
Nous relayons ici, et soutenons l’initiative organisée dans la perspective des élections municipales par plusieurs personnalités et associations sur le thème de la « Désescalade numérique ». Il nous semble important que la critique en actes du numérique soit présente dans ces élections. Nous apprécions le caractère fédératif de cette démarche. Nous trouvons intéressant d’associer la démocratie directe et la démocratie représentative (pour autant qu’elle soit effective), sans que la seconde prétende intégrer ou avoir la suprématie sur la première.
Cette idée d’imaginer à quoi pourrait ressembler une décroissance numérique est née après une conférence de Celia Izoard, le 4 mai 2024 (« La réalité minière du numérique (lien externe) ». Les lecteurs trouveront ci-dessous le texte d’ensemble, la liste des dix propositions, le détail de la proposition 7 sur l’école.
Dans un article ultérieur, nous proposerons une analyse plus approfondie de cet appel.
[Les Obscurs]
10 propositions pour une désescalade numérique
Municipales 2026 : ne laissez pas l’intelligence artificielle écrire votre programme.
Depuis 20 ans, à rebours de toutes les promesses qui accompagnent la numérisation, le recours massif à internet, au smartphone et aux réseaux sociaux accélère l’effondrement du lien social et la fascisation de la société. Porté par des multinationales hégémoniques, le numérique a servi à démanteler et privatiser les services publics, à accélérer les flux de marchandises et à disqualifier bon nombre de savoir-faire. Nous assistons à une captation des cerveaux et des liens communautaires au bénéfice de ces entreprises. Les soirs d’élections, nous en sommes réduits à croiser les doigts pour que les capacités de surveillance orwelliennes développées ces deux dernières décennies ne tombent pas, prêtes à l’emploi, entre les mains d’un gouvernement d’extrême droite. Au niveau de ses chaînes d’approvisionnement et de ses impacts écologiques, l’industrie numérique planétaire, avec sa croissance exponentielle, est une bombe climatique et toxique. Des mines aux data centers en passant par la production de semi-conducteurs, elle asservit une main-d’œuvre précaire, siphonne des quantités colossales d’eau et d’énergie, accumule des montagnes de déchets. En démultipliant et en accélérant toutes ces tendances, le déploiement de l’intelligence artificielle (IA) promet des lendemains plus sombres encore. En deux mots : la société numérique d’aujourd’hui est insoutenable, celle qui vient s’annonce cauchemardesque. N’attendons plus : il devient urgent de freiner.
Des propositions : Pourquoi ? Pour qui ?
Les menaces que fait peser l’industrie numérique sur le vivant, l’emploi ou les libertés fondamentales peuvent sidérer en donnant le sentiment de phénomènes planétaires insaisissables. Pourtant, agir à l’échelle locale, à partir des communautés dans lesquelles nous vivons, est non seulement possible, mais décisif. C’est l’échelle plus efficace pour sortir de l’impuissance et recréer des liens fragilisés par le déferlement technologique. Pour se donner les moyens, progressivement, de reprendre la main sur les objets qui nous entourent et sur nos besoins fondamentaux. C’est dans cette perspective qu’est rédigée cette boîte à outils pour une désescalade numérique. Elle vise à nourrir la réflexion des élu.es et des candidat.es qui élaborent leur programme en vue des prochaines élections municipales. Ce travail inédit est le fruit d’une réflexion collective menée depuis un an par une trentaine d’associations et collectifs spécialisés dans l’analyse des impacts de ces technologies. Nous espérons que ces propositions inspireront votre équipe, que vous y puiserez librement pour composer votre programme, tout en respectant l’esprit d’urgence écologique et de justice sociale qui les anime.
Des propositions concrètes
Nous avons cherché des mesures immédiates et applicables qui puissent emporter l’adhésion du plus grand nombre. Certaines d’entre elles visent simplement à limiter la dépendance à l’informatique pour rétablir une sécurité élémentaire face au risque de cyberattaques et de pannes des réseaux (d’électricité, de télécommunication…). D’autres visent à garantir l’accès aux droits sociaux et aux services publics sans numérique. D’autres encore servent à valoriser l’humain et à construire des emplois pérennes à l’échelle des communes. D’autres, enfin, veulent contribuer à limiter les dégâts écologiques et sanitaires du numérique. Certains points de ce programme permettent de réaliser des économies parfois substantielles, d’autres propositions appellent des investissements. Elles nécessitent, de toute façon, d’être adaptées à la taille et aux spécificités de votre commune.
01. Sécuriser les services essentiels “hors réseau”
02. Assurer une gestion municipale sobre et dégafamisée
03. Garantir un service public humain
04. Favoriser les emplois, pas les IA
05. Assurer la sécurité sans vidéo-surveillance
06. Bannir les écrans publicitaires de l’espace public et des transports en commun
07. Favoriser une école ouverte et créative
08. Lutter contre l’airbnbisation de l’habitat
09. Refuser l’installation de data centers
10. Limiter les antennes-relais et l’exposition électromagnétique
Proposition 07. Favoriser une école ouverte et créative
Aujourd’hui, un foyer en France comporte en moyenne dix écrans. D’après Santé publique France, les enfants de 6 à 17 ans passent en moyenne 4h11 par jour sur un écran, hors temps scolaire. Cette surexposition est à l’origine d’un véritable effondrement de la santé chez les enfants : déficits de sommeil, sédentarité, problèmes de vue et d’obésité, altération des capacités socio-émotionnelles et du développement du langage, addictions, dépression et anxiété.
Il est important que l’école primaire, financée par la municipalité, ne contribue pas à cette surexposition en mettant les enfants devant des écrans en classe, ou en demandant à faire les devoirs sur internet le soir. En effet, en plus de son coût économique et écologique est considérable, le recours au numérique n’a pas fait la preuve de ses bénéfices éducatifs. C’est la raison pour laquelle la Suède, qui avait parié sur le numérique à l’école, est finalement revenue en arrière, supprimant les dispositifs numériques et remettant les livres au cœur de l’éducation.
En termes d’orientations et d’équipements, la municipalité s’engage à :
- Dépenser prioritairement pour permettre l’accès des élèves à des sorties culturelles et sportives, à des séjours de pleine nature, et à des équipements de loisirs (piscines, terrains de sports, bibliothèques) pour les écoles et les centres de loisirs.
- Organiser une colonie « digital detox » pour les 15-18 ans (chantiers participatifs) et une « semaine sans écrans » dans les centres de loisirs.
- Former les agent.e.s travaillant au contact des enfants afin qu’ils. elles n’utilisent pas leur portable en leur présence.
- Limiter, voire supprimer les supports numériques à l’école primaire (pas d’achat de packs de tablettes ou de packs d’ordinateurs portables, de tableaux numériques interactifs, pas de déploiement de wifi à l’école et de l’Environnement numérique de travail…)
- Proscrire les dispositifs biométriques pour l’accès à la cantine.
- Informer les enfants, les familles et l’ensemble du public sur les enjeux globaux du numérique en balayant l’ensemble des facettes, notamment les impacts environnementaux et sociaux des appareils et de la gestion des données.
- Dégafamiser les outils numériques utilisés à l’école, en proposant aux enseignants d’être formé.es aux logiciels libres.
- Intégrer ces aspects dans le PEdT (projet éducatif territorial)
Perspectives
La numérisation de plus en plus importante de nos vies quotidiennes et des services publics ne doit plus passer sous les radars démocratiques. La manière dont nous faisons société ne peut plus être décidée par cette poignée de chefs d’entreprise qui déploient leurs appareils et leurs applis à l’échelle de la planète. Depuis vingt ans, le déploiement frénétique de ces systèmes crée un profond malaise dans une partie importante de la population : les laissé.es pour compte des services « dématérialisés », ceux et celles que les nouvelles technologies ont mis au chômage, les personnes souffrant d’addictions en ligne (jeux d’argent, pornographie, jeux vidéos, réseaux sociaux…), les victimes de violences en ligne, les personnes électrosensibles – et leur entourage.
D’autre part, tant que cet enjeu central ne sera pas traité, nous resterons incapables de réduire nos consommations de ressources et de contribuer à un monde plus juste à l’échelle globale.
Ajoutons que, dans un contexte de baisse des ressources des communes, le numérique impose des surcoûts inutiles qu’il est urgent de limiter.
C’est pourquoi nous faisons le pari que les électeurs et électrices seront nombreux à voir dans ce programme des mesures élémentaires de prudence, d’économie, de solidarité, de justice sociale et de santé publique.
Retrouvez le détail des propositions, les références bibliographiques, et les premiers signataires sur le site de Désescalade numérique :