
Par André Viète
La pétition contre la loi Duplomb vient de dépasser les 2 millions de signataires (le 28/07/2025). C’est un événement considérable, sur le fond (les questions posées) comme sur le type d’action politique (la pétition de masse).
La loi Duplomb est une provocation et une agression de l’Industrie alimentaire et agricole, soutenue par une partie de l’état qui prône simultanément la criminalisation des écologistes. Elle essaie de passer en force sur trois sujets-clé qui sont aussi trois terrains de mobilisation : l’édification de bâtiments agricoles, c’est-à-dire la facilitation des fermes industrielles ; le creusement de méga-bassines à l’origine du mouvement Les Soulèvements de la Terre ; l’encouragement à la ré-introduction et au recours à certains pesticides interdits ou en voie de l’être.
Sans entrer dans le fond de ces dossiers, on fera remarquer qu’un élément important de la réussite de la pétition est le refus de l’empoisonnement de l’alimentation et le souci de la santé des enfants. Ce point est d’ailleurs placé au premier rang de l’argumentation développée par Eléonore Pattery, étudiante de 23 ans en master Environnement, à l’origine de la pétition :
« La loi Duplomb est une aberration scientifique, éthique, environnementale et sanitaire. Elle représente une action frontale contre la santé publique, la bio-diversité, la cohérence des politiques climatiques, la sécurité alimentaire et le bon sens.
Nous sommes ce que nous mangeons. Et vous voulez nous faire manger quoi ? Du poison. »
Le deuxième aspect est le moyen d’action retenu : la pétition, irruption de la démocratie directe au moment où l’état représentatif, c’est-à-dire oligarchique, se croyait sûr de son affaire. Il faut dire que la conduite de la droite LR et des macroniens qui la suivent a été caricaturale.
Rappelons qu’il s’agit d’une « proposition » de loi, c’est-à-dire d’une initiative parlementaire, partie du Sénat, pilotée par un des représentants patentés du lobby de l’Industrie alimentaire et agricole. Duplomb est exploitant agricole laitier, entré dans l’industrie par le canal de la FNSEA et des chambres d’agriculture, ayant présidé celle de la Haute-Loire. Il a été un des présidents régionaux du groupe laitier Sodiral et membre du conseil de surveillance de Candia. Il est très proche de Wauquiez.
Sa proposition ayant été votée au Sénat, dominé par LR, elle est arrivée à l’Assemblée nationale. Les écologistes et LFI avaient cru avisé de jouer l’obstruction en déposant plus de 3000 amendements. Les élus de droite n’ont pas hésité à voter contre leur propre projet qui est revenu devant la commission mixte parlementaire, avant d’être adopté, miracle du parlementarisme, sans débat par les deux chambres. Autrement dit, une loi proposée par un groupe ultra minoritaire à l’Assemblée nationale – minorité d’une majorité qui n’en est pas une – a pu être adoptée sans débat public par la soit – disant « représentation » nationale, jamais étonnée de devoir rester couchée.
En face, et contrairement à ce à quoi il s’attendait, le lobby industriel alimentaire et agricole n’a pas trouvé cette opposition institutionnelle qu’il a l’habitude de dénigrer et combattre, les partis et organisations écologistes ou pro-écologie, mais une mobilisation de l’opinion publique mettant en question, directement et centralement, les dysfonctionnements du système représentatif. En effet, la pétition se situe délibérément à l’extérieur des partis et ONGs, Eléonore Pattery adoptant elle-même « l’anonymat engagé ». Mais elle utilise les canaux institutionnels du droit de pétition organisé, ou plutôt bricolé par l’Assemblée nationale depuis quelques années. Il reste tout de même significatif que l’Assemblée nationale soit dans l’obligation de reconnaitre et l’existence de la pétition et son succès, puisque c’est elle qui la gère. Le succès – il faut le souligner – est triple : le nombre de signataires ; la rapidité avec laquelle ce nombre a été rassemblé ; le fait que les signataires ont accepté de révéler leur identité dans une procédure officielle.
Cette dimension de démocratie directe n’a pu être totalement occultée par l’oligarchie politique et médiatique. L’éditorial du Monde du 23 juillet est significatif, qui reconnait « l’existence d’une mobilisation citoyenne d’ampleur inédite » qui « a pris tout le monde de court ». Curieusement, le Monde insiste sur le rôle de Macron qui pourrait revenir au centre du jeu en demandant une nouvelle délibération du texte, voire en se gardant de promulguer la loi si « la contestation prend une ampleur inédite ». Les éditorialistes du Monde sont pleins d’imagination : à les entendre, un texte pourrait donc être voté sans être débattu à l’Assemblée nationale, puis ne pas être promulgué. Tout cela est furieusement démocratique ! Mais, comme la motion de rejet, la manœuvre est parfaitement légale dans le cadre du système représentatif actuel.
Christophe Barbier, dans un article d’une mauvaise foi flagrante sur le fond des dossiers, dit que la pétition revient à « renier la démocratie représentative » pour imposer à sa place une « démocratie d’opinion », voire « installer une démocratie directe » (a). Autrement dit, toute intervention du peuple dans le processus de décision publique serait l’équivalent d’un changement de régime. On ne saurait même pas imaginer des moments, des lieux, des situations où le peuple citoyen – les individus et les collectifs qui le composent- pourrait directement discuter d’un texte et participer à la prise de décision.
Mais Barbier, qui montre ici les limites de sa modération, devra en rabattre. Car la démocratie directe n’est pas seulement une question constitutionnelle. Elle est un fait politique majeur qui s’exprime de multiples manières. La pétition n’est qu’un de ces moyens. Le succès du boycott de Tesla, que nous avons analysé ici (b), est un autre exemple. Les secteurs du lobby industriel alimentaire qui refusent d’assumer leurs responsabilités pourraient l’apprendre à leurs dépens.
POUR SIGNER LA PÉTITION CONTRE LA LOI DUPLOMB :
https://petitions.assemblee-nationale.fr/initiatives/i-3014
(a) Christophe Barbier, « Abrogation », Franc-Tireur, 23/07/2025
(b) « Musk et le succès du boycott anti Tesla » par André Viète