Pierre Monatte et la culture de soi-même

INTRODUCTION

Par Alain Giffard

Les deux textes que nous proposons ci-dessous constituent un excellent complément à l’émission sur Fernand Pelloutier et aux différents documents déjà publiés, dont la « Lettre aux anarchistes ». Ils font partie d’une série d’articles écrits par Pierre Monatte en 1917, et publiés dans « L’Ecole émancipée ». Ils furent réédités en 1921 par les Cahiers du Travail, et, en 1976, par Colette Chambelland, chez Maspéro, dans son anthologie « Pierre Monatte. La Lutte syndicale ».

Pierre Monatte (1881-1960) n’arrive à Paris qu’en 1902 et ne semble pas avoir rencontré auparavant Fernand Pelloutier (1867-1901). Mais il manifestera toujours une grande admiration pour « Notre grand Pelloutier », l’organisateur des Bourses du travail et auteur de la « Lettre aux anarchistes », se considérant comme son héritier et son continuateur. Il eut d’ailleurs le projet d’écrire une biographie de Pelloutier mais ne put le mener à bien.

Les deux textes font donc partie d’un ensemble intitulé « Réflexions sur l’avenir syndical ». En 1917, Monatte est au front ; il ne sera démobilisé qu’en mars 1919. Il se retourne sur la situation du syndicalisme dans les années qui précèdent la guerre ; il en examine les points faibles et propose une nouvelle orientation. Les deux articles, comme le lecteur pourra le vérifier, sont placés très directement dans la perspective ouverte par Pelloutier dans la lettre de 1899.

Le premier texte s’intitule directement « La culture de soi-même ». Il mentionne explicitement Pelloutier et cite la formule « les amants passionnés de la culture de soi-même ». Mais le plus remarquable est l’analyse concrète historique qui attribue à l’affaissement de la culture de soi propre au mouvement ouvrier un rôle déterminant dans son atonie, sa dispersion, sa faiblesse et son impuissance. A la racine, le problème du mouvement ouvrier est un problème d’hommes; le diagnostic posé est celui d’un défaut de consistances individuelles et collectives.

L’analyse que propose Monatte de cet abattement de la culture de soi ouvrière et syndicale est de type « médiologique » : la lecture du journal tend à remplacer celle du livre ; la planchette à lire a disparu. Pourtant directeur d’un journal, Monatte prend toute la mesure de cette transition médiatique. Il redonne à la lecture son rôle d’« art des commencements » ; il est illusoire de prétendre étudier ou débattre (« échanger » !!!) sans avoir lu d’abord. Et c’est un syndicaliste révolutionnaire qui prône le retour sur soi, plutôt que la multiplication des réunions ! Mais la lecture qui parvient à jouer pleinement cette fonction d’exercice des commencements est une lecture d’un certain type : régulière, concentrée, soutenue, approfondie, studieuse, c’est-à-dire une lecture telle que seul le livre le permet quand la lecture du journal peut être dispersée, distraite, multi-attentionnelle, « gaspilleuse d’attentions et de forces ».

Critique des médias, critique des types d’attention, le premier article est aussi, pour Monatte, l’occasion de reprendre le schéma classique des pratiques et techniques de soi (ou « exercices spirituels » selon Pierre Hadot) : effort personnel (c’est le thème de l’exercice) ; lecture de livre ; étude approfondie ; méditation ; débat collectif. A peu de choses près, c’est le schéma (éternel) de Philon ou d’Hugues de Saint Victor.

Le deuxième article est centré sur le « groupe d’études syndicalistes ». C’est une proposition de type organisationnel pour relancer les syndicats, dans la continuité du texte précédent.

Il s’agit de distinguer du syndicat pur un groupe d’études, ouverts aux habitués de la planchette à lire, et qui sera en quelque sorte la prolongation collective des exercices déjà évoqués. Nous sommes toujours dans la perspective de la culture de soi : « Ses réunions hebdomadaires seront l’utile complément des veillées passées à la maison en tête à tête avec les livres ; l’œuvre de culture de soi-même s’y continuera, s’y parachèvera ». Autour de ce noyau central et animés par lui, des groupements spécialisés de formation (jeunes, apprentis, femmes), le tout formant un cercle ouvrier, distinct mais associé au syndicat.

Ce texte est d’une grande actualité. Monatte cherche ici un remède à la crise du syndicalisme apparue (déjà…) dans les années précédant la grande guerre. Je ne suis pas sûr que son schéma organisationnel, qu’il n’a pas été en mesure d’expérimenter, aurait eu de telles vertus.

Malheureusement, même provisoire, la jonction d’une partie du syndicalisme révolutionnaire avec les bolcheviks a facilité l’imposition du modèle léniniste, aux antipodes de ce que voulaient Monatte comme Pelloutier.

Aujourd’hui, certain(e)s voudraient réhabiliter le militantisme. La lecture de ces textes nous indique clairement une autre hypothèse : l’association de la culture de soi et de la démocratie directe.

Réflexions sur l’avenir syndical

Pierre Monatte

La culture de soi-même

J’entends une objection :

– Nous ne serons pas une minorité infime et faible. Au contraire, nous serons nombreux, très nombreux. Tu verras cette foule !

– Oui, nous verrons. Je ne demanderais pas mieux que de le croire et souhaite que l’avenir me donne tort. Mais, pour le moment, je n’en sais rien. Plus : je n’en crois rien. Hier, il man­quait déjà beaucoup de bras, beaucoup de cœurs. Aujourd’hui, voyez, il ne reste plus rien. Que savez-vous de demain ?

Oh ! si vous prenez tous les gueulards, tous les agités, toutes les mouches du coche pour des hommes d’action, vous pourrez vous croire nombreux. Nous n’en manquions pas hier. On ne les a pas vues, toutes ces mouches du coche, ces dernières an­nées, mais on les reverra, elles recommencent à sortir ; j’entends déjà leur bourdonnement. Attention ! que chacun, loin de croire la tâche légère, partagée entre beaucoup, se prépare à donner toutes ses forces, qu’il les rassemble, les augmente, qu’il de­vienne capable de faire sa bonne part.

Et, pour la faire, il faut d’abord bien la voir, être parvenu à cette clairvoyance que nous nous assignons comme le premier but à atteindre. Nous en avons manqué hier. Qui oserait le contester ? Nous vivions > emportés par le mouvement, grisés par le bruit. A certaines heures pourtant, nous avions la per­ception bien nette et l’angoisse d’aller à la dérive.

Le syndicalisme avait repris son élan vers 1900 ; mais il s’était heurté assez vite à de grandes difficultés : un patronat moder­nisant sa défensive, formant non seulement ses caisses noires de grève, mais disloquant la cohésion ouvrière par certains modes subtils de rémunération ; un Etat aux aguets, jouant de la patte de velours et de la poigne de fer, de la corruption sur les uns et de la répression sur les autres. Pelloutier, notre grand Pellou­tier, mort en 1901, la Fédération des bourses du travail n’était plus qu’un grand arbre blessé, dont chaque année une branche flétrie tombait sur le chemin.

Cet élan syndical, plus particulièrement incarné dans les fé­dérations, se ralentissait après l’insuccès du mouvement de 1906 pour les huit heures, et se brisait au massacre de Villeneuve-Saint-Georges, en 1908. Alors, les querelles déchirèrent hommes et milieux ; c’était à qui rejetterait sur autrui la responsabilité de l’arrêt momentané. La lassitude accablait les meilleurs. La bile empoisonnait les ambitieux déçus. Les faibles et les jouis­seurs filaient en douceur.

En quinze ans, le syndicalisme n’avait pas su se donner des hommes, des hommes nouveaux pour remplacer ceux que le socialisme et l’anarchisme lui avaient légués ou prêtés et qu’il avait rendus ou bien usés, des hommes à la foi robuste, capables de tenir dans la tempête, de dominer l’adversité et de relancer le navire aux premiers vents favorables.

En quinze ans, les œuvres d’enseignement et d’éducation des bourses du travail – dont Pelloutier était si fier – avaient dé­péri lamentablement, personne ne les vivifiant plus de son zèle.

Les universités populaires étaient tombées et rien de plus spécifiquement ouvrier n’était sorti de leurs cendres. Le syndi­calisme n’avait pas su organiser ses jeunesses ; il n’avait pas eu la prévoyance de créer ses pépinières de militants. Voilà où il en était la veille de la guerre. Voilà ce que nous n’avions pas su conjurer, hommes de bonne volonté, certes, mais de peu de clairvoyance et de peu de foi.

Nous pouvons faire notre mea culpa, car aucun de nous n’est sans faute. Certains en ont commis de plus lourdes, mais celle de les avoir laissé agir sans donner notre avis contraire, sans élever notre protestation, sans donner notre propre effort, n’est­-elle pas assez grave ? N’aurions-nous péché que par paresse et par timidité, par paresse de nous former nous-mêmes une opi­nion et par timidité à prendre parti, que déjà ce serait beau­ coup. Souvent, nous ne nous en sommes pas tenus là, nous avons répété de mauvais conseils, prononcé légèrement la condamna­tion de certaines formes d’activité. Nous avons médit de l’édu­cation ; nous n’avons pas aidé les quelques jeunes syndicalistes qui le tentaient à se donner une organisation ; nous avons gardé le silence quand on cria : casse-cou ! lors de la tentative de Léon Clément et des Jeunesses de la Seine d’organiser leurs séries de conférences éducatives. Surtout nous n’avons pas été ces “ amants passionnés de la culture de soi-même ” que nous di­sions être, et, tout cela, nous le payons aujourd’hui. Que le remords soit désormais notre aiguillon.

Il nous aidera à sortir de l’ornière où nous étions tombés, à surmonter notre paresse d’esprit et notre timidité, cette paresse de la volonté ; il nous aidera à ne plus y retomber ou, si nous y tombons encore, à nous en relever toujours.

Quand je regarde en arrière, elle m’apparaît invraisemblable­ment grande, cette paresse d’esprit. Ne m’a-t-il pas fallu les loisirs de la tranchée pour lire certains livres que je gardais depuis vingt ans à portée de ma main ? Je n’avais pas trouvé le temps, la force, la sagesse de les lire, de m’en nourrir. Et pourtant j’étais de ceux qui lisaient le plus. Mais nous étions des esprits dispersés, gaspilleurs de notre attention et de nos forces ; presque tous, à des degrés divers, nous étions atteints du même mal.

Dans nos milieux, on ne savait plus la joie que donnent les lectures sérieuses et la force d’une pensée ferme et concentrée. On ne savait plus lire ; on buvait le journal, le quotidien et l’hebdomadaire ; cela suffisait à la soif intellectuelle d’alors. Le profond besoin d’apprendre, de former et nourrir sa pensée n’était plus ressenti.

Le journal, tel qu’il est, y a contribué pour une bonne part, alors qu’il pourrait être un si merveilleux excitant. Du haut en bas de la société, il a tué le goût des lectures sérieuses. Mais vous, camarades instituteurs, pouvez-vous me dire que l’école n’a pas sa part de responsabilité ? La méthode suivant laquelle on m’enseigna jadis l’anglais et l’allemand m’a dégoûté à tout jamais d’apprendre ces langues. La méthode suivant laquelle nos écoles apprennent à lire n’a-t-elle pas dégoûté pour jamais aussi le peuple de lire ? N’a-t-elle pas noué sa curiosité, tué son goût ? Car c’est une constatation très juste qu’a faite G. Du­pin dans sa Guerre infernale :

 » Les masses, en apprenant à lire, avaient désappris de dis­cerner. ”

Il y a vingt ans, l’affaire Dreyfus fit sentir qu’il n’y avait pas d’opinion publique dans ce pays : pour en créer une, les univer­sités populaires se fondèrent. Elles sont mortes et la tâche reste tout entière à faire. Qui ne s’en est rendu compte en ces tristes années ?

La cause de cet échec si complet, l’une des causes au moins, la principale à mon sens, fut de croire que des cours, des confé­rences, des discussions de groupes d’études pouvaient former une pensée. Si vous voulez m’en croire, mes amis, ne perdons pas toutes nos soirées à courir de réunion en réunion ; passons-en au moins tranquillement quatre ou cinq par semaine chez nous, dans notre chambrette, en tête à tête avec quelques livres judicieusement choisis, en tête à tête avec les meilleurs livres révolutionnaires de tous les temps, en tête à tête avec nous-­mêmes aussi.

Avant le groupe d’études, dont il nous faudra partout doubler nos syndicats – j’y reviendrai -, je mets la planchette à livres. Sur cette planchette, il est un livre que je voudrais voir parmi les tout premiers qui s’y aligneront. Il n’a pas été écrit pour nous, mais le mal qu’il combat ne nous est pas particulier : toute notre société en est atteinte ; paru quelques mois avant la guerre, il a passé presque inaperçu. C’est L’Apprentissage de l’art d’écrire, de Payot, publié chez Colin.

Le titre en est déplaisant, je sais, mais il est inexact, car il s’agit bien pour lui de rhétorique ! Apprendre à écrire pour Payot, c’est d’abord apprendre à penser, ce dont on ne se soucie pas.

D’où tant de bavards de plume et de tribune, d’atelier et de bistrot : d’où tant de brouillons, dans les syndicats comme par­tout ; d’où si peu de bon travail en définitive.

Commençons par l’effort personnel, par la planchette à livres, par l’étude sérieuse, par la méditation dans la paix de la cham­brette, et vous verrez si ces heures de repliement sur soi-même ne feront pas de nous d’autres hommes que ceux que nous étions hier. Nous pourrons alors aller au cercle d’études, nous aurons quelque chose à y apporter, à y échanger et en rapporter. Mais, tant que nous nous y rendrons la tête vide ou en désordre, nous en reviendrons les mains vides et le cœur soulevé. Assez de dispersion, de courses de réunion en réunion, de temps précieux gaspillé, d’intelligences nourries de salive, d’enthousiasmes flétris avant d’avoir fleuri.

Les cercles ouvriers

C’est une erreur courante que notre pensée se forme et mûrit vers la vingtaine. En réalité, c’était généralement beaucoup plus tard, autour de la trentaine, sur les résultats de notre connais­sance personnelle de la vie.

Mais la guerre aura activé cette connaissance, précipité cette maturité pour un certain nombre de générations.

Autrefois, des quantités de jeunes gens ne pouvaient faire franchir à leurs idées le cap de la mise en ménage et de l’ins­tallation dans la vie. Des opinions révolutionnaires, ça faisait partie de la morve à jeter par la jeunesse.

Combien les rejetaient ! Leur nombre était énorme. En France, le déchet fait par toutes nos organisations était formidable. Nos syndicats, comme les groupes socialistes ou anarchistes, étaient des lieux de passage ; on y restait quelques mois ou quelques années, bien peu y étaient, s’y sentaient pour la vie.

Je ne puis croire que le mouvement d’aucun pays ait souf­fert d’une telle déperdition de forces. Et le plus triste, c’est qu’il restait en chemin beaucoup de natures sérieuses et ar­dentes. Peut-être les plus sérieuses et les plus ardentes.

Notre ami Brupbacher, de Zurich, passe son temps de guerre, m’a dit dernièrement quelqu’un qui lit de loin en loin son petit journal Der Revoluzionner, à faire une enquête sur la manière dont on vient au socialisme. Il pourrait employer plus mal son temps. Une telle enquête psychologique ne peut manquer d’in­térêt ; ce qui est vrai pour Zurich a bien des chances d’être vrai pour toutes les villes industrielles ; aussi un camarade lisant l’allemand ferait-il bien, sinon de traduire tout ce travail, pro­bablement étendu, au moins de nous en donner dans L’Ecole une bonne analyse.

Si j’avais connu son projet, j’aurais conseillé à Brupbacher de ne pas rechercher seulement comment on vient au socialisme, mais encore comment on s’en retire. Là-bas, le mal est proba­blement moins grave, mais il y sévit aussi, sans doute.

Pourquoi tant de gens nous faussent-ils compagnie ? Pour quelles raisons ? Sous quelles influences ?

Oui, je sais, dans l’atmosphère universelle d’égoïsme où se préparait si bien l’orage sanglant de cette guerre, beaucoup nous quittaient pour ne penser qu’à leur intérêt personnel, pour se donner plus complètement au foyer qu’ils venaient de fonder.

Ils ne voyaient pas qu’ainsi ils exposaient aux pires dangers ce foyer lui-même et les têtes chères qu’ils croyaient mieux sau­vegarder.

Ce n’était pas la seule cause de dispersion ; ce n’était peut-être pas la plus importante. Il y en avait d’autres qui tenaient au contenu de notre action, à l’état d’esprit fiévreux qui régnait dans nos milieux, à nos habitudes de criaillerie, de dénigrement, au manque de confiance et de fraternité entre nous, au manque de sérieux de nos débats qui nous amenait à prendre des déci­sions que nous étions régulièrement incapables d’appliquer.

Qu’au bout d’une série de déceptions graves certains, parmi les meilleurs, nous aient plantés là, n’est-ce pas compréhensible ? D’autant plus compréhensible que nos idées les avaient seulement effleurés, qu’elles n’étaient pas entrées au fond de leur raison et de leur cœur.

Nous devrons procéder à une révision sérieuse de nos idées. La dure leçon de cette guerre nous le commande. Mais, je suis bien tranquille, les bases de notre syndicalisme révolutionnaire n’en seront pas ébranlées ; elles en seront, au contraire, renforcées, inébranlablement cimentées.

Mais quelle révision de nos méthodes de propagande il nous faut accomplir au plus vite ! Quelle part d’efforts plus grande nous devrons donner à l’éducation et quelle importance parmi toutes les œuvres d’éducation au groupe d’études des aînés !

Nous avons jadis surestimé la valeur actuelle du syndicat ; nous avions enfermé toute notre activité dans son cadre. N’avons-nous pas confondu ce qui sera sinon le point d’aboutissement, au moins un stade ultérieur de développement, avec le point de départ ? Je me représente fort bien, pour un lendemain assez proche, un vaste réseau d’œuvres éducatives autour du syndicat et sous son aile. Mais pour le moment, quelles œuvres sont nées, se sont développées, se sont épanouies dans son champ ? Il est vide aujourd’hui. Pourtant, les essais ne manquèrent pas. L’om­bre du syndicat leur fut-elle mauvaise ?

Pour aujourd’hui, je crois à la nécessité provisoire de la sépa­ration, de l’indépendance de ces œuvres éducatives. Les luttes intérieures qui se sont déchaînées, et qui ne manqueront pas de prendre toute leur intensité une fois la guerre finie, nous en ferons d’ailleurs une obligation matérielle.

La renaissance syndicaliste est subordonnée à un vigoureux coup de balai dans la maison, c’est entendu ; mais les mêmes mains qui procéderont au nettoiement devront remettre de l’ordre et poursuivre le travail positif. Deux opérations à mener en­semble, aussi importante l’une que l’autre, deux aspects d’une même tâche.

Le meilleur groupe de défense syndicaliste, ce sera le vrai groupe d’études syndicalistes ; le groupe d’idées, appelé à ras­sembler la minorité clairvoyante, à faire œuvre immédiate et œuvre de longue haleine, à doubler le syndicat d’un organisme qui sera comme ses yeux, en attendant d’être toute son âme réfléchie et ardente.

Les groupes d’études n’avaient pas, hier, grand attrait. Il en est peu qui aient laissé une trace durable ; il en est quelques-uns cependant. Je connais des centres où un groupe révolutionnaire, comme à Nancy, une jeunesse syndicaliste, comme à Brest, ont alimenté en militants, pendant des années, les syndicats de l’en­droit. Beaucoup se rappellent, en outre, la précieuse série de brochures publiées, voilà une vingtaine d’années, par le groupe parisien des Etudiants socialistes, révolutionnaires, internatio­nalistes, groupe constitué par des étudiants mais qui, par la suite, s’était ouvert à tous et ne comprenait, vers la fin, plus guère d’étudiants.

Nos groupes d’études à constituer ne donneront de résultats, ils n’auront de vie que dans la mesure où ils rassembleront un nombre plus ou moins grand de ces fervents de la planchette à livres que nous appelions la dernière fois. Eux seuls en seront le noyau solide, l’âme active et rayonnante.

Qu’une demi-douzaine d’entre eux, de tempéraments et de tendances divers, mais liés par un même désir de travailler à l’émancipation du peuple, décide de s’assembler un soir par semaine pour causer familièrement, entre égaux, pour échanger là renseignements et impressions, pour confronter remarques et points de vue et voilà le meilleur groupe d’études fondé. Ses réunions hebdomadaires seront l’utile complément des veillées passées à la maison en tête à tête avec les livres ; l’œuvre de culture de soi-même s’y continuera, s’y parachèvera.

Tout naturellement, ce groupe des aînés s’intéressera aux autres œuvres ouvrières d’éducation, à celles que le besoin réclame, aux groupes de pupilles, d’apprentis, aux jeunesses syndicalistes, aux groupes féminins, aux groupes d’ouvriers étrangers. A chaque âge, à chaque besoin son groupement spécialisé. Le groupe d’études non seulement s’intéresserait à eux, mais les encoura­gerait, les soutiendrait, leur donnerait un effectif patronage.

Plus près les uns des autres, les jeunes et les vieux ne se méconnaîtraient plus et s’influenceraient heureusement. Les re­proches qu’on faisait hier aux jeunesses socialistes de former des éléments turbulents, aux jeunesses anarchistes de verser dans l’individualisme et de conduire au faux monnayage, à la cari­cature répugnante de l’amour libre, ne trouveraient plus de fon­dement. Les meilleurs enfants de notre jeunesse ouvrière seraient aisément sauvés des deux écueils qui en ont tant englouti jusqu’à ce jour : la politique où tombent ceux qui ont trop d’ambition et l’individualisme où sombrent ceux qui ont trop d’égoïsme.

Au centre, le groupe d’études ; autour toute une série d’œuvres éducatives ; le tout formant le cercle ouvrier. Qu’on ne s’effraie pas des difficultés matérielles de sa réalisation. Elles se résou­dront d’elles-mêmes. Trouvez les hommes ; ils existent, mais, épars ; ils ne viendront pas sur un simple appel ; modestes, méfiants, ils voudront voir le travail sérieux à faire ; ils atten­dront peut-être qu’il soit en train, mais ayez confiance, ils viendront, et vous les verrez un à un se mettre tranquillement à la besogne. Il suffit de commencer ; le coin de salle des premiers soirs ne pourra bientôt plus les contenir.

Références

Fernand Pelloutier sur Radio Libertaire

Fernand Pelloutier,  « Lettre aux anarchistes »

Pierre Monatte, « La lutte syndicale », éd. sc. Colette Chambelland, François Maspéro, 1976

https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k33367739.texteImage

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