Erosion du savoir-lire

[Sequoyah inventeur de l’alphabet cherokee]

Par S.Langlois

23 septembre 2024

L’érosion du savoir lire est attestée, en ce qui concerne la France, depuis la dernière décennie du XXème siècle. Elle accompagne, ce qui n’a rien d’étonnant, la baisse de la lecture elle-même. Cette tendance n’est pas particulière à la France ; elle affecte toutes les sociétés du spectacle : le savoir-lire baisse dans les pays de l’OCDE pris comme un tout. Il est cependant intéressant de regarder la situation spécifique de la France telle que la révèle le test d’évaluation de la lecture qui est conduit, tous les ans, à l’occasion de la « Journée Défense et Citoyenneté (JDC) ». Cette enquête est l’entrée principale pour connaître la situation du savoir-lire des jeunes Français âgés de 16 et 17 ans.

Ce dispositif est d’une grande pertinence puisqu’il ne s’appuie pas sur l’étude d’un échantillon, aussi représentatif soit-il, mais sur une mesure des performances exhaustive pour chaque classe d’âge, autour de 750 ou 800 000 personnes. L’évaluation est annuelle : une telle fréquence est exceptionnelle. Les résultats sont publiés un an après le test, assez régulièrement ; nous disposons de ceux de la Journée 2023, depuis août dernier (1)

En 2023, donc, 794 800 jeunes, âgés de 16 à 25 ans ont participé à ces tests.

Les données de cette évaluation sont très proches de celles de l’année précédente.

Le principal résultat, et le plus remarquable, est l’importance du nombre et de la proportion de jeunes qui sont en difficulté de lecture.

L’étude révèle que 11,8% des jeunes rencontrent des difficultés sérieuses. Pour 5 % du total, ces difficultés sont suffisamment sévères pour qu’on puisse les considérer comme « illettrés » selon les critères de l’Agence Nationale de lutte contre l’illettrisme. Sans être illettrés, 6,8 % ont de très faibles capacités de lecture et sont incapables de réaliser les « traitements complexes » caractéristiques de l’opération de lecture.

Les problèmes de lecture des jeunes ne se limitent pas à ces catégories de jeunes qui rencontrent de sérieuses difficultés. Une autre catégorie est composée de « lecteurs médiocres », soit 9,7 % du total.

Finalement l’étude affiche 78,6 % de « lecteurs efficaces ». Mais seulement 67 % des jeunes réussissent les trois modules de l’évaluation et se situent donc au niveau attendu théoriquement à cet âge. 11,6 % des jeunes n’ont pas la vitesse requise pour traiter les écrits et font appel au lexique oral, par manque de pratique de la lecture.

L’étude indique que la « question qui se pose pour ces jeunes (de la dernière catégorie) reste celle des effets d’un éventuel éloignement des pratiques de lecture et d’écriture, le risque est que l’érosion de la compétence les entraine vers une perte d’efficacité importante dans l’usage des écrits ».

Autrement dit, synthétiquement, un jeune sur trois n’est pas au niveau minimum attendu.

Cette situation n’est plus nouvelle ; elle est devenue structurelle. En 2009, l’Amiral Alain Béreau, en charge de cette opération pour le ministère de la défense, faisait déjà remarquer que « l’analyse des résultats de l’ensemble des jeunes s’étant présentés chaque année aux JAPD depuis cinq ans s’avère remarquablement cohérent et stable d’année en année. » A cette époque, 11 à 12% des jeunes étaient en réelle difficulté avec la lecture ; près de 10% supplémentaires étaient des lecteurs médiocres ; le pourcentage de lecteurs sans aucune difficulté était environ de 65%.

Cette évaluation comprend d’autres résultats importants.

Les jeunes qui participent aux tests ont des niveaux d’étude différents. Or les tests révèlent chez les jeunes ayant fait des études courtes une proportion anormalement élevée de jeunes ayant des difficultés de lecture. C’est ainsi que les jeunes qui n’ont pas dépassé le niveau du collège sont près d’un sur deux (48,9 %) à avoir de réelles difficultés de lecture. Et ils sont encore 33,3 % chez les jeunes sortis aux niveaux du CAP ou du BEP.

L’étude, selon une tendance générale, confirme le meilleur score des filles: « seulement » 9,7 % à connaitre des difficultés avec la lecture pour 13,6 % chez les garçons.

Les régions ou départements qui connaissent la situation la plus difficile sont l’Outre-Mer, les départements du Nord de la France (l’Aisne, la Somme, l’Aube), ou encadrant l’Ile-de-France (Nièvre, Yonne), et la Seine-Saint-Denis.

L’érosion du savoir-lire s’accompagne d’une polarisation et d’une inégalité culturelles grandissantes. Les données sur les pratiques de lecture, venant du ministère de la Culture, vont dans le même sens.

La lecture est un savoir des commencements. L’érosion du savoir-lire entraîne celle de l’attention et de la logique, du vocabulaire et de l’expression, de la mémoire et des connaissances.

  • MEN.DEPP. Note d’information n°24.32.  24. Hugo Giraudeau-Barthet « Journée défense et citoyenneté 2023 : un jeune Français sur vingt en situation d’illettrisme »

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