L’affaire des assistants fictifs du RN

Par André Viète

Nous poursuivons notre série d’articles sur le Rassemblement National avec une analyse d’un ami juriste sur l’affaire des assistants parlementaires fictifs des élus RN au Parlement européen.

En elle-même l’affaire est des plus simples. La mauvaise foi des responsables du parti d’extrême droite est flagrante et elle ne nécessiterait, de prime abord, que quelques commentaires sur le goût constant et pour ainsi dire historique de ce parti et de ses dirigeants pour les financements douteux. Mais le type de défense retenue par Marine Le Pen donne à toute l’affaire une dimension politique, en ce qu’elle révèle crûment à quel point le parti extrémiste n’est pas « un parti comme les autres », en dépit de toutes les dé-diabolisations, et en quoi le régime qu’il mettrait en place, s’il parvenait au pouvoir, s’écarterait sensiblement de l’état constitutionnel actuel.

ASPECTS FINANCIERS DE L’AFFAIRE

Le RN comme tous les groupes politiques reçoit du Parlement Européen une dotation de crédits de fonctionnement lui permettant de rémunérer les assistants des élus. Le procès devrait confirmer ce que tout le monde sait. Certains de ces assistants n’en avaient nullement la qualité comme Thierry Légier, le garde du corps de la famille Le Pen. Sur ce dossier la somme correspondante a été remboursée et donc reconnue par Marine Le Pen en septembre 2023.

Mais le gros de l’affaire recouvre des cas d’assistants fictifs qui figuraient souvent sur l’organigramme du FN ou du RN, et travaillaient essentiellement pour l’appareil ou les personnalités du parti, et non pour sa participation au Parlement européen. La perte globale n’est pas négligeable puisqu’elle est évaluée par Le Parlement européen à près de 5 M Euros.

Le système de défense de Marine Le Pen repose sur une soi-disant « conception française » de la vie parlementaire qui donnerait toute liberté aux partis financés sur des fonds publics d’utiliser discrétionnairement ces subventions et interdirait au Parlement, sous prétexte de protection des libertés, d’en contrôler l’usage.

Il est souvent fait référence au jugement rendu le 5 février 2024 dans une affaire très similaire concernant le Modem. Deux différences doivent cependant être soulignées :

  • Les sommes en jeu pour le Modem étaient sensiblement moins importantes. Le Parlement européen les avait évaluées à 293 000 Euros.
  • Les représentants du Modem, à la différence de Marine Le Pen, n’ont nullement remis en cause le principe de l’accusation, acceptant d’entrée de jeu l’idée que la dotation devait être utilisée seulement pour un travail dans le cadre du parlement européen.

Les deux partis concernés (UDF et Modem) ont été condamnés globalement à 500 000 Euros d’amende. Les peines individuelles s’étageaient de 12 à 24 mois de prison avec sursis, et 2 ans d’inéligibilité avec sursis. Les conséquences politiques ont été assez importantes, Bayrou privé de ministère et Goulard de poste de commissaire européen.

ASPECTS POLITIQUES DE L’AFFAIRE

L’affaire dure depuis longtemps et Marine Le Pen a su éviter qu’elle soit jugée à un moment politiquement plus critique, comme la proximité des élections. D’une certaine façon, elle a su maitriser le tempo général de la procédure.

Il est vraisemblable que les dirigeants du RN parient sur l’opposition de nombreux Français, particulièrement dans leur électorat, à la techno-bureaucratie européenne. Finalement, prendre les subventions de Bruxelles et les détourner pourrait ici passer pour une forme de roublardise gauloise. Et il est vrai que l’extrême prudence des commentateurs, y compris de ceux qui se présentent comme des adversaires de l’extrême droite, ne fait que conforter ce type de réactions. Il n’est question que d’irrégularité, et du risque d’inéligibilité que pourrait encourir Marine Le Pen (on a vu sur ce deuxième point que, dans l’affaire Modem, les responsables avaient été condamnés à l’inéligibilité avec sursis).

Pourtant, « l’Affaire des assistants fictifs », pour conserver ce titre à la Chesterton, est autrement plus sérieuse et plus grave sur le plan politique.

Marine Le Pen a raison sur un point : il faut limiter les éventuels empiètements des administratifs du Parlement européen sur la vie interne des partis.

Pour le reste, sa situation est mauvaise et sa défense confirmera dans leur opinion tous ceux qui pensent que le RN est bien un parti d’extrême droite.

Contrairement à ce que soutient Marine Le Pen, avocate d’elle-même en l’occurrence, tout ne se passe pas entre le parlement et le parti. Le sujet est loin de se limiter à la question « Le RN a-t-il violé le règlement du Parlement européen ? ».

Il faut ici faire intervenir un troisième acteur qui n’est personne d’autre que l’électeur. En choisissant de voter pour le RN aux élections européennes, l’électeur n’a nullement entendu cotiser au parti, ni abonder la cagnotte personnelle de tel ou tel dirigeant. Il peut très bien voter RN aux européennes, et non aux législatives ou à la présidentielle. Il est comme tous les électeurs, le mandant, celui qui donne le pouvoir, et le parlementaire RN est le mandataire, celui qui reçoit le pouvoir, en l’espèce de siéger au parlement européen. Le parlementaire RN, comme mandataire, doit rendre des comptes à tous les électeurs, comptes qui portent d’abord sur son activité au parlement européen. Lié par son mandat, il n’a ni la liberté de transformer ou de déplacer son activité politique, ni le pouvoir d’affecter son ou ses assistants à un travail extérieur au parlement européen.

En défendant une conception centrée sur le parti, où les besoins du parti, quels qu’ils soient, concrétisés ici par l’emploi des assistants, l’emportent sur l’électeur et sa décision, Marine Le Pen ne se contente pas de compléter le détournement financier par un détournement de vote. Dans la mesure où sa défense revient à ériger en norme le détournement de vote, elle avoue – c’est le cas de le dire – qu’elle tourne le dos à la démocratie représentative et au principe électoral, quoi qu’on en pense par ailleurs. Dans sa conception, l’élection ne vise pas à désigner des représentants pour une responsabilité, organisée autour d’un mandat, mais les membres d’une oligarchie non responsable qui doit bien être entretenue. En réalité, le FN et le RN n’ont jamais cessé d’être des vecteurs de l’auto-création d’une oligarchie partidaire.

Dans de telles conditions, où le citoyen et l’électeur sont dépossédés de leurs droits au profit de, et par le parti oligopolistique, on est en droit de considérer avec scepticisme le pseudo engouement du RN pour les referendums d’initiative citoyenne.

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