
La Décision de Justice du Conseil d’État du 11 août 2023 condamnant l’État et imposant la suspension de la dissolution des Soulèvements de la Terre est un événement tout-à-fait marquant dont la portée ne doit pas être sous estimée. C’est d’abord un succès et un soulagement non seulement pour les Soulèvements mais pour toutes les composantes du mouvement d’émancipation qui les ont soutenus. Cependant il faut reconnaître cette donnée et il faudra la prendre en compte: c’est bien la ténacité et l’habileté tactique des Soulèvements de la Terre qui ont provoqué un si beau résultat. Nous les félicitons et les remercions, tant une semblable habileté tactique a pu manquer dans des luttes récentes comme celle pour la défense des retraites.
Nous publions ici les textes qui constituent le dossier de cette décision du Conseil d’État. Dans un article prochain, nous essaierons d’en proposer une analyse. Trois documents ont été regroupés ici : une présentation par le Conseil d’État de sa « décision de justice » ; le recours déposé par les Soulèvements de la Terre contre leur dissolution, et pour obtenir en référé la suspension de cette mesure du gouvernement ; le texte du décret de dissolution, pris en conseil des ministres, et donc signé par Macron.
Nous considérons ces documents et leur lecture importants pour plusieurs raisons. La première a déjà été évoquée. Ces textes sanctionnent un succès que nous espérions sans oser y croire tout-à-fait. Pourquoi se priver d’un tel plaisir de lecture ? La deuxième raison est que nous avons sous les yeux un témoignage extraordinaire des contradictions qui parcourent la société française, bien supérieur à toute enquête d’opinion ou à toute étude sociologique. Ce sont les véritables annales de nos mouvements. Nous en avions déjà fait la remarque en publiant une note du service central du renseignement territorial (ex Renseignements Généraux) sur les Soulèvements de la Terre (a). Il faudra bientôt remercier la police d’écrire si bien notre histoire. Enfin une dernière raison est l’apparition dans le domaine juridictionnel de l’espace public d’une nouvelle manière de considérer les notions de désobéissance civile, de « désarmement » ou d’action directe, une insistance plus marquée sur les différences entre violence contre les personnes et violence contre les biens, entre violence symbolique et violence destructrice. S’il devait se confirmer, ce courant de type libéral ne manquerait pas d’apparaître comme diamétralement opposé avec la tendance actuelle de l’autoritarisme à criminaliser toutes les luttes.
Même si vous n’avez que peu de goût pour la littérature juridique, lisez ces textes : il s’y passe quelque chose.
Décision de Justice du Conseil d’État du 11 Août 2023
Le juge des référés du Conseil d’État, statuant dans une formation composée de trois conseillers d’État, suspend aujourd’hui la dissolution des Soulèvements de la Terre prononcée par un décret en conseil des ministres du 21 juin dernier. Saisis par ce collectif et par plusieurs associations, partis politiques et particuliers, les juges des référés estiment qu’il existe un doute sérieux quant à la qualification de provocation à des agissements violents à l’encontre des personnes et des biens retenue par le décret de dissolution.
Le 21 juin 2023, le Gouvernement a prononcé la dissolution du collectif « Les Soulèvements de la Terre » constitué fin janvier 20211. Ce décret a été attaqué par ce collectif et par plusieurs associations, partis politiques et particuliers qui ont également demandé au Conseil d’État de suspendre en référé cette dissolution.
Pour qu’il soit fait droit à la demande de suspension en référé, deux conditions doivent être remplies : que la mesure en cause caractérise une situation d’urgence et qu’il y ait un doute sérieux sur sa légalité. Les juges des référés du Conseil d’État estiment que ces deux conditions sont remplies.
Les juges des référés du Conseil d’État observent tout d’abord que la dissolution des Soulèvements de la Terre porte atteinte à la liberté d’association et crée pour les requérants une situation d’urgence. Ils estiment donc que la première condition nécessaire pour ordonner la suspension est remplie.
Les juges des référés du Conseil d’État relèvent ensuite que, au stade du référé, les éléments apportés par le ministre de l’intérieur et des outre-mer pour justifier la légalité du décret de dissolution des Soulèvements de la Terre n’apparaissent pas suffisants au regard des conditions posées par l’article L. 212-1 du code de la sécurité intérieure (2). En effet, ni les pièces versées au dossier, ni les échanges lors de l’audience, ne permettent de considérer que le collectif cautionne d’une quelconque façon des agissements violents envers des personnes. Par ailleurs, les actions promues par les Soulèvements de la Terre ayant conduit à des atteintes à des biens, qui se sont inscrites dans les prises de position de ce collectif en faveur d’initiatives de désobéissance civile, dont il revendique le caractère symbolique, ont été en nombre limité. Eu égard au caractère circonscrit, à la nature et à l’importance des dommages résultant de ces atteintes, les juges des référés considèrent que la qualification de ces actions comme des agissements troublant gravement l’ordre public au sens du 1° de l’article L. 212-1 du code de la sécurité intérieure soulève un doute sérieux.
Pour ces raisons, le Conseil d’État, statuant en référé, suspend la dissolution des Soulèvements de la Terre. Après cette décision provisoire, le Conseil d’État rendra une décision définitive ultérieurement (jugement « au fond »), dont l’ordonnance rendue ce jour précise qu’elle devrait pouvoir intervenir rapidement, vraisemblablement à l’automne.
1 Décret du 21 juin 2023 portant dissolution d’un groupement de fait
2 Article L. 212-1 du code de la sécurité intérieure
[Remarque des Obscurs]
Le texte qui précède est la présentation synthétique par le Conseil d’Etat de son ordonnance. On trouvera le texte complet de cette ordonnance ici :
file:///C:/Users/PC/Downloads/476385-476396-476409-476948-1.pdf
………………………………………………………………………………………………………………………………………………………A Mesdames et Messieurs les Conseillers d’Etat
REQUETE INTRODUCTIVE D’INSTANCE
POUR : 1°)Monsieur X, demeurant adresse
CONTRE : Le décret du 21 juin 2023 portant dissolution des Soulèvements de la Terre sur le fondement des dispositions de l’article L. 212-1 du code de la sécurité intérieure (Prod.1)
PLAISE AU CONSEIL D’ETAT
FAITS ET PROCÉDURE
- Le mouvement des Soulèvements de la Terre a vu le jour le 24 janvier 2021 à l’issu d’un « Appel à reprendre les terres et à bloquer les industries qui les dévorent » signé par une trentaine d’organisations du monde paysan, plus de 70 fermes, une centaine d’organisations et de collectifs, et enfin par plus de 300 soutiens dont un nombre important de chercheurs, d’organisations et de collectifs.1
Le point commun entre tous ces initiateurs et fondateurs du mouvement des Soulèvements de la Terre était un souci commun de défendre la terre face à l’accaparement et à l’artificialisation dans un contexte où le consensus scientifique mondial s’accorde à pointer une urgence vitale absolue. Alors que l’État a été condamné pour son inaction climatique (TA Paris, 14 octobre 2021, N° 1904967, 1904968, 1904972, 1904976/4-1), l’ensemble des organisations et collectifs se sont engagés par cet appel commun à agir ensemble par la construction d’un calendrier de manifestations.
Deux ans après cet appel, les Soulèvements de la Terre sont devenus un vaste mouvement hétérogène et composite, composé d’une large coalition de syndicats et d’associations, d’habitantes et de paysans, de collectifs de riverains opposés à des projets inutiles et nuisibles.
Il agrège des personnes de tout âge et de tout horizon autour d’un calendrier d’actions organisé en Saisons. Les Soulèvements de la Terre n’ont pas d’adhérents, de membres, ou de cotisations comme un parti, une association ou un syndicat, mais simplement des personnes et des collectifs qui prennent part au mouvement et s’en revendiquent.
Dès l’origine, les Soulèvements de la Terre ont ainsi pris la forme d’un courant de pensée et d’un mouvement social axé sur l’écologie, la préservation des ressources naturelles et de la terre, transcendant toute forme d’organisation formelle verticale et dépourvu de dirigeants.
- Par décret du 21 juin 2023 pris en conseil des ministres, le gouvernement a prononcé la dissolution du « groupement de fait des Soulèvements de la Terre ».
C’est la décision contestée.
DISCUSSION
A TITRE LIMINAIRE : SUR L’INTERET A AGIR
- En droit,
Le Conseil d’État reconnaît l’intérêt à agir des membres des associations ou groupements de fait contre le décret de dissolution de ladite association ou dudit groupement de fait (CE, Ass., 21 juillet 1970, Boussel, Dory et Stobnicer, dit Charles Bercy, req. n°76230, Lebon 504).
Il doit être déduit de cette décision que toute personne se revendiquant comme appartenant au collectif dissous dispose d’un intérêt à agir contre ladite mesure dès lors qu’elle a pour effet d’interdire de manière absolue à tous ses « membres » qu’ils soient actifs ou sympathisants de se réunir.
- En l’espèce,
En signant la tribune « Nous sommes les Soulèvements de la terre », j’ai revendiqué mon appartenance au mouvement des Soulèvements de la Terre.
Cette signature, compte tenu du décret de dissolution attaqué, m’empêche ainsi de maintenir mes activités en lien avec le mouvement dissous et risque de m’exposer aux peines prévues par l’article 431-15 du code pénal, à savoir un emprisonnement de trois années ainsi que 45 000 euros d’amende.
En ma qualité de « membre » des Soulèvements de la Terre, j’ai par conséquent intérêt à agir pour contester la légalité du décret de dissolution du « groupement de fait des Soulèvements de la Terre ».
SUR L’ILLEGALITE DU DECRET DE DISSOLUTION
- Sur l’erreur dans la qualification juridique des faits, et à tout le moins l’erreur manifeste d’appréciation résultant de la caractérisation d’un groupement de fait
- En premier lieu, sur le fond, il est reproché à l’État d’avoir inexactement qualifié les faits, ou à tout le moins d’avoir entaché sa décision d’erreur manifeste d’appréciation, en considérant que les Soulèvements de la Terre étaient un groupement de fait susceptible d’être dissous sur le fondement des dispositions de l’article L. 212-1 du code de la sécurité intérieure.
- En droit,
L’article L. 212-1 du code de la sécurité intérieure dispose que :
« Sont dissous, par décret en conseil des ministres, toutes les associations ou groupements de fait :
1° Qui provoquent à des manifestations armées ou à des agissements violents à l’encontre des personnes ou des biens ; ».
Ni cet article, ni tout autre disposition du code de la sécurité intérieure ne définit la notion de « groupement de fait ».
Dans une décision « Tribu Ka » du 17 novembre 2006, le Conseil d’Etat a considéré que :
« la « Tribu Ka », qui réunit au sein d’un groupe organisé des personnes en vue de leur expression collective, et dont M. A se déclare le responsable, constitue un groupement de fait au sens des dispositions précitées de la loi du 10 janvier 1936. » (CE, 17 novembre 2006, Tribu Ka,n°296.214, au R.).
L’étude d’impact du Projet de loi confortant le respect des principes de la République (Loi n°2021-1109 du 24 août 2021 également appelée « Loi séparatisme ») qui a étendu les motifs de la dissolution a proposé une définition ad hoc du groupement de fait :
« Une association de personnes peut également se former librement, sans déclaration préalable. Il s’agit alors d’un groupement de fait, qui ne jouit pas de la capacité juridique et qui peut être défini comme une communauté de personnes ayant l’apparence de l’association. Afin de démontrer l’existence d’un tel groupement, il convient de mettre au jour l’existence d’un groupe de personnes relativement organisé, institué de manière durable dans un but précis et mobilisant une action commune. Concrètement, l’existence d’un groupement de fait peut être révélée par plusieurs critères, tels qu’un slogan, une identité visuelle ou encore la présence de canaux de communication formalisés. »
Il résulte de ce qui précède que le critère de l’organisation est déterminant dans la caractérisation d’un groupement de fait dont le Conseil d’Etat vérifie notamment qu’il est doté d’un ou plusieurs « responsables ».
L’étude d’impact, bien que dépourvue de portée normative, mentionne expressément l’existence de « l’apparence de l’association » qui implique que le collectif visé soit doté d’une structure, notamment hiérarchique et comportant ainsi un dirigeant ou responsable, un « bureau » décisionnaire et qu’il agrège un « groupe de personnes » identifiés ou identifiables.
- En l’espèce,
Les Soulèvements de la Terre sont insusceptibles d’être qualifiés de groupement de fait et ce, nonobstant l’existence d’un moyen d’identification commun résultant d’une dénomination et d’un logo et d’une communication via les réseaux sociaux.
En effet, et comme il sera ci-après démontré, les Soulèvements de la Terre ne sont rien d’autre qu’un mouvement écologiste représentant, à ce jour, une partie conséquente de la population.
Le mouvement des Soulèvements de la Terre a ainsi été fondé à la faveur d’un appel paru le 24 janvier 2021 signé par une trentaine d’organisations du monde paysan, plus de 70 fermes, une centaine d’organisations et de collectifs, et enfin par plus de 300 soutiens dont un nombre important de chercheurs.
Parmi les signataires de l’appel constitutif de ce mouvement figuraient notamment le syndicat La Confédération paysanne, Le Pôle IMPACT (Initiative pour une Agriculture Citoyenne et Territoriale), le Mouvement Inter-régional des AMAPs, plusieurs Groupements pour l’Agriculture Biologique (GAB), mais encore ATTAC, Youth for Climate, ou encore AGTER.
Le point commun entre tous ces initiateurs et fondateurs du mouvement des Soulèvements de la Terre reposait sur un souci commun de défendre la terre face à l’accaparement et à l’artificialisation dans un contexte où le consensus scientifique mondial s’accorde à pointer une urgence vitale absolue. Alors que l’État a été condamné pour son inaction climatique, l’ensemble des organisations et collectifs se sont engagés par cet appel commun à agir ensemble par la construction d’un calendrier de manifestation.
Les Soulèvements de la Terre se caractérisent, en outre, par leur caractère hétérogène et composite.
Loin d’une « nébuleuse d’activistes », les Soulèvements de la Terre sont une large coalition de syndicats et d’associations, d’habitants et de paysans de collectifs de riverains opposés à des projets inutiles et qu’ils considèrent comme nuisibles. Il agrège des personnes de tout âge et de tout horizon autour d’un calendrier d’actions organisé en Saisons. Les Soulèvements de la Terre n’ont pas d’adhérents, de membres, ou de cotisations comme un parti, une association ou un syndicat, mais simplement des personnes et des groupes qui prennent part au mouvement et s’en revendiquent. C’est un mouvement qui rassemble de multiples composantes.
Contrairement à ce qu’affirme là encore le décret attaqué, il n’existe rien de tel qu’un « comité centralisé » qui « sélectionnerait des dossiers ».
Les Soulèvements de la Terre sont en effet composés de coalitions locales porteuses de propositions d’épisodes qui viennent alimenter la campagne par effet d’agrégation. Chaque coalition locale qui se constitue autour de l’organisation d’un épisode rassemble – à l’échelle d’un territoire et sur une cause précise – la même composition de forces que celle qui constitue le mouvement à l’échelle nationale.
En outre, la communication sur les réseaux sociaux ne permet pas plus d’y entrevoir la caractéristique d’un groupement organisé.
Bien au contraire, le site internet et les réseaux sociaux des Soulèvements de la Terre opèrent comme une plateforme de relais au service de toutes celles et ceux qui se reconnaissent dans le mouvement et proposent spontanément des épisodes qui viennent alimenter la campagne d’action.
Les Soulèvements de la Terre ont ainsi pu relayer diverses mobilisations en dehors du calendrier national2.
La page « Les comités locaux » du site internet des Soulèvements de la Terre renvoie ainsi vers plusieurs communiqués rédigés, de manière autonome, par divers comités locaux tels que celui de Caen ou de Rennes lesquels se réapproprient les codes du mouvement national :
Ces actions sont principalement financées par les organisations locales qui les portent et par les recettes des caisses de soutien déployées pendant les événements.
Dans le même sens, l’identité visuelle des Soulèvements de la Terre comme son logo ne sont l’apanage de personne et appartiennent à tous ceux qui se reconnaissent dans ce mouvement écologiste. Ils n’ont pas été déposés à l’INPI (Institut National de la Propriété Intellectuel), sont absolument libres de droit et peuvent être réappropriés par tout un chacun.
Comme il a été ci-avant démontré, les organisations locales se réapproprient l’identité visuelle et le logo des Soulèvements de la Terre pour rattacher leur initiative à un mouvement plus vaste à l’échelle nationale sans jamais avoir besoin de recueillir l’accord d’une quelconque autorité centrale.
Ces dernières semaines, et malgré l’annonce de la dissolution, a fleuri sur les réseaux sociaux l’usage d’un « émoticone » créé en 2005 : « ⏚ » dont le symbole Unicode est (U+23DA), qui signifie en langage numérique « earth ground » soit « mise à la terre », et classé parmi les symboles électrotechniques. Ce caractère spécial composé d’un trait vertical et de trois traits horizontaux est identique à celui des Soulèvements de la Terre.
A ce jour, il est impossible de recenser le nombre de comptes et profils Twitter et Instagram qui ont ajouté ce logo à leur pseudo afin d’afficher leur lien avec le mouvement des Soulèvements de la Terre. Rien que sur le seul réseau social Facebook, 49 000 personnes sont abonnées à la page des Soulèvements de la Terre.
La composition des Soulèvements de la Terre est sans limite, elle croît encore chaque jour et ce malgré l’annonce de la dissolution. Entre le 7 avril et le 11 juillet 2023 plus de 150 000 personnes ont revendiqué leur appartenance au mouvement en signant une tribune, dont 50 000 depuis la seule parution du décret de dissolution.
Mais surtout, les Soulèvements de la Terre n’ont pas de dirigeants.
Ils relèvent au contraire d’une dynamique horizontale et organique.
A l’image de l’intersyndicale ou d’une coalition comme « Plus jamais ça », le contenu des saisons est le produit d’un consensus. Il est issu de très nombreuses discussions, d’assemblées générales à de multiples échelles entre une pluralité d’acteurs. En dernier ressort, c’est la coalition locale en charge de l’organisation d’un épisode qui est souveraine. A l’image d’un mouvement de grévistes, d’une lutte locale contre un projet nuisible, ou d’un mouvement étudiant, les Soulèvements de la Terre reconduisent les pratiques démocratiques et assembléistes historiques des mouvements sociaux qui s’organisent par la base.
A l’évidence, les services du renseignement ont le plus grand mal à se représenter le fonctionnement démocratique horizontal des mouvements sociaux. Ainsi à défaut de saisir l’histoire et l’actualité de la démocratie sociale et ouvrière, les rédacteurs du décret n’ont eu d’autre choix que de désigner arbitrairement, et en dehors de toute principe de réalité, des prétendus « dirigeants ».
L’analyse faite par les services de renseignement, et reprise in extenso, dans les termes du décret est au demeurant particulièrement méprisante pour les 150 000 personnes qui ont revendiqué leur appartenance au mouvement des Soulèvements de la Terre parmi lesquels des élus de la République et d’illustres intellectuels, écrivains, scientifiques… A lire le décret, deux personnes piloteraient depuis l’ex-ZAD de Notre-Dame-des-Landes des députés, des prix Nobel de littérature, des écrivains à succès et des intellectuels de renom.
Dépourvu de dirigeant, d’organisation structurée, de protocole formel d’adhésion, reposant sur un fonctionnement horizontal et composite, doté d’un réseau de communication participatif, le mouvement des Soulèvements de la Terre ne présente aucune des caractéristiques d’un groupement de fait.
Les Soulèvements de la Terre ne sont rien d’autre qu’un courant de pensée écologiste particulièrement populaire.
De l’aveu même du service central du renseignement territorial, dont une note avait à dessein fuité dans la presse le mouvement des Soulèvements de la Terre est devenu « la principale force d’agrégation du mouvement écologiste en France ».
Comme l’a très justement souligné le Professeur Guillaume Drago, la présente espèce conduira le Conseil d’Etat à répondre à l’interrogation suivante :
« Peut-on ainsi dissoudre un mouvement rassemblant de nombreuses personnes, une forme de collectif sans composition délimitée, revendiquant justement la représentation d’une partie de la population ? (…) Peut-on dissoudre une opinion, une tendance de pensée qui dépasse largement toute organisation ? » (Le Club des juristes, 30 juin 2023, « Dissolution de l’association « Les soulèvements de la Terre » : La liberté constitutionnelle d’association face à l’ordre public, un combat inégal »3)
Pas plus que le mouvement social, le mouvement anti-raciste ou le mouvement féministe, le mouvement écologiste des Soulèvements de la Terre, aussi massif et populaire qu’il soit, ne saurait être réduit à un groupement de fait susceptible d’être dissout.
Le Conseil d’État ne saurait se poser en censeur d’un courant de pensée.
L’erreur de qualification juridique des faits est manifeste et justifie, sans conteste, l’annulation du décret de dissolution.
- Sur l’illégalité de la décision attaquée en tant qu’elle n’est ni nécessaire, ni adaptée, ni proportionnée à la finalité de sauvegarde de l’ordre public et à la gravité des atteintes susceptibles d’être portées à l’ordre public
- En droit,
Le Conseil constitutionnel a considéré que la dissolution d’une association ou d’un groupement de fait sur le fondement du nouveau critère prévu par la loi d’août 2021 devait être contrôlé par le juge administratif :
« qui s’assure qu’elle est adaptée, nécessaire et proportionnée à la finalité de sauvegarde de l’ordre public poursuivie, eu égard à la gravité des troubles susceptibles de lui être portés par les associations et groupements de fait visés » (Décision n° 2021-823 DC du 13 août 2021, cons. 39).
Le juge des référés du Conseil d’Etat a eu l’occasion de constater qu’une mesure de dissolution pouvait porter atteinte tant à la liberté d’association qu’à la liberté d’expression (CE, 29 avril 2022, Association Comité Action Palestine, n° 462.736).
Le Conseil d’Etat doit donc faire un triple test en examinant une mesure de dissolution : proportionnalité, nécessité et adaptation tant au regard de la finalité de sauvegarde de l’ordre public, que de la gravité des troubles à l’ordre public imputable à l’association ou au groupement.
C’est la raison pour laquelle la nécessité et la proportionnalité doivent être appréciées à l’aune de la nature des « agissements violents » auxquels l’association ou le groupement aurait provoqué ou incité.
En d’autres termes, la dissolution d’une association ou d’un groupement qui n’aurait provoqué à des agissements violents que de façon isolée, ou anecdotique, sans faire l’objet d’aucune poursuites judiciaires, ne serait ni nécessaire ni proportionnée, et ne passerait donc pas le test du Conseil d’Etat.
Le juge doit donc prendre en compte la gravité des infractions auxquelles il aurait été incité, et opérer une indispensable gradation.
Il est utile de rappeler que dans son avis relatif à la loi confortant le respect des principes de la République, le Conseil d’État a considéré que cette modification constituait une « actualisation d’un motif historiquement lié à la vocation anti ligues de la loi du 10 janvier 1936 (…) nécessaire pour lutter contre des formes inédites et graves de violences répétées ou récurrentes commises en dehors de la voie publique, dans des lieux privés ou ouverts au public » (CE, Avis n° 401549, 9 décembre 2020, § 26).
Or toutes les formes de désobéissance civile, même de nature à entraîner des dégradations, ne sauraient être qualifiées de formes inédites et graves de violences.
Il incombe dès lors au Conseil d’Etat, par sa jurisprudence, de déterminer la forme et la gravité des atteintes aux biens susceptibles de justifier une dissolution et ainsi, l’extinction de la liberté d’association comme du droit de manifester et de la liberté d’expression.
En ce sens, le Conseil d’Etat ne saurait mettre sur le même plan différents types d’atteintes aux biens.
En effet, les agissements qui visent les biens sont qualifiés par la loi de destructions, dégradations et détériorations volontaires, et celles-ci peuvent être de différentes sortes :
- les destructions, dégradations et détériorations d’un bien appartenant à autrui n’ayant entraîné qu’un dommage léger sont punies d’une contravention de la 5e classe (1500 euros d’amende encourue) par l’article R. 635-1 du code pénal,
- les destructions, dégradations et détériorations d’un bien appartenant à autrui ayant entraîné un dommage grave sont punies de deux ans d’emprisonnement par l’article 322-1 du code pénal,
- les destructions, dégradations et détériorations dangereuses pour les personnes sont punies de dix années d’emprisonnement par l’article 322-6 du code pénal et elles doivent l’avoir été « par l’effet d’une substance explosive, d’un incendie ou de tout autre moyen de nature à créer un danger pour les personnes »,
- l’infraction de sabotage, qui à la différence du délit de dégradation du bien d’autrui, implique pour sa consommation que la destruction, la détérioration ou le détournement du bien soit de nature à porter atteinte aux intérêts fondamentaux de la nation, punie de quinze ans de détention criminelle par l’article 411-9 du code pénal.
Dans le cas contraire, il invaliderait l’intention du législateur qui s’est défendu, lors des débats parlementaires de la possibilité de dissoudre, sur le fondement du nouvel article L. 212-1 du code de la sécurité intérieure les mouvements écologistes appelant à la désobéissance civile.
Comme le craignaient ainsi les députés de l’opposition M. Ugo Bernalicis et Mme Mathilde Panot :
« En arguant de formules désuètes pour justifier les modifications que vous proposez, en ajoutant la provocation et les dégradations de biens, vous pensez bien faire: je l’entends ! Mais en réalité on pourrait imaginer qu’en élargissant les motifs de dissolution et en faisant reposer, à titre conservatoire, la suspension des activités d’une association sur la seule interprétation de l’exécutif, vous vouliez vous en prendre à des associations écologistes, qui mènent des actions de désobéissance civile. (Exclamations sur quelques bancs du groupe LaREM.) Eh oui ! Vous pourrez demain utiliser ces motifs en ce sens. » (Intervention de M. Ugo Bernalicis, AN, CRI, 3ème séance du vendredi 5 février 2021)
« L’article 8 vous permettra de rayer d’un trait de plume toutes les associations qui dérangent la politique que vous menez contre l’intérêt général au nom de votre loi chérie du libre marché. Démonter un Mac Do pour dénoncer la malbouffe : dissolution. S’introduire dans un champ d’OGM – organismes génétiquement modifiés – pour dénoncer l’agrobusiness : dissolution. Mener une action anti-pub’ : dissolution. Décrocher un portrait du président Macron pour dénoncer l’inaction climatique : hop, dissolution ! D’ailleurs, le syndicat des avocats de France déplore que la dissolution, qui n’était jusqu’alors prononcée qu’en cas d’atteinte très grave à l’ordre public, puisse l’être désormais du fait d’atteintes à des intérêts matériels privés. » (Intervention de Mme Mathilde Panot, AN, CRI, 1ère séance du 8 février 2021).
Ainsi, ces députés de l’opposition ont alerté sur le risque que la loi nouvelle permette de s’en prendre à des mouvements écologistes prônant la désobéissance civile. La majorité parlementaire et le gouvernement se sont défendus d’avoir une telle intention avec leur loi, comme le montrent ces propos en réponse du Président de la Commission des Lois, M. Sacha Houlié :
« À entendre certains collègues, on a l’impression que ces motifs de dissolution peuvent concerner toutes les associations. Mais si l’on va voir quelle partie du code de la sécurité intérieure se trouverait modifiée, on se rend compte que la section concernée a trait aux groupes de combat et aux milices privées ! » (Intervention de M. Sacha Houlié, AN, CRI, 1ère séance du 8 février 2021).
Ainsi, l’intention du législateur n’était pas de permettre la dissolution d’associations écologistes, même si elles prônaient la désobéissance civile.
Et cela se comprend, car l’intention du législateur n’a jamais été de dissoudre une association de l’importance de Greenpeace qui pourtant appelle parfois à la désobéissance civile et assume parfois commettre des actions de désobéissance civile.
Certains de ses militants sont même poursuivis en justice et parfois condamnés pour des infractions d’atteinte aux biens qui constituent des actions de désobéissance civile. Il est bien évident que Greenpeace ne peut pas être dissous.
En effet, telle n’était pas l’intention du législateur et cela serait manifestement disproportionné même en cas d’atteintes aux biens isolées et revendiquées qui ont pu faire l’objet de poursuites en justice.
De nombreuses autres organisations de défense de l’environnement ont recourt à des actions qui sont illégales et qui visent les biens, comme l’association féministe des « FEMEN » ou les actions de décrochages des portraits du Président de la République pour dénoncer l’absence de politique climatique du gouvernement.
Dans ces deux cas, la Cour de cassation a considéré qu’il fallait examiner ces actions de désobéissance civile à l’aune de la liberté d’expression (Crim. 26 févr. 2020, n° 19-81.827 ; Crim. 22 sept. 2021, nos 20-85.434, cf. « Liberté d’expression et action militante : l’union défendue ? » – Thomas Besse – AJ pénal 2023. 263).
- En l’espèce,
Le décret de dissolution des Soulèvements de la Terre ne répond pas à la triple exigence d’adaptation, de nécessité et de proportionnalité examinée à l’aune des principes rappelés ci-dessus.
En effet, la dissolution est une mesure grave qui a pour effet d’interdire aux 150.000 membres des Soulèvements de la Terre de se réunir, de se rencontrer, de réfléchir collectivement et de s’organiser pour un objectif partagé de défense des terres et de l’environnement.
Surtout, il est particulièrement regrettable, mais particulièrement révélateur de constater que les rédacteurs du décret ont uniquement fait état de 6 actions sur les 23 appelées par les Soulèvements de la Terre au cours des 5 saisons qui ont été organisées sur la période 2021-2023.
Le décret se focalise ainsi sur un tiers des mobilisations alors même que la grande majorité des actions appelées par les Soulèvements de la Terre se sont déroulées dans le plus grand calme.
Ainsi, au cours de la saison 2, plusieurs actions ont eu lieu sans qu’aucun débordement ne soit relevé : manifestation et reprise de terres dans le Jura, marche contre l’accaparement des terres agricoles en Ile-de-France. Des manifestations très familiales, tout comme d’ailleurs la manifestation à Lyon contre Bayer-Monsanto, à laquelle une quinzaine de collectifs avaient appelé (Les Faucheurs Volontaires, la Confédération Paysanne, Les Amis de la Confédération paysanne, Extinction Rebellion, Youth for Climate, RadiAction, AlterCampagne, Syndicat d’Apiculture du Rhône de la Métropole et de la Région lyonnaise, Assemblée des gilets jaunes Lyon et environs, Alerte pesticides Haute Gironde, Désobéissance Ecolo Paris.
Il en va de même de la saison 3 des Soulèvements de la Terre qui a notamment été ponctuée par une reprise de terres aux jardin des Vaîtes à Besançon, suivie des assises des Jardins populaires en lutte, une manifestation contre les retenues collinaires et l’artificialisation de la montagne à la Clusaz, une protestation contre l’absence de consultation publique sérieuse dans le cas des extensions de carrière de sable à Saint-Colomban ou encore une action paysanne contre l’accaparement des vignes du Var.
Plus récemment encore, en avril 2023, une manifestation appelée par les Soulèvements de la Terre a eu lieu contre la construction de l’autoroute A69 Castres-Toulouse et s’est déroulée sans incident.
Sur ce point déjà, alors même que de nombreux rassemblements se déroulent sans difficulté, la dissolution des Soulèvements de la Terre n’apparait ni nécessaire ni adaptée à l’objectif de sauvegarde de l’ordre public.
Enfin et surtout, il résulte des précédents développements que le mouvement des Soulèvements de la Terre ne nie pas appeler à la désobéissance civile qui, de tout temps, a pu être synonyme d’atteintes limitées aux biens à l’exclusion de toute violence contre les personnes.
Le mouvement des Soulèvements de la Terre est ainsi solidaire d’actions qui ont pu être menées telles que l’arrachage de plans de muguets, le coupage d’une arrivée d’eau ou encore le cimentage d’une trappe, de nombreuses actions qualifiées de « reprises de terres » ont également pu être revendiquées par le mouvement, telle que la création d’un potager à Besançon, la réhabilitation de vignes dans le Jura etc.
Mais ce type d’actions auquel le mouvement est susceptible d’appeler ne peuvent en aucun cas être regardé comme des « formes inédites et graves de violences » comme l’a exigé le Conseil d’Etat dans son avis du 9 décembre 2020.
En effet ce type d’actions s’inscrit dans le sillage des mouvements de désobéissance civile tels que Greenpeace, Les Faucheurs volontaires ou encore Extinction Rebellion comme la dégradation légère de cultures, le blocage d’usines ou d’entrepôts, la perturbation d’événements, la dégradation de certains sièges sociaux d’entreprises polluantes.
Et la mesure de dissolution sur le fondement de la provocation à de telles actions apparaît d’autant plus disproportionnée que le gouvernement s’accommode sans difficulté aucune de pratiques susceptibles de porter des atteintes aux biens lorsqu’elles sont, notamment, l’œuvre des syndicats agro-alimentaires, comme c’est le cas de la FNSEA.
En effet, alors que fort heureusement au regard de la liberté d’association et de la liberté syndicale, la question de la dissolution, ou à défaut de l’interdiction de ce syndicat n’a jamais été envisagée, il apparaît que la violence est pourtant caractéristique de nombreuses actions de ses actions sur les soixante dernières années :
- 2 février 1982 : Une ministre séquestrée par la FNSEA
- 23 août 1990 : Des moutons brûlés vifs lors d’une manifestation de la FNSEA
- 8 février 1999 : Des militants de la FNSEA dévastent le bureau de la ministre de l’Environnement
- 5 novembre 2004 : Destruction du mobilier de l’hôtel des impôts de Morlaix, un policier grièvement blessé
- 19 septembre 2013 : Mise à sac de la maison du parc naturel régional du Morvan « sous le regard placide des gendarmes »
- 21 novembre 2013 : Blocus de Paris causant deux accidents et un mort. Pas de suites judiciaires
- 19 septembre 2014 : Le centre des impôts et le bâtiment de la Mutualité sociale agricole incendiés à Morlaix
- 5 novembre 2014 : Des ragondins maltraités et tués à Nantes
- 5 novembre 2014 : Des inspecteurs du travail menacés à Châlons-en-Champagne
- 5 novembre 2014 : 70 000 euros de dégâts à Valence
- 2 juillet 2015 : Saccages lors de la « nuit de l’élevage en détresse »
- 14 août 2015 : 600 000 euros de dégâts à Caen, menace de mort envers une policière
- 5 août 2015 : La FNSEA mure un bâtiment public à Grenoble
- 14 décembre 2015 : Le Conseil d’État est pris pour cible par la FNSEA
- 22 septembre 2017 : 300 agriculteurs de la FNSEA bloquent les Champs-Élysées
- Février 2018 : Vinci chiffre les dégâts à sept millions d’euros
- 5 mai 2018 : Des condamnations pour « entrave à la liberté d’expression et de réunion » en Ariège
- 17 février 2023 : Les locaux de l’association France nature environnement pris pour cible
- 21 février 2023 : 120 000 euros de dégâts dans les Landes
- 21 février 2023 : Un agriculteur fonce sur des gendarmes mobiles en marge d’une manifestation FNSEA à Nîmes
- 22 mars 2023 : Un maire menacé, la maison d’un militant écologiste prise pour cible à La Rochelle
- 12 avril 2023 : Une permanence parlementaire ciblée pour la troisième fois en six mois par la FNSEA
Les actions revendiquées par le mouvement des Soulèvements de la Terre, même en tant qu’elles ont pu causer un préjudice matériel, paraissent en comparaison bien insusceptibles de revêtir un degré de gravité suffisant pour que la mesure de dissolution apparaisse proportionnée à l’objectif de sauvegarde de l’ordre public poursuivi.
La mesure de dissolution des Soulèvements de la Terre, en tant qu’elle emporte extinction de la liberté d’association, de la liberté d’expression et de la liberté de manifester, n’apparaît en ce sens ni nécessaire, ni adaptée, ni proportionnée.
Le Conseil d’Etat ne pourra, en conséquent, qu’ordonner l’annulation du décret qui acte la dissolution du mouvement des Soulèvements de la Terre.
- Sur la violation par le gouvernement des articles 10 et 11 de la convention européenne des droits de l’Homme en tant que la dissolution des Soulèvements de la Terre porte une atteinte injustifiée et disproportionnée aux libertés d’expression, de réunion et d’association
- En droit,
L’article 10 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ( ci-après « CESDH ») dispose que :
« 1 – Toute personne a droit à la liberté d’expression. Ce droit comprend la liberté d’opinion et la liberté de recevoir ou de communiquer des informations ou des idées sans qu’il puisse y avoir ingérence d’autorités publiques et sans considération de frontière. Le présent article n’empêche pas les États de soumettre les entreprises de radiodiffusion, de cinéma ou de télévision à un régime d’autorisations.
2 – L’exercice de ces libertés comportant des devoirs et des responsabilités peut être soumis à certaines formalités, conditions, restrictions ou sanctions prévues par la loi, qui constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité nationale, à l’intégrité territoriale ou à la sûreté publique, à la défense de l’ordre et à la prévention du crime, à la protection de la santé ou de la morale, à la protection de la réputation ou des droits d’autrui, pour empêcher la divulgation d’informations confidentielles ou pour garantir l’autorité et l’impartialité du pouvoir judiciaire ».
L’article 11 de CESDH précise que :
« 1 – Toute personne a droit à la liberté de réunion pacifique et à la liberté d’association, y compris le droit de fonder avec d’autres des syndicats et de s’affilier à des syndicats pour la défense de ses intérêts.
2 – L’exercice de ces droits ne peut faire l’objet d’autres restrictions que celles qui, prévues par la loi, constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité nationale, à la sûreté publique, à la défense de l’ordre et à la prévention du crime, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d’autrui. Le présent article n’interdit pas que des restrictions légitimes soient imposées à l’exercice de ces droits par les membres des forces armées, de la police ou de l’administration de l’État ».
La Cour européenne des droits de l’homme (ci-après « CEDH ») souligne le lien essentiel existant entre la liberté d’association, la liberté de réunion et la liberté d’expression : c’est pour pouvoir s’exprimer sur un sujet d’intérêt commun que des personnes peuvent faire le choix de se regrouper, de s’associer, de manifester et de se réunir.
Ainsi, la protection des opinions personnelles offerte par les articles 9 et 10 de la Convention sous la forme de la liberté de pensée, de conscience et de religion comme de la liberté d’expression compte aussi parmi les objectifs de la garantie de la liberté d’association par l’article 11 (Young, James et Webster c. Royaume-Uni, 1981, § 57, Vörður Ólafsson c. Islande, 2010, § 46).
Les règles classiques relatives à l’importance de la liberté d’expression dans une société démocratique trouvent ainsi à s’appliquer en matière de liberté d’association. L’article 11 doit donc s’appliquer non seulement aux personnes ou associations dont les vues sont accueillies avec faveur ou considérées comme inoffensives, mais également à celles dont les idées heurtent, choquent ou inquiètent (Redfearn c. Royaume-Uni, 2012, § 56 ; Vona c. Hongrie, 2013, § 57). La mise en œuvre du principe du pluralisme est impossible si une association n’est pas en mesure d’exprimer librement ses idées et ses opinions (Gorzelik et autres c. Pologne [GC], 2004, § 91 ; Zhechev c. Bulgarie, 2007, § 36).
Pour la Cour de Strasbourg, une mesure de dissolution ne peut être employée qu’en dernier recours et dans les cas les plus graves, et elle souligne qu’il faut faire une « interprétation stricte » des règles permettant la dissolution d’association, comme le montre l’affaire Fondation Zehra et autres c. Turquie au sujet de la dissolution d’une association dont les activités étaient destinées à mettre en place un État régi par la charia :
« 56. Sous l’angle de l’article 11 de la Convention, les États disposent en outre d’un droit de regard sur la conformité du but et des activités d’une association avec les règles fixées par la législation, notamment les règles qui visent à empêcher une formation politique ou sociale de concentrer ses efforts sur la réalisation d’un objectif consistant à saper les fondements de la démocratie pluraliste elle-même. (…)
Les États doivent cependant user de ce droit d’une manière qui se concilie avec leurs obligations au titre de la Convention et sous réserve du contrôle par les organes de celle-ci. En conséquence, les exceptions visées à l’article 11 de la Convention appellent une interprétation stricte, seules des raisons convaincantes et impératives pouvant justifier des restrictions à la liberté d’association. (…) » (CEDH, Fondation Zehra et autres c. Turquie, 10/07/2018, n° 51595/07)
La dissolution forcée d’une association constitue une mesure sévère aux conséquences lourdes, qui ne peut s’appliquer qu’aux cas les plus graves (Association Rhino et autres c. Suisse, 2011, § 62 ; Vona c. Hongrie, 2013, § 58 ; Les Authentiks et Supras Auteuil 91 c. France, 2016, § 84).
Ainsi, cette mesure grave ne peut être prise que dans les cas les plus extrêmes, comme le montre la jurisprudence de la CEDH :
« 88. La Cour a déjà eu l’occasion d’indiquer que la dissolution est une mesure sévère aux conséquences lourdes, qui ne peut s’appliquer qu’aux cas les plus graves (Association Rhino et autres c. Suisse, no 48848/07, § 62, 11 octobre 2011, Vona, précité, § 58, Les Authentiks et Supras Auteuil 91, précité, § 84). À moins qu’une association puisse raisonnablement passer pour être le terreau de la violence ou pour incarner la négation des principes démocratiques, il est difficile de concilier des mesures radicales destinées à restreindre la liberté d’association – sous couvert de protéger la démocratie – avec l’esprit de la Convention, laquelle vise à garantir l’expression d’opinions politiques par le biais de tous les moyens pacifiques et légaux y compris les associations et les rassemblements (Vona, précité, § 63). » (CEDH, Ayoub et autres c/ France, 8 octobre 2020, n° 77400/14)
En conclusion, au regard de la CESDH et de la jurisprudence de la CEDH, une mesure de dissolution constitue une ingérence dans les droits protégés par les articles 10 et 11 de la Convention et doit donc être :
- prévue par la loi : ce critère suppose non seulement qu’un texte autorise l’autorité administrative à dissoudre une association mais aussi qu’il s’agisse d’un texte qui soit clair. Les mots « prévue par la loi » imposent non seulement que la mesure incriminée ait une base en droit interne, mais visent aussi la qualité de la loi en cause : ainsi, celle-ci doit être accessible au justiciable et prévisible dans ses effets. Une norme est « prévisible » lorsqu’elle est rédigée avec assez de précision pour permettre à toute personne, en s’entourant au besoin de conseils éclairés, de régler sa conduite (N.F. c. Italie, 2001, §§ 26 et 29). Pour répondre à ces exigences, le droit interne doit offrir une certaine protection contre des atteintes arbitraires de la puissance publique aux droits garantis par la Convention. La loi doit définir l’étendue et les modalités d’exercice d’un tel pouvoir avec une netteté suffisante (Maestri c. Italie [GC], 2004, § 30) ;
- répondre à un but légitime parmi ceux qui sont énumérés aux paragraphe 2 des articles 10 et 11 de la Convention ;
- être nécessaire dans une société démocratique, c’est-à-dire répondre à un besoin social impérieux. Le vocable « nécessaire » n’a pas la souplesse de termes tels qu’« utile » ou « opportun ». Les exceptions à la règle de la liberté d’association appellent une interprétation stricte et seules des raisons convaincantes et impératives peuvent justifier des restrictions à cette liberté. Il appartient au premier chef aux autorités internes d’évaluer s’il existe un « besoin social impérieux » d’imposer une restriction donnée.
- être proportionnée au but légitime poursuivi : cela implique qu’il n’existait aucune autre mesure moins grave que la dissolution pour atteindre le but légitime poursuivi. Pour qu’une dissolution puisse être considérée comme proportionnée, les autorités doivent démontrer qu’il n’existe pas d’autre mesure portant moins gravement atteinte au droit à la liberté d’association et permettant d’arriver au même but (Adana TAYAD c. Turquie, 2020, § 36 ; Association Rhino et autres c. Suisse, 2011, § 65 ; Magyar Keresztény Mennonita Egyház et autres c. Hongrie, 2014, § 96).
- En l’espèce,
La mesure de dissolution attaquée constitue évidemment une ingérence dans mes droits protégés par les articles 10 et 11 de la Convention.
Or cette ingérence n’est pas prévue par la loi, ne répond pas à un besoin social impérieux et n’est pas proportionnée au but poursuivi par le gouvernement.
- La dissolution des Soulèvements de la Terre n’est pas prévue par la loi
Une ingérence dans un droit protégé par la CESDH doit non seulement avoir une base légale, mais la loi doit être suffisamment claire et prévisible pour que les administrés adaptent leur comportement en conséquence.
Si en l’espèce un texte est bien prévu à l’article L. 212-1 du code de la sécurité intérieure, il ne répond manifestement pas aux exigences de clarté et de prévisibilité rappelées par la CEDH, puisque la notion « d’agissements violents » n’est pas précisément définie.
En effet, en droit, la « violence » est prévue par le code pénal et ne vise que les agissements à l’encontre des personnes physiques et la violence contre les biens n’existe pas.
C’est le sens des articles 222-7 à 222-16-3 du code pénal relatifs aux violences qui prévoient et répriment différentes modalités d’exercice, plus ou moins graves, de la violence et qui, chaque fois, ont pour victimes des personnes physiques.
Définies en fonction de leurs conséquences sur la personne humaine, les violences ne visent donc pas les biens matériels.
Les agissements qui visent les biens sont qualifiés par la loi de destructions, dégradations et détériorations volontaires selon la gravité de l’atteinte, au titre des articles R. 635-1, 322-1, 322-6 et 411-9 du code pénal.
Or, le texte vise effectivement les « agissements violents contre les biens », ce qui est une contradiction dans les termes.
Par conséquent, la notion d’ « agissements violents à l’encontre des personnes ou des biens » prévue par l’article L. 212-1, 1°, du Code de la sécurité intérieure créée une équivoque sur la nature des agissements susceptibles de justifier une mesure de dissolution.
La loi sur laquelle se fonde le décret attaqué manque ainsi, au sens de la jurisprudence de la CEDH, de précision.
- La dissolution des Soulèvements de la Terre ne répond pas à un besoin social impérieux
La dissolution des Soulèvements de la Terre, mesure gravissime, ne répond à aucun besoin social impérieux.
En effet, de nombreuses mobilisations auxquelles ont appelé les Soulèvements de la Terre se sont bien déroulées, et des manifestations auxquelles n’ont pas appelé les Soulèvements de la Terre ont pu déboucher sur la commission d’infractions pénales, comme cela arrive d’ailleurs très régulièrement.
Par conséquent, si l’objectif du gouvernement est de protéger l’ordre public en évitant que des infractions pénales soient commises au cours de manifestations, la dissolution des Soulèvements de la Terre n’est manifestement pas ce qui permet d’atteindre cet objectif.
- La dissolution des Soulèvements de la Terre n’est pas proportionnée au but poursuivi par le gouvernement
Le critère de la proportionnalité suppose qu’aucune autre mesure ne soit à la disposition du gouvernement pour atteindre le but légitime poursuivi.
Or, si l’ordre public – et non des considérations purement politiques – constitue vraiment la finalité du gouvernement, il pouvait évidemment recourir à d’autres mesures que la dissolution des Soulèvements de la Terre pour que des infractions pénales ne soient pas commises à l’occasion de manifestations à laquelle ont appelé les Soulèvements de la Terre aux côtés de nombreuses autres organisations.
Pourtant, le gouvernement ne démontre nullement avoir tenté de recourir à une autre mesure que la dissolution. La mesure est donc manifestement disproportionnée.
Compte tenu de l’ensemble de ces éléments, le décret attaqué a été pris en violation des dispositions CESDH précitées telles qu’interprétées par la CEDH.
La décision attaquée sera donc annulée.
***
PAR CES MOTIFS
Il est demandé au Conseil d’Etat de :
- ANNULER le décret du 21 juin 2023 portant dissolution des Soulèvements de la Terre.
……………………………………………………………………………………………………………………………………………
Décret du 21 juin 2023 portant dissolution d’un groupement de fait
NOR : IOMD2316840D
ELI : https://www.legifrance.gouv.fr/eli/decret/2023/6/21/IOMD2316840D/jo/texte
JORF n°0143 du 22 juin 2023
Texte n° 15
Extrait du Journal officiel électronique authentifié PDF – 218,2 Ko
Version initiale
Le Président de la République,
Sur le rapport de la Première ministre et du ministre de l’intérieur et des outre-mer,
Vu la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, notamment ses articles 10 et 11 ;
Vu le code des relations entre le public et l’administration, notamment ses articles L. 121-1 et L. 121-2 ;
Vu le code de la sécurité intérieure, notamment le 1° de l’article L. 212-1 et l’article L. 212-1-1 ;
Vu le courrier du 29 mars 2023, notifié par voie administrative le 30 mars 2023, par lequel M. X, en sa qualité de dirigeant de fait et de porte-parole du groupement de fait « Soulèvements de la Terre » a été, d’une part, informé de l’intention du Gouvernement de procéder à la dissolution de ce groupement de fait et, d’autre part, invité à présenter ses observations dans un délai de dix jours à compter de cette notification ;
Vu les documents remis en mains propres au ministère de l’intérieur et des outre-mer le 7 avril 2023 par lesquelles le groupement de fait « Les Soulèvements de la Terre » a fait valoir ses observations écrites par l’intermédiaire de ses avocats et de M. X ;
Vu le courrier du 15 juin 2023, notifié par voie administrative le même jour, par lequel M. Y, porte-parole du groupement de fait « Soulèvements de la Terre » et principal activiste et Me K, avocat du groupement ont été invités à présenter des observations sur des éléments complémentaires portés à leur connaissance et susceptibles de fonder la dissolution du groupement de fait ;
Vu les courriels adressés par Me K les 16 et 19 juin 2023 en réponse au courrier du 15 juin 2023 ;
Considérant qu’aux termes de l’article L. 212-1 du code de la sécurité intérieure : « Sont dissous, par décret en conseil des ministres, toutes les associations ou groupements de fait : 1° Qui provoquent à des manifestations armées ou à des agissements violents à l’encontre des personnes ou des biens » ; qu’en application de l’article L. 212-1-1 du même code, « Pour l’application de l’article L. 212-1, sont imputables à une association ou à un groupement de fait les agissements mentionnés au même article L. 212-1 commis par un ou plusieurs de leurs membres agissant en cette qualité ou directement liés aux activités de l’association ou du groupement, dès lors que leurs dirigeants, bien qu’informés de ces agissements, se sont abstenus de prendre les mesures nécessaires pour les faire cesser, compte tenu des moyens dont ils disposaient » ;
Considérant que le collectif « Les Soulèvements de la Terre » (SLT) a été créé début 2021 autour d’un noyau dur de militants, tous issus de l’ex-ZAD de Notre-Dame-des-Landes et désireux d’exporter leur expérience et les stratégies violentes déployées localement durant la lutte contre ce projet aéroportuaire, à l’ensemble du territoire, parmi lesquels MM. X, Y et Z ; que ces militants, présents sur de nombreuses actions de contestation de projets d’aménagement, sont particulièrement connus et suivis des services de renseignements pour leur caractère violent et déterminé ; que le collectif, particulièrement identifié au sein de la mouvance radicale, a rapidement attiré à lui des activistes aguerris militants d’autres associations mais désireux de rejoindre des modes d’actions plus violents ; qu’il s’identifie au travers de sa dénomination et de son logo figurant sur toutes ses publications et constituant un moyen d’identification commun ; qu’il s’exprime par la voix de deux de ses dirigeants, X et Y, qui représentent le groupement, organisent les actions en son nom et les dirigent sur le terrain ; qu’il communique via les réseaux sociaux, ses pages dûment identifiées étant régulièrement alimentées et assurant la promotion de son idéologie, des actions qu’il organise et leur revendication a posteriori ; qu’il organise régulièrement, notamment sur l’ex-ZAD de Notre-Dame-des-Landes sur laquelle X réside ou sur la ZAD du « quartier libre des Lentillères » à Dijon, des rencontres avec des collectifs locaux désireux de s’agréger, au coup par coup, aux campagnes des SLT en raison de leurs méthodes offensives, les dossiers sélectionnés par un comité centralisé bénéficiant ensuite de son appui logistique, humain, financier et organisationnel ; que l’ensemble de ces éléments permet ainsi d’établir l’existence d’un groupement de fait au sens de l’article L. 212-1 du code de la sécurité intérieure ;
Considérant en premier lieu que sous couvert de défendre la préservation de l’environnement et de se présenter comme un mouvement militant, ce groupement incite à la commission de sabotages et dégradations matérielles, y compris par la violence, en se fondant sur les idées véhiculées par des théoriciens (1), prônant l’action directe et justifiant les actions extrêmes allant jusqu’à la confrontation avec les forces de l’ordre ;
Considérant d’une part, que dans le cadre d’actions visant à contester certains projets d’aménagement, dont notamment la création de retenues de substitution, le groupement SLT a organisé et appelé à une vingtaine d’actions, déclinées en différentes « Saisons » et « Actes », avec des mots d’ordre et appels sans ambiguïté quant aux dégradations à commettre ; qu’en octobre 2021, une vidéo relayée par SLT appelait à poursuivre des actions de « désarmement » et fournissait un « tutoriel » permettant d’opérer le « démantèlement sauvage » d’une bassine ; que le 6 octobre 2022, SLT a publié la carte des principaux acteurs des « méga-bassines » et invité ses sympathisants à communiquer toute information permettant de « démasquer au plus vite » les sociétés « qui continuent d’agir dans l’ombre », cette carte s’accompagnant de la diffusion des sièges sociaux des entreprises citées ; qu’à la suite de la diffusion de cette liste, la retenue de substitution de Langon a fait l’objet de dégradations pour un préjudice évalué à plusieurs milliers d’euros ; que de même, dans le cadre de la manifestation des 29 et 30 octobre 2022 à Sainte-Soline, un appel a été lancé pour inciter les habitants du secteur à mettre en place une veille du chantier, avec transmission des horaires de travail des ouvriers, de leurs lieux de restauration, de la provenance des machines et de la présence des forces de l’ordre, aux fins de mettre impunément au point un certain nombre d’exactions ; qu’en guise d’annonce de la manifestation des 25 et 26 mars 2023, le groupement a publié le 26 janvier 2023 un montage vidéo comportant le message suivant « Nous faisons le choix de désobéir, désarmer [images de la dégradation du système de pompage de Sainte-Soline] et mettre hors d’état de nuire [images de la dégradation de la bâche à Cram-Chabam], de manifester et d’assumer collectivement notre opposition jusqu’à l’arrêt définitif des chantiers » ; que la vidéo diffusée par le groupement sur son compte Facebook le 5 mars 2023 reprend essentiellement des images de violences et de dégradations, lesquelles sont ainsi valorisées et encouragées auprès des militants ; que les appels à manifester, maintenus et assumés y compris après interdiction de la manifestation, comportaient des slogans appelant à venir « déterminés » en arborant la banderole « Tout brûler » ou « Tout cramer » et incitaient « à ne pas se contenter de tribunes et de pétitions, de manif-promenades, mais à porter ensemble des gestes impactants qui matérialisent notre détermination à ne pas laisser ravager le monde » [message accompagnés d’images de dégradations de biens ;
Considérant d’autre part que le groupement SLT diffuse à ses membres et sympathisants, via ses réseaux sociaux, des modes opératoires directement inspirés de ceux des « Blacks Blocks » ; que parmi ces préconisations figurent le port de tenues interdisant leur identification par les forces de l’ordre, en contradiction avec les habitudes des militants écologistes de manifester à visage découvert, le fait de laisser son téléphone mobile allumé à son domicile ou de le mettre en « mode avion » en arrivant sur les lieux de la manifestation pour éviter le bornage, le fait de ne pas communiquer les codes de déverrouillage de l’appareil ou de ne pas répondre aux forces de l’ordre en cas d’interpellation ; qu’y figurent également des consignes d’ordre médical « en cas de nécessité d’hospitalisation, dans la mesure du possible, se rendre dans un hôpital éloigné de l’action, rester flou, ne pas donner son identité, prévoir de l’argent liquide » ; que par ailleurs est préconisé le port du masque FFP3, de lunettes de protection contre les gaz ; qu’afin de catalyser le plus de manifestants possibles, le groupement organise, en amont des manifestations, des campagnes de recrutement, y compris au-delà des frontières ; que le 27 janvier 2023, un appel à la mobilisation internationale a été diffusé sur Twitter par le groupement SLT, relayé ensuite sur le compte Twitter de Contre-Attaque (Nantes Révoltée) qu’ainsi, plusieurs réunions ont été organisées en Italie et en Suisse, du 19 au 24 février 2023 ainsi que lors de la commémoration du vingtième anniversaire de la mort d’un militant antifa italien ; que ces réunions ont permis de drainer des activistes étrangers violents, connus des services de renseignements en raison de leur présence sur plusieurs lieux de contestation ; que la présence de 200 étrangers, allemands, belges, italiens et suisses, dont certains appartenant au mouvement « NO TAV » a été constatée lors de l’édition 2023 du « Printemps Maraîchin » ; que lors de la manifestation de Sainte-Soline, en mars 2023, 14 militants activistes européens, rompus à la radicalisation violente, ont fait l’objet d’une interdiction administrative du territoire, la présence d’autres, déjà présents sur le territoire et n’ayant pu faire l’objet de telles mesures, ayant été constatée sur les lieux ;
Considérant que, ce faisant, ce groupement joue un rôle majeur dans la conception, la diffusion et la légitimation de modes opératoires violents dans le cadre de la contestation de certains projets d’aménagement et doit, pour ce motif, être regardé comme provoquant à des agissements violents contre les personnes et les biens ; que cette provocation est d’autant plus suivie d’effets que SLT utilise largement ses comptes sur les réseaux sociaux pour donner à ses mots d’ordre la plus large audience possible et valoriser ces modes d’actions violents ;
Considérant en deuxième lieu que ces provocations ont été suivies d’effets lors des différentes actions de contestation organisées par les SLT, caractérisées le plus souvent par des destructions matérielles et des agressions physiques contre les forces de l’ordre ; que la saison 1, du 27 mars au 17 juillet 2021, composée de cinq actes, s’est achevée par l’action Grand Péril Express, qui s’est tenue du 29 juin au 4 juillet 2021 en Ile-de-France et a été marquée par l’occupation de plusieurs sites des groupes Lafarge et Eqiom, des activistes incités par les mots d’ordre de SLT ayant saboté les installations du port de Gennevilliers, en mettant à l’arrêt des machineries ou en procédant à l’ensablement de réservoirs de gasoil d’engins industriels ; que la saison 2, qui s’est déroulée du 21 septembre 2021 au 26 mars 2022, dont SLT est à l’origine et qui a également fait l’objet d’une communication de sa part en ces termes : « la semaine prochaine on se lance dans une saison 2 d’actions contre cette industrie ! [agro-industrielle] » a été marquée par plusieurs actions offensives liées à la contestation des projets de retenues de substitution dans le marais poitevin ; que lors de la manifestation du 21 septembre 2021 dans les Deux-Sèvres, les manifestants ont utilisé des tracteurs pour dégrader des barrières et pénétrer sur un chantier, blessant deux gendarmes et occasionnant des dommages matériels évalués à 20 000 euros ; que le 6 novembre 2021 un cortège de 2 000 manifestants s’est opposé violemment aux forces de l’ordre et a détourné son itinéraire pour aller dans le département voisin détruire la retenue de substitution de Cramchaban à l’aide de tracteurs, blessant trois gendarmes et causant de très importantes dégradations au niveau d’une bâche de protection et d’une station de pompage, dommages chiffrés à 400 000 euros ; que le 15 janvier 2022, les manifestants sont entrés de force sur le périmètre interdit à la manifestation, les forces de l’ordre ayant dû s’interposer entre les manifestants et les membres de la coordination rurale venus en découdre ; qu’ainsi, au cours du Printemps maraîchin, le 26 mars 2022, 300 éléments radicaux, vêtus de combinaisons bleues, dans un cortège de 5 000 manifestants, ont violemment pris à partie les forces de l’ordre et causé la dégradation d’une station de pompage et d’un tuyau d’alimentation pour un montant de 10 000 euros ; que la saison 3, du 2 avril au 28 août 2022, a été marquée par le Grand Charivari des 14 et 15 mai 2022 sur la commune de Pertuis, où plusieurs exactions ont été commises à l’encontre de la société Pellenc, d’établissements bancaires et des forces de l’ordre ; que la saison 4, ouverte le 29 septembre 2022, a notamment été caractérisée par la manifestation « Pas une bassine de plus » à Sainte-Soline le week-end des 29 et 30 octobre 2022, action ayant rassemblé près de 5 000 personnes dont 300 militants radicaux déterminés, auteurs de dégradations matérielles importantes, de sabotages et de violences à l’encontre des forces de l’ordre, 61 gendarmes ayant été blessés ;
Considérant que les provocations du groupement SLT ont été particulièrement suivies d’effets et ont connu un point d’orgue lors de la saison 5 et de la manifestation des 25 et 26 mars 2023, à Sainte-Soline, au cours de laquelle près de 6 000 personnes étaient présentes, réparties en trois cortèges parmi lesquels 800 à 1 000 militants radicaux dont 400 à 500 expérimentés et ultra violents, organisés par groupes de vingt, se coordonnant par talkie-walkie et mégaphones ; qu’obéissant aux préconisations du groupement, ces activistes étaient équipés de masques à gaz, porteurs de cagoules et combinaisons ; que par ailleurs, ils étaient porteurs d’armes par destination (épées, machettes, hachettes, battes, jerrycans, briques de ciment, mortiers d’artifice, boules de pétanque, cocktails Molotov, bombes incendiaires artisanales, disqueuses, chalumeau et bouteille de gaz…) ; que ces équipements sont révélateurs de leur volonté d’en découdre avec les forces de l’ordre comme de l’influence et l’impact des mots d’ordre de SLT ; que le réseau de canalisation relié à la retenue de substitution de Sainte Soline a également été dégradé par incendie ; qu’à la suite de cette manifestation, la préfète des Deux-Sèvres ainsi que le directeur de la Gendarmerie nationale ont adressé plusieurs signalements au Procureur de la République ;
Considérant que ces agissements violents résultent clairement des mots d’ordre et des provocations orchestrés par le groupement de fait SLT ;
Considérant en troisième lieu que SLT légitime, assume et revendique avoir participé à ces différents évènements en publiant systématiquement sur ses réseaux sociaux plusieurs images ou vidéos de « désarmement » [images de dégradations sur des canalisations] ou d’affrontements avec les forces de l’ordre, valorisant ainsi ces opérations « coups de poing » ; que par ailleurs, loin de désavouer les agissements de ses militants, dont plusieurs font l’objet de poursuites pénales, SLT n’a de cesse de publier des messages afin d’organiser leur soutien ou légitimer leurs actions, nonobstant les atteintes graves aux personnes ou les dégradations matérielles qui en résultent ; que cette provocation à des agissements violents est d’autant plus suivie d’effets que SLT utilise largement ses comptes sur les réseaux sociaux qui disposent de plusieurs milliers d’abonnés ; qu’enfin, le groupement appelle au financement des actions qu’il initie, par le biais de « l’Association pour la défense des terres » qui appelle explicitement au soutien financier des modes d’actions violents du groupement qu’elle cautionne ;
Considérant que nonobstant l’engagement d’une procédure de dissolution du groupement, notifiée par courrier du 29 mars 2023, le groupement a persisté à appeler à des actions de contestation, qui se sont à nouveau traduites par des agissements violents ;
Qu’ainsi, les 10 et 11 juin 2023, l’acte 4 de la 5e saison des Soulèvements de la Terre intitulé « Fin de carrières 44 : deux jours de lutte contre l’industrie du béton et l’extraction de sable » a rassemblé près de 1 200 personnes, dont une cinquantaine d’éléments radicaux, avec près de 30 tracteurs ; que plusieurs figures des SLT, tels que MM. Y, Z et X, ont participé à cette opération s’étant traduite par trois actions de destruction présentées par le groupement comme du « désarmement » ; qu’ainsi, deux exploitations maraîchères ont été saccagées, leurs serres ayant été détruites et les plantations arrachées sous les slogans « Que brûle l’agro-industrie » ; que de même, la centrale à béton BHR de Nantes a été sabotée, cette action ayant été expressément revendiquée par le groupement dont les membres ont déclaré sur Twitter : « Nous avons coupé l’arrivée d’eau de la centrale et cimenté la trappe d’accès », action accompagnée d’un tag « Qui sème le béton, récolte la révolution » inscrit à l’entrée de l’usine ; que ces faits de dégradation, méthodiquement planifiés et exécutés, confirment que la violence loin d’être fortuite ou accidentelle, constitue un mode d’action parfaitement théorisé et assumé de la part du groupement, quel que soit le lieu de la manifestation ou la cible visée ;
Considérant par ailleurs, que le groupement a appelé à une nouvelle action de mobilisation en Maurienne, les 17 et 18 juin 2023, contre l’aménagement de la ligne de TGV Lyon Turin, mobilisation internationale faisant également intervenir des groupes contestataires italiens du mouvement no-TAV, également violents ; que les mots d’ordre lancés par le groupement (« Pour que ce projet ne voit jamais la lumière au bout du tunnel ») traduisent le caractère déterminé et la volonté de faire obstruction à ce chantier, par tout moyen, y compris violent, dans le droit fil des actions précédentes, nonobstant l’interdiction administrative de manifester confirmée par le tribunal administratif de Grenoble ; que l’appel du groupement a rassemblé 3 200 personnes dont 200 à 300 éléments radicaux, seuls un important dispositif policier et une coopération avec les services de police italiens ayant permis d’empêcher l’entrée sur le territoire français de nombreux éléments à risque italiens et entrainé une scission au sein des manifestants expliquant que la manifestation n’ait pas été aussi violente qu’escomptée ;
Considérant en outre que le groupement a appelé à de nouvelles actions de mobilisation du 13 juin au 21 septembre prochain, dans le cadre d’une campagne intitulée « 100 jours pour les sécher », dont le mot d’ordre est celui de « la créativité et de l’audace » à l’encontre des « accapareurs de l’eau » faisant le pari que « s’il [l’Etat] peut mettre de milliers de flics dans un chantier de bassines à Sainte-Soline ou devant le Conseil constitutionnel, il est incapable de protéger tout ce qui nous assèche » ; que sont désignées parmi ces cibles les « institutions complices d’écocide, [parmi lesquelles des administrations ou services publics], les acteurs du complexe agro-industriel, les entreprises qui privatisent l’eau et les accapareurs de l’eau » ; que le groupement invite à « imaginer ensuite des modes d’action pour leur en faire voir de toutes les couleurs … par des désarmements inopinés, des blocages, des occupations et des surgissements… » ; que la méthode préconisée pour y parvenir est des plus explicite : invitation à réaliser des actions de sabotage ou de destruction, à leur donner un « caractère spectaculaire » pour leur assurer un maximum de visibilité, par leur diffusion et leur valorisation sur les réseaux sociaux ;
Considérant qu’aucune cause ne justifie les agissements particulièrement nombreux et violents auxquels appelle et provoque le groupement SLT par l’intermédiaire de sa communication et auxquels ses membres et sympathisants participent ; que l’ensemble de ces éléments confirme que le groupement de fait « Les soulèvements de la Terre » doit être regardé comme provoquant à des agissements violents à l’encontre des personnes ou des biens ; que par suite, il y a lieu d’en prononcer la dissolution sur le fondement du 1° de l’article L. 212-1 du code de la sécurité intérieure ;
Le conseil des ministres entendu,
Décrète :
- Article 1
Le groupement de fait « Les Soulèvements de la Terre » est dissous. - Article 2
La Première ministre et le ministre de l’intérieur et des outre-mer sont responsables, chacun en ce qui le concerne, de l’application du présent décret, qui sera publié au Journal officiel de la République française.
Fait le 21 juin 2023.
Emmanuel Macron
Par le Président de la République :
La Première ministre,
Élisabeth Borne
Le ministre de l’intérieur et des outre-mer,
Gérald Darmanin
(1) Auteur de l’ouvrage « Comment saboter un pipeline ? » La Fabrique Editions, 2020.
Nota. – L’identité des personnes mentionnées dans les motifs du présent décret figure dans le texte intégral du décret notifié aux représentants du groupement de fait dissout.
1 https://basta.media/IMG/pdf/lsdlt-appel-prog-finale.pdf
2 https://lessoulevementsdelaterre.org/blog/tag/luttes-amies
3 https://blog.leclubdesjuristes.com/dissolution-de-lassociation-les-soulevements-de-la-terre-la-liberte-constitutionnelle-dassociation-face-a-lordre-public-un-combat-inegal-par-guill/