
26/12/2025
Alain Giffard
Sortie du numéro 5 de BRASERO, la revue annuelle publiée aux Editions L’ECHAPPEE par un collectif qui, outre la maison d’édition et la revue, arrive encore à tenir la librairie QUILOMBO.
Je signale en passant le journal La Feuille de Quilombo, et le catalogue, publiés l’un et l’autre par la librairie, gratuits et tous deux très intéressants. Le journal (dix numéros) pourrait être considéré comme une revue d’actualité bibliographique. On trouve par exemple dans le dernier numéro un article de Michèle Cohen-Halimi, présentant la collection « Critique de la politique » créée par Miguel Abensour il y a un demi-siècle et qu’elle dirige aujourd’hui.
La revue BRASERO, animée par Cédric Biagini et Patrick Marcolini, relève évidemment de la même orientation générale que les livres et la librairie, qu’on pourrait figurer sous la forme d’un triangle « libertaires / situationnistes / décroissants ». Mais elle a son propre style, sa pente, ce qui lui donne précisément son caractère singulier de revue. Elle n’est pas la revue d’un groupe politique en tant que tel ; elle n’est pas non plus la revue d’ensemble de la maison d’édition.
Cédric Biagini dans l’ouverture du dernier numéro, présente ainsi l’orientation propre de la revue :
« …Ce que nous défendons, c’est une histoire buissonnière, latérale et frondeuse, qui prend son bien là où il se trouve, et qui avance en toute liberté, dégagée de ces « petites orthodoxies malodorantes qui se disputent aujourd’hui le contrôle de nos esprits » comme l’écrivait le grand Orwell, qui hante ces pages, aux côtés du non moins colossal Huxley. »
Et il rattache ce caractère à la démarche de contre-histoire fièrement affichée en couverture.
Donc : BRASERO revue de contre-histoire buissonnière, latérale et frondeuse. Comment situer ce programme de contre-histoire ? Commençant par le début, on dira de la contre-histoire qu’elle est d’abord de l’histoire, ce que les historiens français appellent « histoire contemporaine », soit le XIXème et le XXème siècle, et surtout, mais non exclusivement, de l’histoire européenne. Par exemple, la revue ne cherche pas à rendre compte de tous les ouvrages de théorie politique publiés à L’ECHAPPEE, comme l’excellente « Critique de la raison décoloniale ». La rubrique « Lectures », coordonnée par Charles Jacquier permet cependant des aperçus plus théoriques, par exemple, dans le numéro 5, l’article sur le « Staline » de Boris Souvarine, édité chez Champ Libre, en 1977. Charles Jacquier présentait ainsi cette rubrique dans le numéro 1 :
« Dans chaque numéro, nous recenserons des ouvrages anciens ou récents utiles à la compréhension de l’histoire sociale et de l’actualité politique ».
La contre histoire est frondeuse, ou tentée par la fronde. Ce qu’elle est à coup sûr, c’est : minoritaire, ou mieux, pour reprendre la formule de Kafka : mineure.
Extrait du Journal de Kafka, passage célèbre sur les littératures mineures : « La mémoire d’une petite nation n’est pas plus petite que la mémoire d’une grande, du coup elle élabore plus à fond le matériau disponible. Certes il y a moins de spécialistes de l’histoire littéraire employés, mais la littérature est alors moins une affaire de l’histoire de la littérature qu’une affaire du peuple et du coup elle est, sinon pure, du moins certainement mieux conservée. »
La situation est assez contrastée selon les différentes sources. Chez les situationnistes, Debord est totalement sorti de l’enclos des littératures mineures. L’Echappée publie de lui des textes préparatoires, des fiches de lecture, mais patrimonialisés, grâce à la Bibliothèque nationale. Brasero en revanche met l’accent sur des personnalités situationnistes méconnues, ainsi Marcolini dans ses articles sur Nash (n° 5), ou Jean-Louis Brau (n°1). L’anarchisme peut se vanter tout entier d’être resté une culture mineure ; même ses classiques sont difficilement disponibles, comme le grand livre de Martin Buber, « Utopie et socialisme », avec son chapitre fondamental pour comprendre Landauer, livre heureusement réédité par L’Echappée.
Au fond, derrière la modestie feinte des propos de Biasini, un projet semble percer, celui de la constitution d’un corpus de cette culture mineure, par une démarche buissonnière, des moyens latéraux caractéristiques de la contre histoire. La grande réussite de Brasero est de donner envie de s’intéresser à des femmes (notamment à partir des articles d’Anne Steiner), des hommes, des collectifs, des époques, ou des événements, et de poursuivre ses lectures, des articles aux livres. C’est une revue d’entrées.
Un bon exemple dans le dernier numéro est l’article de Charles Jacquier consacré à André Prudhommeaux, reprenant plusieurs textes de ce dernier. Le dernier, de 1953, sur les perspectives de l’anarchisme est une véritable révélation.
Je me suis souvent appuyé sur les publications de l’Echappée, en particulier sur les textes d’Anne Steiner pour mes travaux sur Libertad et le groupe des Causeries populaires. Je leur exprime ma reconnaissance.
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