Villeneuve Saint-George : pas de mairie pour Louis Boyard

[L’arroseur arrosé]

Par Jack Rackham

14/02/2025

« En allant dérailler à Villeneuve-Saint-Georges, le Paris-Saint-Etienne fit beaucoup pour la réputation de cette bonne ville. Du jour au lendemain, son nom était sur toutes les lèvres. »

Préface de Georges Brassens à : René Fallet, Banlieue Sud-Est

Les commentaires sur les résultats du deuxième tour des élections municipales de Villeneuve Saint Georges ont été presque unanimes et n’ont guère varié que par le degré de malice apportée à commenter l’échec de la stratégie de Jean Luc Mélenchon et Louis Boyard.

A y regarder de plus près, cependant, certains détails sont intéressants à creuser, et il n’est pas mauvais d’essayer d’adopter un point de vue un peu moins stéréotypé, et d’abord un peu plus historique, sur le profil politique de cette banlieue ouvrière.

Villeneuve-Saint-Georges est donc une commune française située dans le département du Val-de-Marne, en région Ile-de-France. Elle est forte de 36 170 habitants (2022), dont 13 601 immigrés (2021). Le salaire mensuel net moyen s’élève en 2022 à 2051 Euros net par mois. Longtemps la ville a été le siège de la plus grande gare de triage d’Europe, avec une population très marquée par sa relation avec la SNCF et les cheminots.

Lorsqu’il y avait encore un mouvement ouvrier digne de ce nom, Villeneuve Saint Georges évoquait, sans hésitation, la longue grève des ouvriers des carrières de Draveil à l’été 1908, l’enterrement d’Emile Giobellina, 18 ans, tué par balles par la police, et la grande manifestation du 30 juillet 1908, à la suite de laquelle Clemenceau fit arrêter trente dirigeants nationaux de la CGT dont Victor Griffuelhes.

Le schéma politique résumé par la formule de  » la ceinture rouge  » autour de Paris consiste en général à faire se succéder une situation hégémonique du Parti communiste, sur une longue durée, puis une poussée, lente et assez régulière, de la droite avec des percées limitées de l’extrême droite. Qu’en est-il pour Villeneuve Saint Georges ?

Sur le plan parlementaire, après la Seconde Guerre, la situation est dominée par la personnalité de Georges Gosnat. Figure assez pure du stalinisme, Gosnat a été formé aux plus hauts degrés de l’Internationale communiste. Favori de Maurice Thorez, il est son suppléant puis lui succède dans la 50° circonscription de la Seine, avant de devenir maire d’Ivry. En 1967, il est élu de la 3ème circonscription du Val de Marne, celle que représente brillamment aujourd’hui Louis Boyard. Entre Gosnat et Boyard : Schwartzenberg, dirigeant du Parti radical de gauche, Gonzalez, député de droite, et Laurent Saint Martin, macronien.

Les choses se passent différemment dans la commune de Villeneuve Saint Georges. Le grand homme ici est Marius Faisse. Autant Gosnat est stalinien, autant Faisse est anti-communiste. Cheminot (dans les bureaux), socialiste, il s’opposera avec constance à toutes les alliances des socialistes avec les communistes. Il est maire de Villeneuve Saint Georges de 1957 à 1977, sous l’étiquette SFIO, puis de 1983 à 1989, sous l’étiquette centriste « UDF – Parti Socialiste Démocratique ». Dans une profession de foi de 1961, il se targuait d’avoir éliminé les communistes de la mairie de Villeneuve-Saint-Georges, « bastion bolchevik qui rayonnait sur toutes les communes du canton ». Après Faisse, la mairie est détenue pendant une longue période par le PRG (Schwartzenberg). De mars 2008 à juillet 2020, la maire est Sylvie Altman, du Parti communiste, à la tête d’une liste d’Union de la gauche. Pourtant la gauche cesse d’être majoritaire mais tire parti de la présence d’une liste FN. En 2020, jusqu’à février 2025, le maire est Gaudin, des Républicains, qui se fait connaître par ses excentricités (salut nazi…), et divise sa majorité qui finit par exploser.

Ces précisions électorales un peu fastidieuses révèlent une certaine singularité de Villeneuve Saint Georges, qui distingue la ville du schéma « banlieue rouge (ie : PCF) – passage à droite/extrême-droite ». La ville est le théâtre ancien d’un conflit entre le PC et une gauche sociale-démocrate, anti-totalitaire, anti-communiste, voire centriste. Cette sensibilité politique, à laquelle ne correspond plus aucun parti est en quelque sorte entrainée et dissoute dans la droitisation générale de l’électorat. Cela ne signifie pas qu’elle ait disparu.

Mais on comprend que les succès de LFI en ont été d’autant plus remarquables, semblant interrompre la tendance au glissement vers la droite de la population de Villeneuve. Le plan de conquête de la mairie de Villeneuve a été élaboré en effet à la suite de plusieurs résultats significatifs. En général, LFI est bien représenté dans le Val-de-Marne et ses élu-es ont un rôle important dans le groupe parlementaire : Mathilde Panot, Constance Guetté, Rachelle Kéké.

Aux présidentielles de 2022, Jean Luc Mélenchon obtient 46,19% des voix au premier tour, sur la ville de Villeneuve ; Macron obtient 20,55%, Le Pen et Zemmour, cumulés, 20,44%. Les trois autres candidats de gauche ont des résultats dérisoires.

Aux législatives de 2022, LFI présente donc Louis Boyard, syndicaliste lycéen, puis étudiant. Il l’emporte au deuxième tour contre Laurent Saint Martin, macronien, rapporteur général du budget. Son score (62,36%) est plus important à Villeneuve que sur l’ensemble de la circonscription. Il faut cependant prendre en compte l’abstention : ces 62,36% correspondent à 2613 votants.

Louis Boyard va encore l’emporter au second tour des législatives de 2024, rendues nécessaires par la géniale initiative de dissolution de Macron. Nous donnons les chiffres sur Villeneuve et sur l’ensemble de la circonscription.

Boyard (LFI) : 4 287 (61,16%) ; 21 492 (46,92%)

Barbotin (Ciotti-RN) : 1 630 (23,26%) ; 13 810 (30,15%)

Signor (Renaissance-Ensemble) : 1 092 (15, 58%) ; 10 507 (22,34%).

Bien que le RN apparaisse peu dans les différents scrutins de Villeneuve, il y avait obtenu le plus haut score du département, aux élections européennes du 9 juin 2022, avec 27,33% des voix. Arnaud Barbotin, soutenu en 2024 par le groupe dissident LR de Ciotti et le RN, était alors le secrétaire général du Mouvement des conservateurs, dont nous découvrons l’existence, et qui sera renommé « Identité Libertés » en 2024. C’est le groupe de Marion Maréchal. Arnaud Barbotin vient de Sens Commun, et est proche de Madeleine de Jessey, la diva de Manifs pour tous. Bien que n’étant pas d’excellents arbitres des élégances ultra-montaines, il nous semble que la candidature de Barbotin convenait à Villeneuve comme un faux col à une girafe.

Quoi qu’il en soit, pour Mélenchon et Boyard, la situation semble évidente et prometteuse. Non seulement la circonscription est une bonne base d’implantation, mais, au sein de la circonscription, Villeneuve semble une terre promise aux Insoumis. Le candidat LFI, en position de tête de liste de la gauche, peut compter sur 60% des voix au deuxième tour. Comme Alexis Corbière, ancien membre de LFI, peu enclin à la charité insoumise, le soulignera : « C’était imperdable ». Le plan est alors un peu compliqué afin de réduire à quia la représentation des autres groupes de gauche. L’objectif est de donner la plus large majorité municipale à LFI seule, dans une commune de 30 000 habitants.

Mohammed Ben Yacklef est l’homme tout trouvé pour une telle embrouille. L’homme se dit « anti-raciste contre l’islamophobie et pro Hamas ». Il a « une double identité » et déclare « je suis marxiste-léniniste et musulman ». LFI a donc toutes les raisons de le placer en position éligible. Mohammed Ben Yacklef a aussi un frère ainé, Hamed, qui va créer une liste locale centriste qui grignotera quelques dizaines de sièges à la droite. Le PS proteste mollement contre la place de Ben Yacklef sur la liste. Et pour cause : il entre un peu d’hypocrisie dans sa protestation, puisque Ben Yacklef était déjà élu municipal « à gauche » ! Deux listes de gauche sont donc en rivalité au premier tour du 26/01/2025 : LFI, et PC/PS/Ecolos.

Voici le résultat :

Gaudin, ancien maire, DVD : 653 (15,54%)

Niasme, LLR : 954 (22,70%)

Colson, centre : 572 (13,61%)

Ben Yacklef : 108 (2,57%)

Boyard, LFI : 1046 (24,89%)

Henry, PC, union de la gauche : 870 (20,70%)

La liste conduite par le PC Henry, qui mettra en cause une « division de la gauche imposée d’en haut » (!), se retire en appelant à voter contre la droite. Mais, contrairement à ce que Mélenchon essaiera de suggérer, le total des deux listes de gauche est clairement insuffisant. Il ne reste plus qu’à rêver à la mobilisation pour le deuxième tour. De fait, il y a plus de votants au deuxième tour : 5 090, soit 39,68% des inscrits, à la place de 4 291, soit 33,54%, au premier tour.

Voici le résultat du deuxième tour, le 02/02/2025 :

Gaudin : 600 (12,25%)

Niasme : 2399 (49%)

Boyard : 1897 (38,75%)

Le calcul est vite fait. Boyard n’a pas même capitalisé l’équivalent de la totalité des voix des deux listes de gauche ; il manque quelques voix. La droite a su trouver 820 voix supplémentaires, quand on dénombrait seulement 789 nouveaux votants. Kristell Niasme, ex adjointe, opposante LLR à Gaudin, est élue.

La conclusion est claire. A Villeneuve Saint Georges, le 02/02/2025, ce ne sont pas des voix qui ont « manqué à la gauche », ce sont au contraire des voix qui se sont « mobilisées contre LFI ». Kristell Niasme a une avance de plus de dix points sur Boyard. L’ampleur et la rapidité de ce retournement sont impressionnantes.

Mélenchon ne devrait pas mépriser à ce point l’histoire politique et les travailleurs français. Ils étaient prêts à soutenir un candidat Nupes contre l’extrême-droite bourgeoise. Ils n’avaient pas envie de donner à LFI ce qu’ils n’ont jamais concédé au PCF. Les provocations du député Louis Boyard conviennent à la fraction illettrée politiquement des étudiants de Sciences Po ou de Tolbiac, entichés de décolonialisme, d’anti-sémitisme, et d’indigénisme, mais pas aux électeurs de Villeneuve. Descendant de Villeneuve-le-Roi, sa ville (bourgeoise) d’origine, à Villeneuve-le-Peuple, il aurait pu éviter un certain positionnement sociologique, pour parler poliment, certes en accord avec la stratégie de Mélenchon, mais qui est apparu détestable à nombre d’habitants. Finalement le marxiste-léniniste musulman a réussi son coup : il est le septième et dernier élu LFI, membre d’une opposition municipale squelettique. Louis Boyard a révélé à la télévision qu’il n’aimait pas les études ; il faudra tout de même qu’il apprenne un peu le calcul : au moins les additions et les pourcentages.

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