Inégalités et mondialisme: Qin Hui critique de Piketty

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Par Francis Linart

Dans un article collectif du 24 mars dernier, nous évoquions un risque majeur pour les partisans de la liberté dans la nouvelle situation internationale : celui d’un condominium à trois des impérialismes mondiaux, Chine, USA et Russie. Dans un tel scénario, chaque impérialisme pourrait, pendant une certaine période, resserrer sa domination sur une zone concédée par les deux autres. Nous précisions qu’une telle entente à trois serait évidemment instable et provisoire. Elle devrait en particulier être mise à mal par l’antagonisme structurel et stratégique Chine-USA.

Une telle perspective rend encore plus surprenante cette sorte d’abstention de l’information qui semble saisir les médias et les partis politiques à propos de l’impérialisme chinois et de la dictature de Xi. Mais, en tout état de cause, condominium ou pas, la politique d’expansion de Xi nécessite de briser avec ce silence bruyant, bien illustré par la discrétion avec laquelle ont été rapportées les purges en cours au sein du parti communiste et de l’état chinois, notamment avec l’éviction de He Weidong, vice-président de la « commission militaire centrale », considéré comme le numéro deux de l’armée.

Un des points les plus difficiles, évidemment, est d’obtenir des informations fiables et approfondies sur les courants intellectuels, et les mouvements de l’opinion publique chinoise. A cet égard, le travail effectué sous la direction d’Anne Cheng « Penser en Chine », paru en 2021, constitue une source précieuse. Je l’ai d’ailleurs largement utilisé pour cet article, et nous rendrons compte bientôt du nouveau « Penser en résistance dans la Chine d’aujourd’hui » qui vient d’être publié par Anne Cheng et Chloé Froissart.

Le recueil de 2021 comprend un texte très intéressant de l’historien chinois Qin Hui (né en1953), présenté par David Ownby, de l’Université de Montréal, et intitulé « Sortir du système impérial ». Dans cette introduction, D.Ownby évoque un autre texte, de 2015, « Les dilemmes de la mondialisation au XXIème siècle ».

Ce texte sur la mondialisation se donne comme une présentation critique de l’ouvrage de Thomas Piketty, « Le Capital au XXIème siècle ». Dans ce livre, Piketty reliait l’inégalité croissante dans les économies occidentales à l’orientation financière de l’investissement capitaliste, et soutenait une politique d’intervention active de l’état en faveur de la redistribution.

Qin Hui rejette centralement l’analyse de Piketty. La cause de ce surcroit d’inégalité ne serait autre, selon lui, que la stratégie de la Chine consistant à profiter de la mondialisation pour saper les bases de la prospérité et de la puissance occidentales. L’afflux des capitaux occidentaux en Chine ne visait à rien d’autre qu’à profiter, non seulement d’une main d’œuvre maintenue artificiellement à bon marché, mais aussi d’un ensemble de mesures autoritaires, telles que la confiscation des terres, la suppression des droits des travailleurs, l’exploitation des migrants…etc. Les capitalistes occidentaux se sont précipités pour profiter de ce que Qin appelle « l’avantage de la Chine en matière de non-respect des droits de l’homme ». Et certes aucun des grands économistes que nous sommes supposés admirer n’a encore imaginé intégrer la dictature à la théorie des avantages comparatifs qu’on enseigne toujours comme l’immuable fondement des relations économiques internationales. La Chine devenue « l’usine du monde », et plutôt que de développer son marché intérieur, le parti communiste chinois a préféré financer les économies occidentales. Ces dettes ont amplifié les crises dans les pays développés, où les gouvernements ne peuvent abandonner brutalement les politiques « sociales », malgré la baisse relative des recettes publiques.

Ainsi selon Qin Hui, les inégalités à l’intérieur des pays développés, comme celles qui caractérisent la Chine, sont dues in fine à l’abus de la mondialisation par le pouvoir communiste et l’état chinois. Et les états occidentaux se sont eux-mêmes privés des moyens de les limiter. On amuse ici la galerie en présentant les déficits commerciaux ou financiers avec la Chine comme une relation économique déséquilibrée, en somme une situation qui devrait être améliorée par une politique plus dynamique, ou compensée par des échanges excédentaires avec d’autres pays. Mais les déficits et les dettes avec la Chine sont de nature stratégique ; ils sont voulus, provoqués par le parti communiste chinois et la dictature de Xi. En ce sens ils visent le développement du tianxia zhuyi, l’império-mondialisme dont les « routes de la soie » sont l’expression concentrée. Concrètement, ce que la Chine nous exporte d’abord ce sont ses inégalités qui deviennent nos inégalités.

Référence:

« Penser en Chine« , sous la direction d’Anne Cheng, Folio 2021

Articles parus sur le site des Obscurs à propos de la Chine depuis 2022 :

Ces articles sont regroupés dans les catégories «  Les Obscurs comprennent mieux le chinois » et « totalitarismes » .

Agir face à la nouvelle situation internationale :

Peng Li Fa : Qui sommes-nous ?

Les Obscurs : Le mouvement des Feuilles Blanches contre la dictature de Xi

Les Obscurs : Qui est Peng Li Fa ?

Liu Xiu Bao : La Charte 08

Les Obscurs : Solidarité avec le peuple chinois en lutte contre le totalitarisme

L’Appel à Scholtz des dissidents chinois

Groupe de lecture des Obscurs : Crédit social : la police des populations en Chine communiste

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