
Par Jack Rackam
[Mises à jour importantes le 03 et 04/02/2025]
Pour faciliter la découverte d’Albert Libertad et du groupe des Causeries Populaires, nous présentons ici, dans la continuité de l’émission sur Radio Libertaire, quelques pistes bibliographiques.
On se doute que la circulation des textes caractéristiques d’une certaine anarchie, c’est-à-dire d’une contre-culture, ou d’une littérature mineure, ne relève pas des facilités de l’industrie littéraire même quand elle se pique d’être d’extrême gauche.
C’est pourquoi nous avons pensé que quelques précisions sur les essais difficiles mais répétés, et même entêtés pour faire revivre l’expérience et les idées d’Albert Libertad pourraient avoir leur place ici.
Il existe trois ouvrages comprenant une sélection d’articles d’Albert Libertad et des éléments biographiques. Deux d’entre eux (1976 et 2006) ne sont plus disponibles en librairie. Mais on peut parfois les trouver d’occasion sur internet.
1/ Le plus ancien est une édition à l’initiative de Roger Langlais en 1976 et s’intitule « Le culte de la charogne ».
Roger Langlais (1941-2018) était peintre et graveur, essayiste, éditeur et bouquiniste. « Anarcho-situationniste », il était l’ami de Gil Wolman et d’Ivan Chtcheglov. Il ne doit pas être confondu avec son frère Gaëtan Langlais, membre de l’Internationale Lettriste. A la mort d’André Breton, il fut l’inspirateur de la « une » du Monde libertaire de novembre 1966 – n° 126 – qui annonçait : « André Breton est mort. Aragon est vivant… C’est un double malheur pour la pensée honnête. »
Entre 1976 et 1978, Roger Langlais entreprit de re-publier, outre Libertad, Coeurderoy, Emile Henry et Pouget. En 1978, il travailla, avec Marcel Mariën, à une ré-édition, en fac-similé, des douze numéros de la revue surréaliste belge Les Lèvres nues (1954-1958) qui fit date.
Il fut l’un des fondateurs et animateurs de la revue L’Assommoir, dont on remarqua le premier numéro « La France stalinienne ». Jaime Semprun participa à cette revue. Sept numéros parurent entre 1978 et 1985.
Le titre développé du livre est « Le Culte de la charogne et autres textes choisis et présentés par Roger Langlais ». Au total, quarante-deux articles, ainsi que d’autres documents (placards). L’introduction de Langlais est centrée sur la réhabilitation de Libertad. Les notes biographiques sont intéressantes et ont longtemps été la principale source sur ce sujet. Il manque certains articles importants ; et la présentation « thématique », sans souci chronologique, ne facilite pas la recherche.
Le livre fut publié aux Editions Galilée, dans la collection que dirigeait Max Chaleil, et qui hébergea l’anthologie du « Père Peinard » de Pouget, rassemblée elle aussi par Langlais.
« Albert Libertad. Le culte de la charogne, et autres textes choisis et présentés par Roger Langlais ». Paris Galilée 1976.
2/ Le livre de Langlais étant devenu indisponible, plusieurs personnes, dont Francis Romanetti, souhaitaient le voir repris sous une nouvelle version améliorée.
Charles Jacquier fut l’éditeur scientifique et le coordinateur de cette nouvelle version aux Editions Agone. Il était à l’époque responsable chez cet éditeur de la collection Mémoires Sociales qu’il avait fondée, et le demeura jusqu’en 2013. Le livre parût en 2006, soit trente ans après l’édition Langlais, sous le titre « Le Culte de la Charogne. Anarchisme, un état de révolution permanente (1897-1908) ».
Editeur et postier, essayiste et sociologue, Charles Jacquier est à l’origine de la réédition de nombreux auteurs : Dommanget, Marcel Martinet, Victor Serge, Daniel Guérin, Louis Mercier Véga, Simone Weil. Il a publié en 2020 un « Boris Souvarine, la contre-révolution en marche ». Récemment, il a donné une excellente introduction à la réédition de la « Terreur sous Lénine », de Jacques Baynac. Il coordonne le cahier Pages de la revue Brasero.
Plusieurs contributeurs participèrent à cette édition : Héléna Autexier, Michel Caïetti, Frédéric Cotton, Thierry Discepolo, Freddy Gomez, Charles Jacquier et Gilles Le Beuze.
Marianne Enckell, Gaetano Manfredonia, Nico Jassies prirent part aussi à l’opération.
Cette reprise est sensiblement différente de la première édition. Elle comprend quatre vingt seize articles, soit plus du double, annotés, indexés, et classés par ordre chronologique. L’introduction de Roger Langlais a été remplacée par un texte d’Alain Accardo, décision qui entraina les protestations de Freddy Gomez. Charles Jacquier situe l’édition. Gaetano Manfredonia présente un texte de réhabilitation de Libertad : « Libertad est un camarade !».
Aujourd’hui épuisé, le livre est proposé en version numérique sur la plateforme en ligne payante Cairn.
« Le culte de la charogne: Anarchisme, un état de révolution permanente (1897-1908) », 2003 de Albert Libertad (Auteur), Alain Accardo (Préface), Gaetano Manfredonia (Postface), Agone.
3/ En 2013, les Mutines Séditions firent paraître leur propre anthologie de Libertad, sous le titre « Et que crève le vieux monde ! ». Dans cette collection « Classiques de la subversion », elles ont publié aussi Joseph Déjacque et Zo d’Axa (« De Mazas à Jérusalem »).
Cette nouvelle édition comprend trente neuf articles, avec des notes d’éditeur, présentées par ordre chronologique. Une préface, signée « un insurgé », est reprise d’une édition néerlandaise, « Albert Libertad. Niet morgen, vandaag ! » (Tumult, Bruxelles, 1911).
Le point fort de cette édition est une longue (88 pages) note biographique de Pénélope, intitulée « Un certain sens de l’agitation. Quelques notes biographiques » qui, nous semble-t-il, est le meilleur texte connu aujourd’hui sur la vie de Libertad.
Dans la première publication de cette note, nous indiquions, à tort que ce livre était aujourd’hui épuisé. Les Mutines Séditions nous font savoir qu’il n’en est rien. Elles ajoutent:
« Et enfin, si la première édition était certes de 2013 comme indiqué dans
votre article, nous avons ensuite sorti une deuxième version, revue et
corrigée en juin 2018 (et augmentée de nouvelles illustrations par
exemple), qui est celle qui circule depuis quelques années. »
« Albert Libertad – Et que crève le vieux monde ! Articles choisis & textes inédits (1897-1908) » 2013 et 2018 Mutines Séditions
A côté de ces trois versions d’une anthologie de Libertad, il est possible de trouver certains de ses textes sous forme numérique.
4/ [MAJ] La source la plus intéressante est celle que nous a indiquée Loopi, en commentaire de l’article sur l’émission Radio Libertaire: « Les numéros de « l’anarchie » sont aussi disponibles sur Archives Autonomies »: https://archivesautonomies.org/spip.php?article88
La « Bibliothèque anarchiste » renvoie à 19 articles :
https://fr.anarchistlibraries.net/category/author/libertad-albert
« Anarlivres » propose une bibliographie mixte, de livres ou brochures imprimés, et de sites ou de brochures numérisées, telles que la brochure du Groupe Libertad de la FA (12 textes) :
http://anarlivres.free.fr/pages/biblio/complements/libertad.html
« Gallica », la bibliothèque numérique de la Bibliothèque nationale de France, propose vingt-deux numéros de « l’anarchie », soit, pour la période de Libertad, de 1905 à 1908, douze numéros. Libertad a souvent utilisé des pseudonymes pour écrire deux ou trois articles dans le même numéro. On apprend beaucoup en consultant les fac-similés numériques des journaux ou des brochures (ou les collections originales en bibliothèques) : des informations sur les activités de Libertad, le titre de ses conférences, les livres proposés à la vente, les illustrations ou les placards, et, évidemment, les articles des autres auteurs.
Le texte d’André Colomer – Le Roman des « bandits tragiques » comprenait un large extrait sur Libertad (indiqué par Loopi)
5/ Ainsi la connaissance d’Albert Libertad et du premier groupe de « l’anarchie » a quelque peu progressé avec les rééditions et la mise à disposition des textes originaux. Mais c’est surtout le travail des historiens, Anne Steiner et Gaetano Manfredonia, qui a permis de passer d’une lecture de témoignages à une étude historique et politique plus approfondie, soulevant en particulier la question de l’actualité des conceptions et de l’expérience de Libertad et de ses proches. On remarque que ce renouvellement et cet approfondissement proviennent strictement d’une histoire favorable à l’anarchisme.
Anne Steiner a contribué à faire connaître le groupe des Causeries populaires et les En Dehors en général dans plusieurs livres et articles. Le plus important est « Les En Dehors » : même s’il ne traite pas principalement de Libertad, assumant de centrer son exposé autour de Rirette Maitrejean, selon la méthode revendiquée des « vies minuscules », il comprend l’essentiel sur la période 1902-1908. Anne Steiner est d’autre part l’auteur de la notice du Maitron sur Libertad. Outre Rirette Maitrejean, elle a permis de redécouvrir les femmes anarchistes individualistes telles Anna Mahé, Emilie Lamotte, Jeanne Morand. Loin de toute polémique affectée, elle a contribué à rétablir les fondamentaux du courant individualiste, largement maltraités et incompris, notamment dans le Mouvement anarchiste en France de Maitron lui-même. Sa connaissance de l’histoire sociale de la « Re-Belle Epoque » lui permet de restituer la réalité de l’expérience collective des En Dehors. Elle est la première à avoir souligné, à propos du groupe animé par Libertad, l’effet conjoint de la jeunesse des membres du groupe et de l’expérience initiatrice de l’école républicaine.
« Notice Libertad Albert », par Anne Steiner, Maitron en ligne
LIBERTAD (Albert, Joseph, dit) [Dictionnaire des anarchistes] – Maitron
« Les En Dehors. Anarchistes individualistes et illégalistes à la Belle Epoque », Les Editions L’Echappée, 2019, 288p.
« Les militantes anarchistes : des femmes libres à la Belle Epoque », Amnis, 8/2008 http://journals.openedition.org/amnis/1057
« Vivre l’anarchie ici et maintenant : milieux libres et colonies libertaires à la Belle Epoque », Cahiers d’histoire, Revue d’histoire critique, 133/2016, p 48-53. http://journals.openedition.org/chrhc/5503
« Anna Mahé, de l’anarchie au jokari », Brasero n°1, Les Editions L’Echappée, novembre 2022
On lira aussi avec intérêt une interview d’Anne Steiner dans Ballast :
« Ce qui m’intéresse, ce sont les vies minuscules ».
6/ Gaetano Manfredonia a contribué à faire redécouvrir Libertad, dès ses premiers travaux sur l’individualisme anarchiste en France. On lit toujours avec profit le tiré à part de sa thèse sous forme de brochure, « Libertad et le mouvement des causeries populaires ».
« L’Individualisme anarchiste en France, 1880-1914 », thèse de 3e cycle sous la dir. de Raoul Girardet, IEP Paris, 1984, 559 p. [CIRA-M]
« Libertad et le mouvement des causeries populaires », 70 p, Les brochures de la Question Sociale, 1998.
La lecture que donne Manfredonia du mouvement des Causeries Populaires se rattache à sa proposition d’une nouvelle typologie du mouvement anarchiste, candidate à remplacer la partition classique en trois tendances, individualiste, communiste libertaire, anarcho-syndicaliste. Dans son livre « Anarchisme et changement social », il distingue ainsi trois idéaux-types du changement social dans une perspective anarchiste : insurrectionnel, syndicaliste et « éducationniste -réalisateur ». Le groupe de Libertad relèverait ainsi du troisième type, combiné avec certains éléments des deux autres types.
« Anarchisme et changement social : Insurrectionnalisme, syndicalisme, éducationnisme-réalisateur », Lyon, Atelier de création libertaire, 2007, 347 p.
7/ Alain Giffard a proposé une interprétation de l’éducationnisme et de l’individualisme d’Albert Libertad, d’Anna Mahé et du groupe des Causeries Populaires autour d’une politique d’auto-éducation et un programme d’action inspiré par la culture de soi.
« Techniques de soi et savoirs subalternes : le groupe des Causeries Populaires » 2021
« Vacances anarchistes » 2023