L’idéologie trumpiste

Par Les Obscurs

Dans le précédent article, nous avons distingué les trois axes caractéristiques du tournant que Trump veut imposer à la conduite d’un monde qu’il s’imagine subsister sous la domination de l’impérialisme américain : l’axe stratégique, avec le tournant vers le pivot asiatique, l’abandon de la défense de l’Europe et le compromis avec la Russie ; l’axe économique avec la relance de l’expansion par les moyens de la politique « transactionnelle », et notamment la taxation des importations, le blocage de l’immigration, et les revendications tous azimuts de richesses territoriales ; et enfin la guerre idéologique. Au-delà des interrogations sur l’axe stratégique, nous avons souligné les incohérences et même les contradictions entre les trois axes.

C’est incontestablement du domaine idéologique que sont venues les surprises les plus rapides et les transgressions les plus significatives. Pour mesurer cette nouveauté, il suffit de rappeler la situation qui prévalait il y a six mois, lorsqu’il s’agissait seulement (!) de se préparer mentalement à l’arrivée de Trump à la présidence. On constatait déjà : (a) un affaissement généralisé de la politique vers la droite et une accélération du développement de l’extrême-droite ; (b) une crise profonde à gauche (parti démocrate américain, parti du Congrès indien, partis socialistes européens…), peut-être définitive pour certains partis; (c) une crise de toutes les institutions régulatrices, centristes, communes, des parlements à l’OMC, en passant par l’Union européenne. Ces mouvements entraient en résonance, du niveau national (France), aux niveaux macro-régional (Europe) et mondial (Europe, Russie, Etats-Unis).

Pourtant en quelques semaines, la situation s’est considérablement aggravée. Alors que le RN s’efforçait encore, sous prétexte de dé-diabolisation, de récuser le qualificatif d’extrême-droite, c’est le pouvoir en place dans la principale puissance de la planète qui affiche sans ambiguïté et sans complexe son extrémisme. Les saluts nazis d’Elon Musk et Steve Bannon, les messages d’amitié envoyés par Musk à l’organisation néo-nazie allemande AFD, la défense de la même organisation par le vice -président américain sont des signes sans équivoque de cette nouvelle orientation extrémiste.

Il est certainement trop tôt pour savoir quel type de pouvoir va se constituer aux Etats-Unis sur une telle base idéologique. Timothy Snyders considère qu’on assiste à un coup d’état de l’intérieur ; Gérard Grunberg l’analyse comme un système « bi-frons », (Trump-Musk). Quoiqu’il en soit, la dimension idéologique du système a une orientation claire : elle est d’extrême-droite.

Le pouvoir présidentiel devient de plus en plus un pouvoir personnel. Tous les contre-pouvoirs ont été neutralisés. Trump ne se contente pas de mettre en scène l’exercice d’un pouvoir exécutif personnel et direct. Il tente de tester, comme avec le Doge d’Elon Musk une forme d’administration directe sans intermédiaire, hyper-hiérarchique. L’incertitude demeure cependant dans des domaines importants comme l’armée et les forces de police fédérales.

Trump, Musk, Peter Thiel sont des adeptes forcenés de la manipulation des masses, comme au bon vieux temps, avec les moyens d’aujourd’hui. Le show-business comme modèle non seulement de communication mais aussi d’action politique, le rôle de X dans la campagne, le financement du vice-président par Thiel en sont des illustrations. Incontestablement, la présidence Trump fournit la version la plus moderne et la plus aboutie du gouvernement de la société du spectacle en produisant cette illusion d’une image – action politique, que le traitement ignoble réservé à Jelenski a parfaitement résumée. Sans surprise, on en a découvert les effets instantanés sur une population médiatique médusée, qui n’a pas attendu pour exprimer une lâcheté quasi-totale, comme on a pu le voir à la soirée des Césars. Dans ce domaine, on doit aussi souligner que Trump n’a jamais hésité à faire appel au « mouvement », à la mobilisation pratique des masses dans le style fasciste classique. Si la marche sur le Capitole ne peut être définie comme une tentative de putsch, elle relève bien de cette forme de mouvement qui vise à impliquer le fasciste de base.

Le nationalisme, le racisme, la xénophobie, l’anti-sémitisme sont au centre de cette idéologie fasciste du XXIème siècle, comme ils l’étaient au XXème. Tous les malheurs des vrais américains viendraient des autres, des étrangers. Cette paranoïa flattée par le pouvoir correspond parfaitement à la tentative de relance de l’expansion impérialiste, au détriment des voisins, des alliés, des petits pays. La haine de l’étranger, la peur de l’invasion et du remplacement par les immigrés sont aussi les thèmes généraux proposés à l’internationale des gouvernements et partis d’extrême-droite.

Georges Dimitrov, le peu regrettable secrétaire de la Troisième Internationale (communiste) avait, en 1935 (7ème congrès), défini le fascisme comme « la dictature ouverte du grand capital ». C’était faux en 1935, mais on peut dire que Trump se donne beaucoup de mal pour se conformer à cette définition. Les milliardaires sont comme les autres : ils ne veulent plus être représentés ! Les ploutocrates veulent faire leurs affaires directement, à partir des bureaux du pouvoir présidentiel. On pourrait donc assister à une nouvelle phase d’intégration capital-état et à une réorganisation resserrée de l’oligarchie américaine. On pourrait bientôt parler le même langage à Pékin, New-York, et Moscou.

Un dernier élément mérite d’être souligné : il n’y a rien qui ressemble à un repli sur soi, à une sorte d’isolationnisme idéologique américain. Plus que jamais, et c’est à l’invraisemblable vice-président que cette responsabilité a été confiée, l’idéologie et la politique US sont ce qui convient au monde et ce qu’il doit adopter, ou, plutôt, ce à quoi il doit se convertir. Il ne suffit pas que les Européens cèdent à la Russie et assurent eux-mêmes leur défense. Il leur faut encore se convertir au trumpisme. Cette exigence est absurde et contradictoire avec d’autres objectifs. Elle est pourtant derrière les tentatives d’aller vers une alliance internationale d’extrême-droite de type trumpiste.

La lutte idéologique contre le trumpisme doit donc être menée directement au niveau international. Elle consiste d’abord à débusquer, franchement et sans chipoter, les éléments de la 5ème colonne à l’œuvre dans les différents pays. Ils se situent à l’extrême-droite et sont souvent reconnus comme tels par les trumpistes américains. En France, il s’agit surtout des adeptes de Zemmour et Le Pen. Ils sont favorables à la fois aux Russes et aux Américains, et ont parfois des relations financières avec eux.

Dans l’article suivant, nous essaierons de traiter la question de la lutte d’ensemble contre le trumpisme.

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