
Il existe malheureusement plus d’une similitude entre la période de l’entre-deux guerres et la période actuelle : la menace extérieure – hier, les nazis, aujourd’hui, la Russie ; la puissance des divers totalitarismes; la mise en place de régimes autoritaires ; la montée de l’extrême-droite ; l’anti-sémitisme et le racisme ; l’impuissance des forces démocratiques. Un autre point commun est la confusion intellectuelle et idéologique.
Nous conseillons vivement de regarder le documentaire de Florent Leone et Christophe Weber, « Quand la gauche collaborait 1939-1945 ». S’appuyant notamment sur les travaux de Pascal Ory et Simon Epstein, il rappelle que non seulement de nombreux responsables de la gauche et de l’extrême gauche se sont compromis avec le pétainisme et le collaborationnisme, assez souvent par pacifisme, mais que certains sont devenus explicitement fascistes, voire ont purement et simplement révélé une sorte de fascisme latent enrobé dans une apparence de gauche. A côté de cas connus comme Doriot et Déat, le documentaire rappelle de nombreuses figures comme Luchaire, et Barbé, et Celor, les deux derniers ayant dirigé le PCF avant Thorez dans la période « classe contre classe ».
Voici un autre exemple, peut-être moins repéré, bien qu’il soit une référence centrale de l’extrême – droite actuelle, en particulier chez les identitaires du Rassemblement National, comme Bardella, et les « païens » de la nouvelle droite, comme Vial.
Marc Augier, à l’époque du Front populaire, était un jeune homme, socialiste de « convictions », féru d’alpinisme et de sport, pionnier des Auberges de jeunesse, ce qu’on appelait un « ajiste ». Il entra au cabinet de Léo Lagrange, le ministre socialiste de la jeunesse et des sports. La rencontre avec les Hitlerjugend lors d’un voyage en Allemagne et la lecture malencontreuse de « La Gerbe des forces », un livre du romancier anti-sémite Alphonse de Chateaubriant suffirent à le transformer en nazi pour le reste de sa vie. A la différence des parcours tortueux, en zig-zags, qui conduisent, à travers des transgressions successives, un Déat ou un Doriot du socialisme et du bolchevisme à l’hitlérisme, ces deux épisodes montrent que le fascisme de Marc Augier existait en quelque sorte à l’état latent et n’attendait que d’être révélé. Ses états de service en faveur de l’hitlérisme sont impressionnants : rédacteur de « La Gerbe », l’hebdomadaire collaborationniste créé par Chateaubriant, animateur du groupe Collaboration, créateur en 41 des Jeunes de l’Europe nouvelle, membre de la Légion des Volontaires Français contre le bolchévisme, dont il dirige le journal, le Combattant européen, puis membre de la Waffen SS, dans la division Charlemagne. Condamné à mort après la Libération, il bénéficie finalement de la loi d’amnistie de 1953.
Il reprend alors une activité de romancier sous le pseudonyme de Saint Loup. L’Académie Goncourt envisage de lui décerner son prix pour La Nuit commence au Cap Horn, mais y renonce après que Le Figaro littéraire ait révélé l’identité de l’auteur. Auteur prolifique, Augier est le plus souvent sous estimé à gauche et considéré comme un plumitif du second rayon et un excité nostalgique; en tout cas, on ne le lit pas. C’est pourtant un auteur influent qui, aussi bien grâce à ses nombreux livres militaristes (Les Volontaires, Les Hérétiques…), que dans ses romans du cycle des « patries charnelles », est devenu et reste jusqu’à aujourd’hui un des principaux formateurs intellectuels et en tout cas l’auteur vedette des cadres de l’extrême droite, en particulier des courants identitaires, européens ou régionalistes, et païens. Il est présenté comme un « passeur » par les animateurs de la nouvelle droite, Pierre Vial et Jean Mabire. Ses fictions, qui se présentent comme de pseudo-mythes initiatiques, sont omniprésentes dans les bibliothèques des néo-fascistes du XXIème siècle. Il a préparé la place à Raspail ou Renaud Camus. Il écrivait encore, en 1976, à propos de Hitler, « Une partie de l’Europe a craché sur le prophète que les dieux lui avaient envoyé et qui était tout de même « bien de chez nous ». Mais il faudra payer ! » (2). En 1991, à sa mort, Pierre Vial le désignait dans la revue Eléments comme un « grand inspiré » en ces termes : « Saint-Loup a fait œuvre de grand inspiré. Aux garçons et filles qui, fascinés par l’appel du paganisme, s’interrogent sur le meilleur guide pour découvrir l’éternelle âme païenne, il faut remettre, comme un viatique, ce testament spirituel. Aujourd’hui, Saint-Loup est parti vers le soleil. Au revoir, camarade ! Du paradis des guerriers, où tu festoies aux côtés des porteurs d’épée de nos combats millénaires, adresse-nous un fraternel salut ! …etc etc »(3).
On espère, pour les intellectuels de gauche séduits par la dé-diabolisation de l’extrême-droite et avides de faire la couverture d’une des revues d’Alain de Benoit qu’ils ne soient pas aussi sensibles que leurs nouveaux collègues à tous ces viatiques, testaments, soleils et autres paradis guerriers.
En attendant, initiez vous aux vrais risques de la confusion en regardant « Quand la gauche collaborait ».
(1)Florent Leone et Christophe Weber « Quand la gauche collaborait 1939-1945 » https://www.dailymotion.com/video/x6c6jbs
(2) Saint-Loup, Défense de l’Occident, n°136, mars 1976.
(3) Pierre Vial, Éléments n°70 (avril 1991).
Photo: meeting du parti fasciste « Parti du Peuple Français », avec Jacques Doriot, ancien dirigeant du PCF.