
26 /12 /2025
Editorial
Par Les Obscurs
Les œillades énamourées lancées, dans son dernier livre, par Sarkozy – qui n’a jamais cru en rien – à Le Pen et Bardella – qui avaient fait ce qu’il fallait pour – sont venues confirmer ce que tout le monde pressentait : le front républicain est mort.
C’était un bien grand mot, « Front républicain » pour une si petite chose… Car il n’y eut jamais, faut-il le rappeler, d’accord en bonne et due forme, entre les différents partis parlementaires pour fixer les conditions et l’organisation explicite d’une unité face à l’extrême – droite. En réalité, le front républicain était une pratique des électeurs et non des partis. On pourrait même, sans populisme, montrer que la pratique électorale du front républicain a réussi, pendant de nombreuses années, à s’imposer à un système politique à bout de souffle qui la considérait tout simplement comme une rente de situation collective. Bref les électeurs imposaient le front républicain aux partis.
C’est malheureusement cette situation qui a changé, ou peut-être changé, ou qui risque de changer. Comme on sait, les sondages pour l’élection présidentielle donnent Bardella élu, quel que soit son rival du deuxième tour. Cette situation s’était déjà rencontrée pour Marine Le Pen, face à Attal ou Mélenchon. Dans le dernier sondage, Bardella bat aussi Philippe, pour la première fois. Il faudrait certes considérer cette situation avec prudence, mais ce n’est certainement pas comme cela qu’elle a été reçue par les médiatiques. Au contraire un début de panique a accompagné la sortie honteuse de Sarkozy, tout pressé d’apporter dans ses petits bras la preuve de la fin d’un front républicain qu’il n’avait jamais pratiqué.
Dans un article récent, Francis Linart examinait les différentes raisons du succès du RN : la dé-diabolisation, la porosité avec les autres courants. Il précisait ensuite : « Mais la raison principale du succès idéologique du RN n’est ni la dé-diabolisation, ni la porosité avec les autres courants, c’est l’absence totale de lutte idéologique contre l’extrême-droite de la part des partis politiques présumés et même parfois élus pour la combattre. » Il nous semble que ce diagnostic peut être pris comme point de départ et que nous pouvons tenter de voir si ces facteurs de succès devraient être confirmés ou, au contraire, retournés.
La dé-diabolisation : a priori, si Marine le Pen a été une remarquable maitre d’œuvre de cette tactique, il faut admettre que Bardella en est un pur produit, le cauchemar climatisé d’une extrême-droite apolitique. Cependant, en sens contraire, le chaos idéologique du trumpisme et les barbouzeries de Poutine risquent quelque peu de souiller l’intérieur petit bourgeois qu’est devenu le sommet du RN. Marine Le Pen se retrouve dans la situation délicate de la maitresse de maison habituée à imposer des pantoufles à ses visiteurs qui voit son salon envahi par les copains chasseurs du mari, avec leurs bottes, leurs chiens et les lapins qui perdent du sang sur la moquette.
La porosité entre le RN et la droite est visiblement en progression dans les milieux médiatiques. On peut craindre aussi que les courageux parlementaires LR soient prêts, pour une fraction importante, à camoufler leur croix de Lorraine. Toutefois, il ne faut pas oublier qu’il s’agit là d’un choix purement opportuniste, et donc susceptible de flotter dans tous les sens.
Il reste donc le troisième et principal facteur : le combat, ou plutôt l’absence de combat contre le RN, aux trois élections, municipales, présidentielles ou législatives, sans parler de l’activité politique régulière des partis, qui semble totalement éteinte. Autrement dit, le combat politique, qui a disparu sous sa forme dite « front républicain », doit revenir, avec un autre contenu et sous une autre forme.
La principale nouveauté, en ce qui concerne le combat contre l’extrême droite, est sa mondialisation.
En 2014, et quasiment jusqu’en 2020, il était possible de découpler l’affrontement interne, au niveau national, avec l’extrême-droite, et la lutte, au niveau international, contre le totalitarisme ou le fascisme.
Deux événements ont marqué ce changement d’époque. 2022 : l’invasion de l’Ukraine par Poutine ; 2024 : la deuxième élection de Trump et la poussée du courant MAGA.
Cet entremêlement des deux types de conflits joue dans les deux sens.
L’arrivée du RN au pouvoir, non seulement, renforcerait les positions générales des forces autoritaires ou fascistes, en Europe et dans le Monde, mais affaiblirait immédiatement le soutien à l’Ukraine et sa position.
Le courant MAGA, et en particulier la tendance de Vance ne tarderaient pas à s’ingérer encore plus dans la vie politique européenne, notamment en imposant à Le Pen une dépendance idéologique et stratégique étroite.
La mondialisation, qui apporte un avantage stratégique évident à l’extrême-droite, peut aussi lui procurer quelques difficultés. Elle est strictement contradictoire avec la tactique de dé-diabolisation chère à Marine Le Pen et ne manquera pas d’attiser les dissensions au sein de l’extrême-droite. Et il n’est pas certain que même les électeurs du RN apprécient particulièrement la capitulation devant Trump ou Poutine.
L’objectif immédiat du combat contre l’extrême-droite est de bloquer l’accession du Rassemblement national au pouvoir.
Selon nous, cet objectif doit être poursuivi selon trois axes : le front idéologique et culturel ; le front du combat populaire, de la démocratie directe ; le front des élections, des partis dits représentatifs. Nous avons fait remarquer que les choses commençaient à s’améliorer du côté de la lutte idéologique et culturelle, comme l’illustre la publication de la « Nouvelle Histoire de l’Extrême-Droite ». Par « front de la démocratie directe », nous voulons désigner les initiatives des citoyens, sous des formes individuelles ou collectives, dans leur environnement immédiat ou sur la place publique, contre le RN, ses candidats directs ou soutenus, ses alliés, ses orientations. En ce qui concerne la démocratie représentative, les partisans du mouvement d’émancipation ne sont ni les mieux placés, ni les plus attirés par ces opérations qui viseront à déplacer quelque peu les pachydermes de l’action politique. Il n’en reste pas moins qu’empêcher le RN de gagner les élections, c’est, peu ou prou, chercher à peser sur ces élections.
L’ensemble de ces trois axes d’opérations, le front idéologique et culturel, le front de la démocratie directe, le front des élections, constitue ce que nous appelons le front démocratique.
Il nous faut viser à la fois les éléments prêts à combattre le RN, mais inactifs, pour essayer de les mobiliser, et les éléments favorables au RN, pour les démotiver. Autrement dit, il faut accepter de faire ce que ne font pas les partis traditionnels, ni d’ailleurs les autres, c’est-à-dire : s’adresser aux électeurs du RN.
Le Front Républicain est mort, Vive le Front Démocratique contre l’extrême-droite !