La lecture à l’Assemblée

Par S. Langlois

Nous avons déjà commenté ce texte dans un article récent. Il s’agit du rapport de la « Mission d’information sur l’apprentissage de la lecture », de l’Assemblée nationale. Nous avions alors mis l’accent sur l’extrait concernant le « risque d’une perturbation des apprentissages par le numérique », la mission allant dans la même direction – un certain désenchantement à l’égard de la technique – que l’UNESCO ou le Conseil national des programmes. Cet état d’esprit des institutions a d’ailleurs produit un nouvel exemple avec les travaux de la commission sur l’exposition des jeunes aux écrans.

Nous revenons ici sur le texte de l’Assemblée Nationale pour quelques courtes remarques sur le sujet de la lecture et la manière dont il est traité, et maltraité.

1/ Quelle est la légitimité de l’Assemblée nationale sur un tel sujet ?

Evidemment, la compétence du parlement sur les questions de politique éducative est bien établie. Rappelons tout-de-même qu’elle ne dérive pas de l’importance du service public de l’éducation en France ; ce serait inverser l’ordre des facteurs. Même si la plupart des écoles étaient privées, autonomes, etc, la législation de l’éducation resterait du ressort du parlement.

Mais où s’arrête la compétence législative, et, in fine celle de l’état ? Car, contrairement à ce que supposent les étatistes, la compétence de l’état dans ce domaine est nécessairement limitée.

Le texte de la mission nous en fournit quelques exemples par l’absurde. L’opinion des deux rapporteurs sur l’origine des résultats consternants des jeunes Français aux derniers tests d’évaluation repose sur la persistance de la méthode globale d’apprentissage de la lecture, sous la forme des « méthodes mixtes », malgré le consensus scientifique en faveur de la méthode syllabique et les instructions ministérielles.

Si une telle opinion s’appuyait sur un débat, des enquêtes contradictoires (et non pas allant dans le seul sens des rapporteurs), on pourrait accepter une conclusion qui viendrait seulement prendre acte d’une forme de consensus. Mais ici, les députés discutent du détail des méthodes, veulent voir disparaître les « mots-outils », se mêlent de valider certains documents tels que le fameux « guide orange ». On atteint un sommet dans l’ingérence politique avec le descriptif détaillé de ce que devraient contenir les futurs manuels labellisés ! Bref ces députés s’imaginent et s’auto-désignent comme autorité compétente en matière de méthode et de contenu de l’enseignement de la lecture. Aussi faut-il rappeler, face à cet excès de pouvoir politique, que l’état n’est pas compétent pour la culture, mais pour la politique culturelle, pas pour l’enseignement mais pour la politique de l’enseignement. Il s’agit d’une incompétence de principe. La définition du discriminant dans une équation du second degré n’entre pas et n’entrera jamais dans l’ordre des décisions que peut prendre un parlement. L’utilisation de « mots-outils », la durée d’apprentissage du déchiffrement …non plus. Ivan Ilitch avait su insister sur cette nécessaire séparation des ordres, culture et politique, sur l’indépendance de la vie de l’esprit par rapport à l’état, qu’il s’agisse de la relation ou de la machine étatique. Il faut dire aussi que ces ingérences des politiques dans la vie des écoles ont quelque chose de risible.

2/La première partie du texte est moins discutable que ce passage où les rapporteurs ont cru bon de s’improviser inspecteurs généraux, comme si le ministère en manquait ! Les députés se sont contentés ici de rassembler les données de différentes enquêtes et ce travail n’est pas inutile. Il y a seulement un oubli à relever mais il est de taille. Rendant compte des célèbres évaluations PISA, et des mauvais résultats des Français, les députés omettent seulement de mentionner que la moyenne générale des pays de l’OCDE stagne aussi, voire recule depuis 2000. Les jeunes Français, après avoir été légèrement au-dessus de la moyenne, sont légèrement au-dessous. Le fait central et massif, c’est que le savoir-lire et le savoir-écrire, pardon, la « littératie » ne progressent plus dans les pays développés de l’OCDE. Cette stagnation ne peut donc être rapportée à la seule question des méthodes.

3/ En réalité les causes du recul de la culture écrite dans les sociétés des pays dits développés sont multiples et elles se combinent. Les méthodes approximatives d’apprentissage de la lecture y contribuent. Elles ne remontent pas aux années 70 comme croient pouvoir l’écrire les parlementaires, mais plutôt à la fin du XIXème siècle. Dès 1988, dans les Commentaires, Guy Debord a décrit les grands traits de cette involution de la culture dans la société du spectacle. Mais les politiques préfèrent détourner les critiques en chargeant les enseignants de toutes les responsabilités. Le nom d’Allègre, proche de Jospin puis de Sarkozy, est resté attaché, parmi d’autres clowneries retentissantes, à ce style de charge haineuse contre les mauvais maîtres. Leur dernier méfait, d’après l’Assemblée nationale : les mots-outils !

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