte des morts, au sacrifice de la vie, et la place centrale de la fête et du jeu dans le mode de vie choisi.

Finalement, Chatelaillon, Libertaire-Plage, c’est la construction d’un environnement, d’une situation où cette manière de vivre, inspirée de Rabelais, l’auteur préféré de Libertad, pouvait se développer, au contact de la nature et dans une atmosphère moins étouffante qu’à Montmartre, moins contrôlée par la police.

La plage de Chatellaillon réalise donc une double évasion : évasion de Paris-Montmartre et de sa société du spectacle ; évasion vers un milieu moins contraint du point de vue de la manière de vivre.

Moins contraint, ou différemment contraint. Il ne s’agit pas de baisser les bras. Anna Mahé parlera de « cette plage de sable fin que les bourgeois ne nous reprendront pas car nous faisons bonne garde. »

Extérieurs

Je viens de citer Anna Mahé ; je vais tenter d’évoquer son rôle et surtout son entrée propre sur l’expérience de Chatelaillon.

Le rôle d’Anna Mahé en général dans le groupe des Causeries populaires, est fondamental et ne peut pas être sous-estimé. Je vous renvoie à l’article d’Anne Steiner dans le n°1 de la revue Brasero.

A vingt et un ans, jeune institutrice, elle quitte la région de Nantes pour rejoindre le groupe des Causeries, créé depuis un an. Elle est la compagne en amour libre de Libertad et démissionne de l’Education nationale en 2003, lorsqu’elle attend un enfant. Elle devient alors une des principales animatrices du groupe, qu’il s’agisse des causeries, du journal « l’anarchie », ou de la vie en commun, rue du Chevalier de la Barre.

La spécialité d’Anna Mahé est la question de l’éducation des enfants. Pour éclairer sa contribution à l’expérience de Libertaire-Plage, je vais prendre un détour rapide par une notation de Durkheim, non pas le plus connu, le sociologue, mais le premier Durkheim, l’historien de l’éducation.(h)

Dans son livre « L’évolution pédagogique en France », Durkheim évoque la vie des jeunes étudiants du Moyen-Age avant la fondation des Universités. Il mentionne – on parle de lycéens et d’étudiants- leur situation d’externes avant le grand renfermement universitaire. On les appelle les « martinets », nombreux petits groupes de silhouettes noires qui vivent un peu comme ils l’entendent. Pour l’histoire des libertés directes, je crois que cette notation de Durkheim est très intéressante : il y a une culture des martinets qui court de François Villon à Guy Debord.

Mais les martinets, les externes sont des garçons, des jeunes hommes. On ne connaît pas d’externes filles, de martines ou de martinettes. Or Anna Mahé est précisément un tel cas de fille externe, de fille et de femme qui revendique l’extérieur.

Elle n’était pas seulement une chroniqueuse des questions éducatives dans le journal « l’anarchie ». Le groupe des Causeries avait le projet d’ouvrir une école à Montmartre. C’était la troisième grande étape prévue, après les causeries elles même, et le journal. Ce projet n’a pas pu être mené à bien. D’une certaine manière, Anna Mahé trouve à reporter sur Libertaire-Plage, colonie d’adultes et d’enfants, son implication dans le projet d’école et son parti pris pour l’externat et l’extérieur. Elle ne se contente pas d’administrer l’association « Les amis libres », elle organise concrètement les voyages et les séjours.

Elle a sa propre expérience de l’internat qu’elle a connu à l’école normale de jeunes filles de Nantes, de quatorze à dix-sept ans et qu’elle qualifie « d’existence grise de prisonnière ». Son projet d’école est donc celui d’un externat ouvert sur le quartier de Montmartre. Ce projet, qui, par ailleurs, défend le rôle de la famille, est sur ce point en rupture avec les expériences anarchistes d’école, parfois soutenues par le ministère, comme celles de Paul Robin, Sébastien Faure, Madeleine Vernet.

Face à l’expérience négative de l’internat, il y a l’expérience positive de la vie extérieure à Montmartre. A Montmartre, il y a le pire de l’intérieur pour les femmes et les libertaires des Causeries s’opposent clairement à la prostitution. Mais il y a aussi une certaine atmosphère de liberté, une porosité entre les conditions, une circulation entre les situations que l’on peut créer. Les peintres, comme Bonnard, saisissent cette allure de liberté des femmes de Montmartre. Songez à ce qui peut se passer autour des causeries sur le contrôle des naissances que donne Anna et les autres néo-malthusiennes.

Pour Anna Mahé, l’expérience de Libertaire-Plage prolonge le combat pour l’extérieur de la femme qui n’accepte pas d’être enfermée, réduite à vivre dans l’intérieur du foyer domestique. Vous avez entendu que, pour Anna, la prise de vacances, le rapport direct à la nature sont un combat. La plage est un combat pour l’extérieur.

Elle associe l’enfant – c’est une jeune mère – à ce combat pour l’extérieur. L’immobilisation de l’enfant, la limitation de son expérience, le bébé maintenu dans son statut de bébé sont d’autres cibles de ses conceptions pédagogiques. La plage de Chatelaillon, c’est aussi une autre expérience pour les jeunes enfants, et pour les parents avec leurs enfants.

L’anarchie du 2 août 1906

Premier compte-rendu d’Anna après le départ du 21 juillet

« C’est Chatelaillon ! De grands boulevards plantés d’arbres superbes, de la verdure partout. Les enfants à la descente du train regardent autour d’eux, un peu dépaysés, las surtout des dix heures de voyage…Dix minutes de marche et nous sommes chez Brunia. Les petits ont faim et sommeil ; du bon lait les attend ; ils dormiront ensuite pour mieux trottiner par ce pays nouveau. Et c’est, depuis ce jour de l’arrivée, une vie de gaîté pour Minus, sa petite amie Renée et les autres enfants venus avec nous…

…Combien il serait désirable que les enfants des camarades puissent venir ici passer quelques bons moments de liberté pendants lesquels ils feraient provision de santé pour toute l’année. »

J’ai été frappé par la tonalité de ce texte, une sorte de simplicité, presque de mièvrerie, qui n’est pas du tout dans le style d’Anna Mahé, même lorsqu’elle parle des enfants. Gaîté, liberté, santé, ces choses là, nous les avons entendues cent fois. Mais il faut songer qu’à cette époque, elles sont encore à dire. La femme bourgeoise ne reste pas sur la plage ; elle passe par la cabine et se confie aux garçons baigneurs, comme ceux des célèbres plages Valentin ; en général, elle ne joue pas avec l’enfant sur la plage. Liberté donc de l’extérieur pour la femme et l’enfant, évasion : je ne développe pas l’idée préférant évoquer une dernière image.

Après l’épisode des Causeries populaires, Anna Mahé mène sa vie et fait la rencontre de Miremont, un communiste libertaire. Miremont crée une papeterie, puis une entreprise de jouets en bois, les Manufactures réunies. C’est cette entreprise qui imagina et commercialisa le Jokari, la pelote basque sans fronton pour les Martine à la plage.

Sources et Notes

(a) Le nom du journal « l’anarchie » s’écrit en bas-de-casse (minuscules)

cf Alain Giffard « anarchie minuscule. A propos d’un article d’Anne Steiner sur Anna Mahé »

Je me permets de renvoyer à mon précédent article « Techniques de soi et savoirs subalternes: le groupe des causeries populaires »

(b) Gaetano Manfredonia, « Libertad et le mouvement des Causeries populaires », Publications périodiques de la « Question sociale », n°8, 1998, 72 p.

© Publications d’Anne Steiner:

« Notice Anna Mahé », Maitron en ligne https://maitron.fr/spip.php?article154632

« Les En Dehors. Anarchistes individualistes et illégalistes à la Belle Epoque », Les Editions L’Echappée, 2019, 288p.

« Les militantes anarchistes : des femmes libres à la Belle Epoque », Amnis, 8/2008 http://journals.openedition.org/amnis/1057

« Vivre l’anarchie ici et maintenant : milieux libres et colonies libertaires à la Belle Epoque », Cahiers d’histoire, Revue d’histoire critique, 133/2016, p 48-53. http://journals.openedition.org/chrhc/5503

« Anna Mahé, de l’anarchie au jokari », Brasero n°1, Les Editions L’Echappée, novembre 2021

(d) Christophe Granger, « Cette chose exquise. Naissance des vacances ouvrières.1900-1914. » Vingtième siècle n°136.oct-déc 2017. Cairn

(e) « Mimi Pinson » poème d’Alfred de Musset :

(f) Alain Corbin : « Le territoire du vide.L’Occident et le désir du rivage.» Champs Flammarion 1990

(g) Sur les naturiens :

François Jarrige « Gravelle, Zisly et les anarchistes naturiens contre la civilisation industrielle » Le Passager Clandestin 2016

(h) Émile Durkheim, « L’Evolution pédagogique en France », PUF, 2014

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