Monsieur Bianco et Charlie

Présentation

Par S.Langlois

Pour faire suite à notre article sur le procès des complices de l’assassinat de Samuel Paty et les remarques de Mickaëlle Paty, sa sœur, sur le lâchage de son frère par une bonne partie de ses collègues et de l’éducation nationale, nous republions une brochure de 2016, intitulée « Monsieur Bianco et Charlie », et publiée par le Collectif Culture Commune.

Ce texte, qui a rencontré un certain succès, est donc paru quatre ans avant l’assassinat djihadiste de Samuel Paty par Anzorov, le 16 octobre 2020, et il nous semble d’une grande actualité. Il dénonce, de manière argumentée et parfaitement documentée, les dérives politiques, juridiques et éthiques, d’une institution normalement créée pour défendre la laïcité, mais qui en était venue à essayer de créer un mouvement politique anti – Charlie, en s’appuyant sur sa collaboration avec le Collectif de lutte contre l’islamophobie. Le parcours délirant de l’Observatoire de la laïcité est devenu évident avec l’opération œcuménique, rappelée à la fin du texte, qui consistait à organiser des ateliers soit-disant multi-confessionnels où de jeunes musulmans étaient encouragés à confectionner des stickers « je kiffe mon école », « je kiffe ma mosquée ».

Le cas de Bianco, Cadène, et de l’Observatoire en général, est intéressant pour deux raisons.

En premier lieu, il illustre ce glissement d’une partie de la gauche et de l’extrême-gauche d’une position de dénégation du djihadisme et de l’islamisme à une pure et simple collusion active avec les islamistes, en particulier, ici, avec le Collectif contre « l’islamophobie » en France. Nous nous permettons de renvoyer à notre article du 06 septembre 2022 sur l’islamo-gauchisme : « Réactions à l’attentat contre Salman Rushdie : notes sur l’islamo-gauchisme »

https://lesobscurs.com/2022/09/06/reactions-a-lattentat-contre-salman-rushdie-notes-sur-lislamo-gauchisme/.

En général, les exemples d’un tel glissement se trouvent à l’extrême-gauche (le NPA) ou chez les populistes de LFI. Ici c’est une gauche bon teint, mitterrandienne et ségolienne, qui dérape, ce qui explique, pour partie, la protection dont Bianco a bénéficié.

D’autre part, l’affaire Bianco est révélatrice de la situation polémique dans cette période qui s’étend des attentats de l’année 2015 à l’assassinat de Samuel Paty. Le courant dominant à gauche, et en particulier dans les sommets du ministère de l’éducation nationale, affiche une laïcité de façade, mais, en réalité, est anti-Charlie. Si Bianco, « L’homme qui détestait Charlie », peut se livrer à de telles excentricités anti-laïques, c’est bel et bien parce qu’il se sait et se sent protégé. L’expression de cette politique de modération face à l’islamisme c’est le célèbre « pas de vagues » à tous les niveaux du ministère de l’éducation nationale. On va créer des « référents laïcité », mais, pour une bonne moitié, ce sont des partisans de la politique de modération, qui ânonnent, à la manière de Cadène, une vision pseudo – juridiste de la laïcité. Un peu partout, les recteurs, les inspecteurs de tout poil reprennent la formule de Bianco en 2013 : « la France, aujourd’hui, n’a pas de problème avec sa laïcité ».

L’affaire Bianco est donc éclairante sur le climat significatif qui régnait à l’éducation nationale, quatre ans plus tard, quand Samuel Paty fut assassiné. Une certaine gauche institutionnelle et scolaire peut bien tenter de continuer encore aujourd’hui à se voiler la face : c’est bien cette politique de modération dans l’opposition à l’islamisme et la défense de la laïcité qui a créé cette atmosphère si caractéristique du lâchage de Samuel Paty par ses collègues et la hiérarchie.

Finalement, la protection dont ont bénéficié Bianco, Cadène et l’Observatoire a été constante jusqu’en 2021, date de la fin du mandat de Bianco. Un petit rappel chronologique sera intéressant.

L’Observatoire de la laïcité avait été créé par Chirac en mars 2007, mais était resté une coquille vide (!) jusqu’au 05/04/2013. A peine nommé, Bianco entérine solennellement l’absence de problème de la France « avec sa laïcité ». En dépit des rodomontades de Valls, Bianco, un proche de Ségolène Royal, ne sera jamais véritablement inquiété pendant la présidence Hollande. Cette situation perdure avec Macron ; il est reconduit pour cinq ans par Edouard Philippe en 2017. Finalement, il faut attendre Castex pour voir l’Observatoire dissout, en juin 2021. Nicolas Cadène, pourtant simple agent contractuel, sait suffisamment faire jouer ses relations pour être nommé, par arrêté du Premier ministre et du ministre de l’intérieur en date du 31 août 2021, directeur départemental adjoint de l’emploi, du travail et des solidarités de l’Hérault, pour une durée de quatre ans.

Ses partenaires du CCIF (Collectif de lutte contre l’islamophobie) ont eu moins de chance. Pour prévenir une dissolution par Darmanin, ils s’étaient dissouts eux-mêmes. Mais le gouvernement a été jusqu’au bout de la procédure, précisant par un décret du 2 décembre 2020que le CCIF était dissout en tant que groupement de fait. Le Conseil d’État rejette le recours du CCIF le 24 septembre 2021. Ils poursuivent leur brillante activité comme association européenne, basée à Bruxelles et bénéficiant des subventions bureaucratiques habituelles de l’Europe.

Monsieur Bianco et Charlie

Par le Collectif Culture Commune

21 juin 2016

Introduction

L’Observatoire de la laïcité vient de publier son rapport 2015-2016. Il a mis un peu d’eau dans son vin mais ses critiques jugeront probablement que le vin en question a définitivement viré à l’aigre.

Aigreur par exemple au point 5 de la synthèse :

« La crainte d’un glissement de la laïcité vers une volonté de « neutralisation de la société civile et des individus » et de son instrumentalisation reste partagée au sein des organisations cultuelles et parfois dans le milieu socio – éducatif. »

Nous nous étonnons, pour notre part, que le contexte des attentats soit précisément traité comme un contexte, alors que les massacres djihadistes de janvier et novembre 2015 ont vu l’Observatoire adopter des positions surprenantes, et bien éloignées d’une défense même prudente de la laïcité.

En 2015 et 2016, le débat autour des positions des responsables de l’Observatoire de la laïcité, Jean Louis Bianco et Nicolas Cadène, a vu s’opposer un Premier ministre en fonctions et son prédécesseur, des membres éminents de l’Observatoire en démissionner, une pétition demander le départ de Jean Louis Bianco, une autre prendre sa défense. Ce débat porte sur des questions fondamentales et il traverse la plupart des courants politiques. On peut regretter qu’il ait pris une tournure aussi vive, mais mieux vaut un échange un peu musclé que l’évitement de questions parmi les plus importantes pour notre société et pour la démocratie. Et il est loin d’être clos.

Sommairement trois questions sont soulevées : le contenu de la laïcité ; la notion d’«islamophobie» ; la position à l’égard du mouvement qui s’est exprimé en janvier et novembre 2015, en réplique aux attentats terroristes. Notre contribution porte sur ce troisième point qui a été l’origine sinon le seul motif de la création du Collectif Culture Commune. Nous ne détenons certainement pas la vérité sur cette expérience historique et politique ; mais nous avons été actifs, nous avons beaucoup travaillé, beaucoup appris, nous croyons être au moins des « observateurs attentifs ». C’est sur fond de ce travail et à partir de cette expérience que nous proposons les remarques suivantes sur la conduite étonnante de Jean Louis Bianco par rapport à Charlie. Certains les trouveront raides. Mais personne ne pourra nous reprocher d’avoir manqué de clarté. Il faut avouer que nous avons nous-même été étonnés de ce que nous découvrions.

Pour commencer : qu’est-ce-que l’Observatoire de la laïcité ?

Bien sûr nous ne contestons pas le droit des responsables de l’Observatoire à avoir, à titre personnel, un point de vue, ni même, comme on va le voir, un point de vue très particulier, sur le djihadisme, le terrorisme et l’islamisme. Mais il ne s’agit pas ici du point de vue personnel de Monsieur Bianco, ancien homme politique, ni de Monsieur Cadène, agent contractuel de l’état ; il s’agit des positions officielles, réitérées d’un organisme lui-même officiel. Aussi bien doit-on d’abord se demander : qu’est-ce-que l’Observatoire de la laïcité ? quelle est la valeur de ces positions publiques ?

Afin d’éclaircir ce point, nous publions les premiers articles du décret concernant l’Observatoire de la laïcité. Nous ne reproduisons pas les autres extraits qui évoquent son rapport et sa composition.

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Document 1.

Extraits du Décret n° 2007-425 du 25 mars 2007 créant un observatoire de la laïcité.

NOR: PRMX0710174D
Version consolidée au 11 juin 2016

Le Premier ministre,

Vu la Constitution, notamment son article 21 ;

Vu le décret n° 2006-672 du 8 juin 2006 relatif à la création, à la composition et au fonctionnement de commissions administratives à caractère consultatif,

Article 1 

Il est institué, auprès du Premier ministre, un observatoire de la laïcité.

Article 2 

L’observatoire de la laïcité assiste le Gouvernement dans son action visant au respect du principe de laïcité dans les services publics.

A ce titre, il réunit les données, produit et fait produire les analyses, études et recherches permettant d’éclairer les pouvoirs publics sur la laïcité.

Il peut saisir le Premier ministre de toute demande tendant à la réalisation d’études ou de recherches dans le domaine de la laïcité.

Il peut proposer au Premier ministre toute mesure qui lui paraît permettre une meilleure mise en oeuvre de ce principe, notamment pour assurer l’information des agents publics et des usagers des services publics.

Il peut être consulté par le Premier ministre ou les ministres sur des projets de textes législatifs ou réglementaires.

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Ce décret est parfaitement clair même pour un lecteur peu au fait du droit public.

Premier point : l’Observatoire de la laïcité n’est en rien une association citoyenne qui agirait, selon son orientation, tantôt dans le sens du gouvernement, tantôt contre lui. Il est une simple « commission administrative consultative ». Il n’est ni une juridiction, ni une autorité administrative indépendante ; non seulement il n’est pas indépendant mais il n’a pas même l’autonomie d’un établissement public. D’autre part, il est purement consultatif ; il n’a pas du tout la responsabilité de fixer ni même préciser les orientations juridiques ; il n’a pas autorité pour intervenir concrètement en quoi que ce soit d’autre qu’une activité de conseil.

Deuxième point : l’Observatoire observe la laïcité et rien d’autre. Le décret n’a pas institué un observatoire de la société, de la liberté d’expression, du djihadisme, du terrorisme, ni des mouvements citoyens liés à ces sujets.

Troisième point : l’Observatoire de la laïcité est institué auprès du Premier ministre et nulle part ailleurs. Monsieur Bianco a travaillé à l’Elysée : il n’y est plus. Auprès de Madame Royal, ministre de l’environnement : il n’y est plus. Ce n’est pas seulement une question de papier à en-tête. Cette commission consultative est placée administrativement auprès du Premier ministre. C’est-à-dire qu’elle fait partie de ses services (Secrétariat général du gouvernement) et que Monsieur Bianco est soumis à son autorité hiérarchique. Il n’est certainement pas au pouvoir d’une commission consultative de s’opposer à l’orientation politique du gouvernement, quoi qu’elle en pense, que le gouvernement ait tort ou raison.

En droit – et on va voir à quel point Monsieur Bianco est enclin au juridisme – les dirigeants de l’Observatoire peuvent avoir, à titre individuel, toutes les idées qu’ils veulent. Mais, comme tout fonctionnaire, ils doivent faire preuve de « réserve » dans l’expression de leurs propositions ou de leurs préjugés, et cela même s’ils étaient d’accord avec le gouvernement. Ils doivent encore respecter leurs concitoyens qui se trouvent être aussi les contribuables qui assurent leur traitement. Les ignobles « laïcards », les critiques de Baubérot, les sectaires partisans de la « neutralisation » de la société, même les abominables athées ont le droit de bénéficier d’une parcelle de cette obligation de réserve. Ils ne sont ni les concurrents politiques de l’ex-élu Bianco, ni les camarades de jeux de Nicolas Cadène, mais des citoyens, de simples citoyens qui s’attendent à un minimum de respect d’agents publics nommés à la discrétion du pouvoir et sans compétence connue du domaine.

Dernier point : l’article 2 détaille la manière selon laquelle l’Observatoire peut remplir sa fonction de commission consultative. Il a évidemment le droit d’être imaginatif dans ce rôle d’assistance ; mais il restera limité à la fonction consultative. On notera en particulier qu’il n’est pas qualifié pour mener quelque opération de communication ou d’information, mais seulement pour « proposer…toute mesure » en ce sens : rien ici qui puisse évoquer le lancement de pétition, d’association politique, d’actions de propagande.

Cet article fait allusion à l’information des agents publics et des usagers des services publics. Nous allons en avoir un bon exemple avec le livre « L’après Charlie » ; nous examinerons ensuite l’appel « Nous sommes tous unis », et, pour finir, le collectif créé après cet appel.

L’Après Charlie vu par Bianco et Grzybowski

En septembre 2015, Jean-Louis Bianco, Lylia Bouzar et Samuel Grzybowski  font paraître un livre intitulé « L’Après Charlie. 20 questions pour en débattre sans tabou ».

Présentation du livre « L’Après Charlie »

Le livre est publié par les Editions de l’Atelier qui, dans la polémique ultérieure, apporteront leur soutien à Jean Louis Bianco. Créées par les Jeunesses Ouvrières Chrétiennes, les Editions de l’Atelier se définissent aujourd’hui comme un éditeur indépendant. Elles sont connues pour avoir publié un remarquable Dictionnaire biographique du mouvement ouvrier français, dirigé par Jean Maitron. Dans la période récente, elles ont publié plusieurs livres des animateurs de Coexister, ainsi que de Dounia Bouzar. Le livre est co-édité par Canopé, éditeur du CNDP (Education nationale), ce qui lui confère une sorte de timbre officiel. De fait, il est présenté par ses auteurs comme résultant d’un échange avec des lycéens ; et il est clairement suggéré qu’il pourrait lui – même être utilisé dans le cadre du lycée, par exemple à l’occasion des cours d’enseignement moral et civique.

Le deuxième auteur est Samuel Grzybowski. Il dirige alors l’association Coexister où il a succédé à Alaume Houdry, passé du catholicisme à l’islam, et des scouts d’Europe à la Palestine. Samuel Grzybowski est un chrétien militant et Coexister une organisation prônant le dialogue inter-religieux. Samuel Grzybowski semble attiré par un puissant tropisme vers les milieux islamistes (1). Il a aussi ses entrées dans l’appareil socialiste, notamment dans l’ancien courant ségoleniste, et aux Affaires étrangères, grâce auxquelles il est devenu un véritable champion de l’œcuménisme sur fonds publics.

Le troisième auteur, Lylia Bouzar est gérante du cabinet d’études Bouzar expertises, et présidente du Centre de prévention des dérives sectaires liées à l’islam (CPDSI) qu’anime sa mère, Dounia Bouzar.

Le livre se présente sous la forme de vingt questions regroupées en cinq chapitres : la liberté d’expression ; l’indignation à géométrie variable ? ; les discriminations ; un complot ? ; les religions et les lois de la République ; l’exercice de la laïcité au service du vivre – ensemble. Chaque question est suivie de brèves citations de trois jeunes, puis d’une réponse – commentaire de chaque auteur.

L’Etat Islamique et Al Qaïda oubliés

Nous avons parcouru le livre pour dénicher les occurrences de « l’Etat Islamique » (ou de Daësh) et de « Al Qaïda ». Comment parler des massacres de Charlie Hebdo et de l’Hyper Cacher sans mentionner les deux organisations djihadistes coupables de ces massacres ?  Sans surprise, nous découvrons plusieurs références dans les interventions de Lylia Bouzar qui de manière générale nous semblent intéressantes et ne suscitent pas de réserves. Mais ni Jean Louis Bianco ni Samuel Grzybowski ne les citent jamais, au long des cent douze pages.

Nous trouvons donc ici le premier symptôme de cette incapacité ou refus de désigner l’ennemi qui caractérise la position des deux auteurs. On admettra que les assassinats des 7, 8 et 9 janvier 2015 ayant été dûment revendiqués par Al Qaïda et l’Etat Islamique, et cette revendication ayant fait l’objet d’une large diffusion, au point où l’on peut soutenir que 2015 a été l’année où littéralement les Français ont découvert Daësh, l’oubli, voire l’occultation des coupables demande une explication. De ce point de vue, le livre de septembre fonctionne comme une préparation ou un test pour l’appel de novembre.

Evidemment, en omettant de citer Al Qaida et Daësh, on s’évite d’avoir à les caractériser. Les notions de « djihadisme », d’ « islamisme », ou de « salafisme » sont donc totalement absentes.

Un choix de questions curieusement orienté

Cet « Après Charlie » réserve quelques surprises, surtout dans la perspective d’une réutilisation ultérieure dans les lycées. C’est ainsi que toutes les questions, sauf une, correspondent aux interrogations de jeunes lycéens, musulmans en particulier, qui seraient réservés, voire opposés au mouvement « Je suis Charlie ». Cette orientation est totalement contradictoire avec la présentation du livre axée sur « l’impression que la société française se divisait en deux : ceux qui étaient « Charlie » et ceux qui ne l’étaient pas ». Le livre semble avoir perdu en route sa visée initiale et ne plus s’intéresser qu’à la position de ceux qui n’étaient pas Charlie.

Ce choix est problématique en soi, parce que la concentration sur un seul type de questions ne correspond pas à une approche humaniste et citoyenne : un livre publié sous le timbre de l’Education nationale est peut-être l’occasion d’inciter les jeunes à s’intéresser aussi à ce que pensent les autres ; et il a plusieurs effets qui nous semblent graves.

Le premier effet est cette mise en scène de la division. Or il n’y a rien qui s’apparente, dans la réalité de l’après Charlie, à l’apparition de deux France, ou d’une France coupée en deux. Il ne s’agit pas seulement d’une question de nombre, les Charlie étant clairement majoritaires ; il s’agit d’une dynamique et d’une prise de conscience. Charlie est un peuple en mouvement, #jenesuispasCharlie est un hashtag. Il n’y eut même pas de tentative d’organiser des contre – rassemblements. Merah reçut plus de soutiens publics en 2012, y compris sous la forme de petites manifestations, que Coulibaly et les Kouaichi en 2015. La police évalue à 3 000 les tweets de soutien aux djihadistes. Evidemment on ne peut pas parler d’unanimité, comme le démontrent les départs pour l’Irak ou la Syrie. Mais cette division réelle est bien différente de la mise en scène des deux France déjà tentée par Emmanuel Todd. Celle-ci n’est rien d’autre qu’un montage qui vise un but extrêmement précis : dévaluer le mouvement Charlie et sa légitimité en lui associant l’image d’une France coupée en deux.

Deuxième effet : l’oubli de toutes ces questions qui n’émanent pas des anti-Charlie mais sont présentes dans les lycées comme elles le sont dans la société, et qui, du fait de leur absence de traitement, finissent réellement, elles, par devenir taboues : l’Islam est-il responsable ? le djihad guerrier est-il un devoir pour les musulmans ? les musulmans sont-ils tous des islamistes ? le terrorisme est-il un djihad ? les islamistes sont-ils tous terroristes ? les leaders des différents courants islamiques ont-ils dénoncé les crimes ? Ne pas traiter ces questions, auxquelles Charlie-le mouvement donnait un début de réponse autour de cette politique du discernement que résume le slogan « pas d’amalgame », n’est-ce pas précisément creuser le fossé entre ceux qui étaient Charlie et ceux qui ne l’étaient pas ?

Le dernier effet est symétrique du précédent. La mise entre parenthèses du djihadisme et de la situation d’hostilité, résumée par l’oubli de Daësh par Bianco et Grzybowski, ne permet pas aux jeunes musulmans de réfléchir posément sur l’horreur des assassinats, de mettre une distance critique avec les coupables, et pour finir de situer leur appropriation des événements et de l’associer avec celle de l’ensemble des citoyens, notamment les autres jeunes.

« Est-on obligé de dire « Je suis Charlie » ?»

Cette question ou d’autres proches ont été posées dans les collèges et lycées parfois dès les minutes de silence du 8 janvier. En septembre, quand «  Après Charlie » est publié, les enseignants, comme tous les intervenants sur cette question, ont déjà une expérience qui ne paraît pas vraiment affleurer dans le livre. Rappelons en les grandes lignes. Différence entre le droit et l’éthique : on a le droit de se dire Charlie, de ne pas se dire Charlie, de dire « Je ne suis pas Charlie », mais les différentes positions ne se valent pas. Souvent les enseignants vont récuser la troisième position en s’appuyant sur le sens moral « ordinaire » des élèves : quoiqu’on en pense, l’assassinat est indéfendable. La différence entre la solidarité et l’identification avec Charlie-le-journal est introduite par la réflexion sur le slogan lui-même. Une telle différence permet, lors des débats dans les classes, de présenter la position classique des démocrates « Quoi que je pense de vos articles et dessins, je soutiendrais votre droit d’expression, soutenant ainsi la liberté d’expression en général, fondement nécessaire de la liberté de pensée ». Cette démarche est grosso modo résumée dans le commentaire de Lylia Bouzar.

La position de Samuel Grzybowski est tellement sinueuse qu’on ne peut pas la résumer. Elle commence ainsi : « D’abord je ne peux m’empêcher de penser aux victimes qui ne sont pas « Charlie ». Je sais bien encore une fois que les « Charlie » n’ont pas oublié ces victimes, mais j’avais vraiment envie d’être à la fois « Charlie, flic et juif » après le 11 janvier ». On peut s’interroger sur la profondeur et la solidité de cette fédération des solidarités qui s’est manifestée le 11 janvier. Mais l’histoire est parfaitement claire : il y eut une phase « Je suis Charlie » stricte, à partir du 7 janvier, puis une phase d’élargissement à la solidarité avec les Juifs et les policiers, dès le 10, et surtout le 11. Finalement Grzybowski s’est décidé à n’être pas Charlie mais il nous laisse dans l’ignorance de ses raisons.

La position de Jean-Louis Bianco est moins compliquée ; mais elle est catastrophique. Nous la reproduisons en entier avant de la commenter. On pourra juger sur pièces.

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Document 2

Jean-Louis Bianco répond à la question « Est-on obligé de dire « Je suis Charlie » ?»

« Bien sûr, on peut ne pas être « Charlie » ! Cela fait partie de la liberté d’opinion. De fait, le slogan « Je suis Charlie » a créé une confusion chez nombre de nos concitoyens. En le proclamant sur des affiches, des badges, sur Internet, il ne s’agissait pas de se revendiquer du journal Charlie Hebdo, mais d’affirmer sa révolte contre la barbarie terroriste. Il s’agissait d’affirmer sa solidarité, non pas avec une ligne éditoriale, mais avec tous ceux qui subissent le terrorisme. « Je suis Charlie » signifiait, comme les autres slogans – « Je suis Ahmed », « Je suis Franck » (noms des policiers assassinés) -, notre refus de voir la barbarie l’emporter sur les valeurs républicaines.

On peut toujours être en désaccord avec ce journal satirique, ne pas l’aimer et se sentir insulté par certains dessins. On peut même saisir la justice si l’on considère que certains d’entre eux incitent à la haine.

Mais ce slogan n’a pas été expliqué, d’où la confusion qui l’a entouré. Dès lors, il n’est pas choquant que certains jeunes, ne comprenant pas pourquoi ils devraient obligatoirement soutenir un journal qui avait pu les heurter quelques années auparavant, disent ne pas se sentir « Charlie ». »

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 Commentaires de la réponse de Jean-Louis Bianco

Cette réponse appelle de nombreux commentaires ; nous nous tiendrons à une critique habituelle à travers des approches juridiques, éthiques et politiques.

Le droit (2) est donc introduit par la formule « on peut » qui signifie classiquement « on a le droit ». On a le droit de ne pas être « Charlie », « d’être en désaccord…de ne pas l’aimer…de se sentir insulté… », de « saisir la justice… ». Malheureusement, Bianco glisse d’emblée du niveau du droit (liberté d’opinion) à celui du contenu. Or l’objectif même de ce type d’intervention en classe est de permettre aux élèves de distinguer le droit et le contenu (éthique, politique) de la position.

On part donc de cette notion de liberté d’expression : je suis Charlie ; je ne suis pas Charlie ; je retiens mon opinion. Le moins qu’on puisse dire est que Bianco ne la présente pas de manière équilibrée. Il était pourtant simple d’énoncer les choses ainsi : le même droit à s’exprimer qui vaut pour Charlie-le journal vaut pour ceux qui ne sont pas d’accord avec lui. Mais la liberté d’expression de Charlie est à peine évoquée de manière vague dans la seule formule « les valeurs républicaines ». Or si quelque point d’histoire méritait d’être rappelé ici, c’est bien le contexte de fanatisme meurtrier qui pèse ici sur la liberté d’expression, depuis l’affaire des Versets de Satan.

Les travaux qui ont été menés sur les anti-Charlie nous apprennent déjà beaucoup sur ce point. D’après Romain Badouard, les #jenesuispascharlie se divisent en trois tiers : extrême gauche, hostile à la récupération gouvernementale et unité nationale ; extrême droite anti Charlie-le-journal sur le modèle de JM Le Pen ; musulmans choqués par les « blasphèmes » et islamistes. Le groupe Facebook « Je ne suis pas Charlie », toujours actif, représente bien cette dernière catégorie. Il était donc particulièrement nécessaire, ce que Bianco ne fait pas, de rappeler que le droit de ne pas être Charlie n’emporte pas le droit de voir interdire les blasphèmes qui ne sont reconnus ni comme délit ni comme crime. Traiter cette question cruciale du blasphème s’est imposé à quiconque essayait d’organiser un débat dans un lycée.

Le jugement éthique ne se confond pas avec le rappel des principes juridiques des libertés publiques. Si, en général, toutes les opinions bénéficient de la même liberté, toutes ne se valent pas. Or ce point, dans le contexte auquel pense Bianco, est de beaucoup plus important que la dimension juridique. D’une part, le réflexe éthique spontané, ordinaire pousse à la condamnation des assassinats. D’autre part, les partisans du #jenesuispascharlie affichaient pour la plupart cette même condamnation. Il faut donc à partir des dispositions éthiques premières des lycéens les entraîner à s’interroger et à comprendre les différentes positions qui peuvent se tenir derrière le refus d’être Charlie. Par exemple #cheh (« bien fait » en arabe) et #jesuiskouachi sont des prises de parti pour les assassinats. Sur certains sites « Je ne suis pas Charlie » la condamnation des assassinats est de pure forme et relève de la taqqiya, ou dissimulation. Il est autrement plus important d’entraîner les lycéens à identifier ces pratiques de dissimulation que de les initier au droit de la presse. Ici ce n’est pas le contenu de l’éducation morale et citoyenne qui est difficile à cerner. Il est au contraire très simple si on a pris le soin de ne pas enfouir l’exemple sous un fatras de relativisme juridique…ou politique.

Car la position de Bianco est pour le moins paradoxale. Etant l’auteur le plus institutionnel du livre, et un responsable socialiste proche d’une présidence qui s’est approprié Charlie au point de manifester avec différents chefs d’état, il donne le sentiment de ne pas choisir entre les Charlie et les anti-Charlie, et pour finir de les renvoyer dos-à-dos.

Il caricature « Je suis Charlie » en le définissant comme un simple mouvement de solidarité anti-terrorisme alors qu’il s’étageait d’une position conséquente sur la liberté d’expression jusqu’à une opposition au djihadisme, en passant par le rapprochement des diverses solidarités, en particulier une nouvelle compréhension de la solidarité avec les Juifs. On est loin ici des formules creuses sur la barbarie terroriste qui d’ailleurs ne révolte pas simplement les Charlie, mais l’écrasante majorité des Français.

Bianco caricature aussi le slogan « Je suis Charlie » auquel il impute la charge de la confusion, ce thème préparant celui de la division que l’on trouvera au centre de l’appel « nous sommes unis ». Mais la confusion est plutôt chez ceux qui ne savent pas contrôler le ressentiment que suscite en eux l’idée qu’ils se font du blasphème, et qui ne savent pas non plus quelle est leur véritable conception de la liberté ; ceux-là ne sont pas la majorité des musulmans, mais cette minorité qui ne sait pas résister à l’islamisme. Ce n’est pas le slogan qui a créé la confusion, c’est le massacre qui l’a révélée. Ce n’est pas la confusion qui caractérise ce slogan, mais une sincérité puissante, cause de son succès. Finalement Bianco s’en tient pour lui-même à cette condamnation minimale de la barbarie et du terrorisme que l’on retrouve affichée sur les sites des #jenesuispascharlie et qui est la seule que peuvent accepter les islamistes.

Il n’est pas certain que l’Observatoire de la laïcité ait été bien préparé à affronter la nouvelle situation caractéristique de l’année 2015 : l’agression stratégique du djihadisme salafiste et la résistance massive des gens ordinaires à ce même djihadisme. Avec Coexister, l’Observatoire, l’un et l’autre très éloignés de leur mission d’origine, après s’être fait les dents sur le livre « Après Charlie », allaient s’auto-convaincre qu’ils étaient à même de constituer un courant politique qui se substituerait à Charlie, réduirait la division, diminuerait la séparation avec les islamistes. L’appel « Nous sommes unis » devait représenter une étape décisive de cette équipée improbable.

L’appel « Nous sommes unis »

Lorsque notre Collectif prit connaissance de l’appel « Nous sommes unis », lancé dans la suite des attentats du 13 novembre 2015, la première réaction fut l’étonnement et l‘agacement de voir un organisme public s’associer avec des personnalités ou des groupes d’orientation islamiste. Quant au texte lui-même, nous le trouvions, à tort, anodin et un peu vide, à cause de cette recherche forcenée d’unanimité. En réalité, nous n’avions fait que le survoler, dans un moment où la résistance ordinaire au djihadisme meurtrier imposait une toute autre implication. Lorsque des commentateurs, plus vigilants que nous, exprimèrent publiquement leur condamnation de ce rassemblement de signataires sans principe, nous reprîmes le texte pour l’analyser. La suite ressemble un peu à la situation dont Edgar Poë a donné une version classique dans « La lettre volée ». Comme prévu, on ne trouvait guère de condamnation de l’islamisme, ni du salafisme, ni même du djihadisme. Mais l’essentiel nous échappait. C’est seulement en reprenant des notes prises sur le livre d’Emmanuel Todd, autre grand ennemi de Charlie, que nous avons retrouvé, sous nos yeux, la lettre volée : comme Todd, ni Bianco, ni Grzybowski ne mentionnaient Daesh. Les massacres de Paris devenaient des événements sans coupables, ou plutôt, comme l’appel le déclarait dans une formule qui ne sera pas oubliée : des crimes « dont seuls les auteurs sont coupables ». Cette constatation nous a poussé à reprendre le livre « Après Charlie » pour aboutir, comme cela vient d’être exposé, aux mêmes résultats.

Le Premier ministre a donc reproché aux responsables de l’Observatoire d’avoir signé, au lendemain des attentats du 13 novembre, un appel intitulé « Nous sommes unis », avec d’autres personnalités dont les responsables du Collectif de lutte contre l’islamophobie, ou le rappeur Médine qui ne sont pas cités explicitement par Manuel Valls, mais clairement visés. Thomas Legrand, dans son billet politique sur France Inter le 20 janvier, soulignait que « Plutôt que de combattre idéologiquement ceux qui caricaturent la laïcité et même réclament une autre organisation des rapports entre la religion, la société et l’État, l’Observatoire de la laïcité entretient une sorte de partenariat bienveillant avec ces organisations, leur donnant une légitimité inespérée dans le débat public ».

Ce qui est donc visé est ce partenariat bienveillant, cette proximité avec les courants islamistes. Mais qu’en-est-il de l’appel lui-même, signé par des personnalités très diverses, dans une perspective de large rassemblement qui est le seul argument de Jean Louis Bianco. Caroline Fourest qualifie cet appel de « niais ». Nous croyons plutôt que ce style niais est une habileté pour masquer un contenu très contestable. Il faut lire ce texte.

Qui sont les coupables du carnage du 13 novembre ? Le texte les définit ainsi : « une violence inouïe et innommable », « la barbarie », « le terrorisme », la « folie meurtrière motivée par une idéologie mortifère et inhumaine », la terreur. Il s’agit d’ailleurs d’« un crime dont seuls les auteurs sont coupables ». D’où vient cette impossibilité qui semble avoir saisi les initiateurs de l’appel, en particulier le groupe « Coexister », de nommer les assassins du 13 novembre ?  Innommable, cette violence ? Pourtant elle est revendiquée sans façons par Daësh : « Just Terror » titre Dabiq, sa revue. Un crime dont seuls les auteurs sont coupables ? Que signifie ce charabia quand tout démontre que l’opération a été préparée par les services de l’Etat islamique qui d’ailleurs s’en fait gloire?

Retenons déjà ceci : il n’y a pas à ce stade (normalement) de problème d’interprétation ; l’appel pouvait très bien citer Daësh sans expliquer ce qu’était Daësh. Il fait le choix de ne pas nommer le coupable.

Il y a quelques années une ministre de François Mitterrand s’était rendue célèbre par sa formule « responsable mais pas coupable ». Les initiateurs de la pétition auraient droit à une part de cette notoriété. Ils écrivent : « Chaque fois que nous tentons hâtivement de désigner des responsables de ce crime dont seuls les auteurs sont coupables, nous tombons dans le piège d’une division programmée et orchestrée. » Il faut donc éviter : de nommer les coupables, de reconnaître qu’il y a une situation d’hostilité, c’est-à-dire un ennemi, d’analyser une idéologie – que les auteurs du texte semblent pourtant avoir repéré- qui ne produit pas seulement une fureur mais se traduit en stratégie, de chercher enfin les responsables de cette situation.

Allons au fait : en apparence, les initiateurs de l’appel nous suggèrent qu’il faut éviter de chercher à comprendre les causes du terrorisme de peur de provoquer des « divisions programmées ». En réalité ils vont jusqu’à refuser de nommer clairement l’Etat islamique, c’est-à-dire qu’ils s’alignent totalement sur les positions des islamistes qui affectent de dénoncer « l’extrêmisme d’où qu’il vienne », ou le terrorisme, mais ne veulent jamais prononcer le nom de Daësh. Il y a tout lieu de penser que ce refus de reconnaître et nommer l’ennemi était précisément une condition posée par eux pour figurer sur l’appel. Autrement dit ce large appel était taillé sur mesures pour satisfaire les islamistes, ce qui, vraisemblablement, n’a pas été indiqué aux autres signataires. Nous en apportons comme preuve la similitude évidente de l’appel Nous sommes unis avec les trois communiqués de presse publiés par le Collectif Contre l’Islamisme à l’occasion des attentats de janvier et novembre 2015.

Tout cela n’est pas très brillant mais l’aspect le moins sympathique de cette opération est le sermon sur le piège de la division. Car il ne suffit pas aux auteurs de refuser de désigner les coupables pour plaire à leurs partenaires, il leur faut aussi attaquer ceux qui tout simplement chercheraient à comprendre et expliquer ce qui nous est arrivé en janvier et novembre 2015. Ce débraillé éthique s’exprime ainsi : « La division, la délation, la stigmatisation sont au cœur de ce piège sournois. Chaque fois que nous tentons etc… ». De la niaiserie peut-être, mais à la manière violente des prédicateurs révélant la série des différentes figures de Satan : sur quoi repose cette imputation de « délation » ? Mais il y a, il faut le reconnaître, du métier, dans ce style suggestif, chantourné et méchant que Molière a si bien moqué dans Tartuffe .

A rebours de l’esprit de cet appel, nous ne voyons pas comment éviter de nommer les coupables des opérations terroristes : l’Etat Islamique, Al Qaïda. Nous pensons extrêmement utile de caractériser idéologiquement cette hostilité à notre société et nous utilisons, en ce sens, la notion de « djihadisme salafiste ». Nous soutenons aussi que l’islamisme est la matrice du djihadisme. Autrement dit, la résistance de la société au terrorisme n’est rien d’autre que le combat contre le djihadisme et l’islamisme. L’organisation d’une telle résistance nécessite un véritable débat public, sans sectarisme et sans équivoque. Un tel débat est le meilleur moyen de mettre en œuvre le discernement nécessaire, d’éviter les amalgames, et de construire une unité large et solide.

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Document 3

Texte de l’appel « Nous sommes unis »

Touchée en plein cœur, la France pleure. Elle pleure ses citoyens assassinés, innocents, victimes d’une violence inouïe et innommable. Parce que la barbarie a encore frappé, la France doit encore se lever.

Face à un drame inédit d’une telle ampleur, nous devons plus que jamais nous concentrer sur l’unité ! Oui face au terrorisme, face à la peur, face à la violence : Nous sommes unis !

Nous sommes unis autour des familles des victimes – à qui nous adressons nos plus profondes et nos plus vives condoléances – autour des survivants, et autour de tous les témoins en France et dans le Monde de la folie meurtrière motivée par une idéologie mortifère et inhumaine.

Responsables associatifs, leaders politiques, journalistes, intellectuels, notre responsabilité est la même ! Le but de la terreur, au-delà du chiffre macabre des victimes, est de provoquer la division d’une nation, d’une famille.

Un piège nous est tendu ! Nous devons refuser d’y succomber ! La division, la délation, la stigmatisation sont au cœur de ce piège sournois. Chaque fois que nous tentons hâtivement de désigner des responsables de ce crime dont seuls les auteurs sont coupables, nous tombons dans le piège d’une division programmée et orchestrée.

Dès aujourd’hui avec tous les Français, traduisons nos intentions dans l’action. Nous pouvons rejoindre les hôpitaux les plus proches pour donner notre sang, adhérer aux associations créatrices de lien social, soutenir les ONG, tisser des liens avec nos voisins, lutter autour de nous contre le racisme et les préjugés… Le combat contre le terrorisme sera long, il sera dur, il nous réserve des moments difficiles, mais tant que nous agirons ensemble la France restera debout.

Les terroristes nous ont adressé un message. Ils ont voulu mettre la France à genoux. Disons-leur à notre tour que nous sommes debout ! Debout et soudés, main dans la main, les uns avec les autres et jamais les uns contre les autres. Notre unité est notre bien le plus précieux.

Protégeons-le et donnons-lui tout son sens aujourd’hui, l’heure est à la Fraternité qui est notre véritable rempart contre la violence aveugle du terrorisme et la division planifiée.

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Document 4

Communiqué du CCIF suite aux attaques terroristes de Paris le 13 Novembre 2015

Paris le 14 Novembre 2015

Le CCIF tient à condamner avec la plus grande fermeté les attaques terroristes perpétrées la nuit du 13 Novembre 2015 à Paris.

Nous tenons à apporter notre entière solidarité aux victimes et présenter nos condoléances à leurs familles.

Rien ne peut justifier de tels actes.

Nous refusons de céder à la peur malgré le caractère inédit de la tragédie. Ces attaques doivent au contraire renforcer notre détermination à vivre ensemble. Face à cette épreuve, nous devons rester solidaires et unis. C’est la meilleure réponse que nous puissions apporter aux tentatives de division.

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Document 5

Communiqué du CCIF sur l’attaque contre Charlie Hebdo

L’attentat perpétré ce mercredi 7 janvier 2015 contre l’hebdomadaire Charlie Hebdo est un acte ignoble, haineux, que nous dénonçons avec force. Toutes nos pensées vont aux victimes et à leurs familles.

Nous attendons de la part de nos représentants des discours responsables qui éviteront toute stigmatisation malvenue des citoyen-ne-s de confession musulmane et qui éviteront d’alimenter un climat lourd de préjugés et de rejet.

Unité et vigilance nationale

Le CCIF, condamne, une nouvelle fois, de manière ferme et sans équivoque l’attaque qui a pris pour cible l’hebdomadaire Charlie Hebdo. Cet acte ne saurait trouver justification au nom d’une quelconque religion et encore moins au nom de l’islam.

C’est pourquoi, le CCIF appelle à rejoindre massivement la marche prévue ce dimanche à 15h, place de la République afin de réaffirmer notre attachement aux valeurs humanistes universelles qui représentent notre socle commun.

Le CCIF condamne tout acte terroriste, tout acte de violence quelque soit son origine et qui menace notre capacité de vivre-ensemble en paix au sein de notre société.

Le CCIF s’inquiète du climat islamophobe qui s’installe depuis quelques temps déjà et qui s’intensifie depuis l’attaque contre Charlie Hebdo. L’attentat perpétré hier ne saurait être un prétexte à une propagande islamophobe.

À un moment où l’heure est au recueillement et au deuil national, le CCIF déplore l’attaque de plusieurs lieux de cultes musulmans et l’agression de plusieurs membres de sa communauté à travers toute la France.

Le CCIF appelle donc les pouvoirs publics à être vigilant et à protéger leurs concitoyens quelle que soit leur confession.

Le CCIF met en garde nos compatriotes contre le piège dangereux pour notre démocratie tendu par les extrêmes de tout bord visant à stigmatiser et à associer la communauté musulmane à cet acte odieux.

Plus que jamais, notre pays se doit de rester uni face à l’innommable.

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Mauvaise influence des bienveillants partenaires islamistes

Pourquoi donc Bianco et les autres oublient-ils Daesh ? Nous venons de suggérer une piste : l’oubli des coupables est en quelque sorte la contre-partie de la participation des islamistes à cet appel. Soit que les initiateurs aient voulu, par zèle, éviter les questions qui fâchent, soit que les islamistes en aient fait une condition à leur signature. Cette piste représente une partie de la vérité et elle a surtout le mérite de souligner à quel point la participation des groupes et individualités islamistes était recherchée ici. Mais il faut reconnaître qu’elle déplace la question. Comme nous ne soupçonnons pas Bianco ni Grzybowski d’être favorables eux-mêmes, directement, aux djihadistes, il faut donc expliquer pourquoi les signataires islamistes de l’appel évitent de mentionner Daesh et Al Qaida, comme nous l’avons montré en analysant les communiqués du Collectif contre l’islamophobie en France. On entend parfois mentionner la peur des représailles, mais si des personnalités comme les recteurs des mosquées de Paris et de Bordeaux, représentatifs de ce que Daesh appelle la « zone grise » (les éléments intermédiaires) ont bien été menacées, il ne semble pas que ce soit le cas des partenaires de Bianco dont nous parlons ici. La réalité est bien différente. Les islamistes ne veulent pas voir dénoncer l’islamisme, ni les salafistes le salafisme. Les uns et les autres ne veulent pas voir employer l’expression « djihadisme » qui serait une critique du djihad islamique. Alors pourquoi ne pas adopter le langage courant, pourquoi ne pas désigner clairement et par leur nom propre Daesh et Al Qaïda ? On doit ici souligner la différence entre les salafistes pro-Arabie Saoudite et la mouvance islamiste de type « Frères musulmans ». Si les premiers trouvent à s’appuyer sur les dénonciations équivoques mais virulentes des imams et prédicateurs saoudiens, les seconds, financés par le Qatar, pratiquent l’omerta islamiste par rapport aux djihadistes. On dénonce la terreur de manière rhétorique, sans désigner les terroristes. C’est précisément ce courant islamiste, « frériste », et souvent pro-Qatar qui est représenté chez les partenaires de Bianco. La loi du silence islamiste a une fonction très simple : elle évite de heurter la petite fraction extrémiste tentée par le djihadisme pour la rallier à un islamisme de type frériste : c’est toute la problématique du refus de « désavouer » Daesh si bien illustrée récemment par le leader de Baraka.

Négation de l’hostilité

Cette première piste – par l’influence de leurs partenaires islamistes sur les responsables de l’Observatoire de la laïcité – est assez probante. Néanmoins il faut reconnaître que Jean Louis Bianco n’avait pas tant besoin d’être influencé. Un penchant personnel apparemment irrésistible le poussait à oublier le nom et l’adresse des djihadistes pour mieux nier la situation d’hostilité ouverte par la guerre qu’ils mènent à la société française.

Sous cet angle, une telle négation de l’hostilité ne lui est pas réservée. Nombreux sont ceux qui se refusent à affronter ces violences et ces horreurs répétées, préférant à la résistance une attitude de déni complet. Ils peuvent même trouver un certain intérêt à se présenter comme des figures positives et consensuelles, aptes à éviter voire à prévenir les conflits. Cette position était la plus répandue avant le 7 janvier 2015, à coup sûr au sein des pouvoirs, et apparemment aussi dans l’opinion publique. Le grand mérite des manifestants parisiens du 7 janvier – et de tous ceux qui allaient les rejoindre du 8 au 11 – est d’avoir brisé un tel consensus et restauré une certaine dignité ordinaire en acceptant d’affronter l’hostilité des terroristes. Ils brisaient ainsi le silence honteux qui avait notamment entouré les crimes de Mohamed Merah, et aussi les premiers attentats contre Charlie Hebdo.

Mais les journées de janvier 2015 s’agençaient autour de deux pôles inconnus : d’une part, le nouveau djihadisme, Daesh, d’autre part, Charlie-le-mouvement. Le nom de Daesh ou de l’Etat Islamique était peu connu, sa réalité encore moins : rappelons que l’Etat Islamique fut créé et le caliphat instauré à l’été 2014. Pour des raisons de fait, c’est-à-dire d’expérience historique, peu de « mots d’ordre » dénoncent le djihadisme salafiste dans les manifestations, même si le « Not Afraid », apparu dès le 7, pointe dans la bonne direction. Cependant les raisons de fait ne sont pas les seules. On constate aussi une tendance à la périphrase au sommet de l’Etat. Capable de dénoncer au bon moment l’anti-sémitisme de Coulibaly (le soir du 8), Hollande n’arrive pas à se porter à la hauteur des événements en proposant une interprétation politique du « pas d’amalgame ». Dans cette situation, la solidarité avec Charlie et les Juifs est menacée par une orientation unanimiste, iréniste, exclusivement marquée par le souci de l’unité, du vivre-ensemble, de la fraternité, les esprits critiques, pourtant à l’origine de la réplique, passant pour de mauvais coucheurs, voire des diviseurs. Pour les islamistes, il y a là une sorte de divine surprise : leur dénonciation du bout des lèvres du terrorisme et de l’extrémisme « d’où qu’il vienne » se trouve donc validée en même temps qu’ils s’essaient à détourner le refus d’amalgame au profit de leur campagne de dénonciation de l’islamophobie. En insistant, leur détournement pourrait devenir la vérité officielle : soyons unis contre la haine, oublions les coupables, Daesh et Al Qaida, le djihadisme et l’islamisme.

Tel est, rapidement résumé, le contexte. La position de Bianco est parallèle à celle des islamistes. Son point de départ est l’extravagante déclaration de 2013 : « la France n’a pas de problème avec sa laïcité », suivi de « les atteintes à la laïcité ont peut-être été surestimées ». Dans son esprit, la laïcité n’est pas menacée par les identitaristes, les communautaristes et notamment le constant travail au corps poursuivi par les islamistes en direction de nos concitoyen(ne)s musulman(e)s ou « de culture musulmane ». Elle serait au contraire affaiblie par l’esprit de division, le ressentiment qu’éprouveraient certains musulmans à voir dénoncer l’islamisme, nécessairement confondu avec l’islam, puis, de proche en proche, le djihadisme, lui aussi confondu avec le djihad islamique. Or les tueries de janvier 2015 touchent d’abord ceux qui, comme Charlie Hebdo, ne sont pas restés silencieux devant les différentes formes d’islamisme, la montée de l’anti – sémitisme dans les banlieues. Il y a bien un responsable, et même un coupable, pas seulement les ineffables difficultés du vivre ensemble. Bianco poursuit une politique irréelle, imaginaire, comme la suite va le démontrer ; pour que ce monde irréel qui ressemble à un film de Jean Yanne puisse seulement être évoqué, il faut passer par l’oubli des djihadistes et de leur hostilité.

L’homme qui déteste Charlie ou le fiasco du collectif

Le président de l’Observatoire n’aime pas Charlie–le–journal, ni Charlie- le-mouvement, détestation qu’il partage avec Simon Grzybowski et les responsables du Collectif contre l’islamophobie. Encore récemment, et bien qu’on lui ait demandé d’apaiser un peu l’incendie de l’Observatoire, il n’a pas trouvé mieux que de déclarer que Charlie Hebdo disait bien pire que le rappeur Médine (« Crucifions les laïcards comme à Golgotha »). Nous insistons ici sur l’aversion de Bianco pour Charlie-le-mouvement qui va le conduire jusqu’à l’hypothèse fantasque d’exploiter l’émotion de novembre dernier pour lancer un mouvement qui se substituerait à Je-suis-Charlie.

Premier temps : dévalorisation de Je-suis-Charlie, préparée par le livre « L’Après Charlie ». Se voyant demander lors d’une interview « A quelle urgence pédagogique ce livre répond ? », Bianco répond : « Les jeunes doivent savoir qu’ils ont parfaitement le droit de dire « Je ne suis pas Charlie », encore fallait-il le leur dire » (3). Il se garde bien, comme on l’a vu, de dire ce que valent, au-delà de la liberté d’expression, les deux positions («Je suis Charlie » ; « Je ne suis pas Charlie ») du point de vue éthique et citoyen qui est celui-là même des cours auxquels s’adresse le livre.

Deuxième temps : l’appel « Nous sommes unis ». L’épisode ne se réduit pas à la question des signatures. Il s’agit aussi, pour Samuel Grzybowski , d’opposer un contre-mot d’ordre à Charlie. « Nous sommes unis » reproduit la grammaire de « Je suis Charlie » en s’opposant à lui point par point, et en suggérant, sans grande finesse, que Charlie, ce n’est pas l’union. Grzybowski s’illusionne d’ailleurs lui-même, spéculant sur le succès de son slogan, deuxième plus grande notoriété comme hashtag, après #PortesOuvertes !

Troisième temps : le lancement d’un collectif que nombre de signataires refuseront d’ailleurs de rejoindre. En ce qui concerne les partenaires islamistes qui sont aux réunions, il ne s’agissait donc pas seulement de signer un texte avec eux mais bien de constituer une organisation commune.

Voilà donc le fin mot de l’histoire : si Bianco oublie Daesh, c’est simplement parce qu’il veut constituer avec des islamistes une organisation qui supplante Je-suis-Charlie.

Un collectif est donc constitué qui s’approprie sans vergogne le titre de l’appel. Il se met au travail dès la fin novembre mais ne regroupe qu’une poignée de signataires. Les scouts musulmans présents à la première réunion ne reviennent pas. Ne reste plus que l’invraisemblable trio Collectif contre l’islamophobie/ Coexister/ Observatoire. En dépit de l’imagination fertile de Coexister, l’aventure du collectif vire au fiasco.

Il en reste tout de même une image proprement délirante. Sur son twitter, Bianco donne quelques exemples des initiatives du collectif, comme ce projet de campagne sur le thème « Kiffe ta France ». Kiffe ta France est habilement décliné en kiffe ton églisekiffe ta mosquéeta synaton école… ». La philosophie de cette affaire est très exactement ce que ses adversaires laïques reprochent à Bianco : l’appartenance à une communauté religieuse considérée comme la règle de base de la société, et reconnue comme telle par l’état. Il ne restait plus qu’à demander aux élèves de choisir entre « kiffe ta mosquée » et « kiffe ton école » mais le collectif n’en eut pas le temps.

Peut-on imaginer plus ridicule débâcle pour un observatoire de la laïcité ?

L’ancien Secrétaire général de l’Elysée est dans la confusion des temps. Il confond Cadène et Julien Drai, Samuel Grzybowski et Harlem Désir, « Nous sommes unis » et SOS Racisme, « Kiffe ton église, ta mosquée » avec « Ne touche pas à mon pote ». Malheureusement il est aussi dans la confusion des valeurs.

NB : Nous proposons à la discussion ce texte qui sera ensuite diffusé comme brochure. Il reprend avec de nombreux ajouts et modifications le contenu des trois articles déjà publiés sur le site. N’hésitez pas à nous faire part de vos commentaires.

  • (1) Quelques exemples non limitatifs : Coexister est la branche française de Global Interfaith Youth Network, dont la présidente honoraire en 2015 est Meherzia Labidi, ancienne députée des Frères musulmans en Tunisie ; Grzybowski pose pour la photo avec Sayida Ounissi, secrétaire des Jeunes frères musulmans européens ; Coexister participe à la Journée mondiale du hijab, défend Baraka City, et mène campagne contre les prétendus islamophobes (ainsi de Mohammed Sifaoui, traité d’ « usurpateur, menteur, raciste, misogyne,escroc » dans un tweet du 12 janvier 2016.
  • (2) Jean Louis Bianco a clairement un penchant pour le juridisme. A la question suivante « Où est le mal quand Dieudonné déclare : « Je suis Charlie Coulibaly » ? » il répond en citant les juges qui ont considéré que les propos de Dieudonné constituaient une « apologie du terrorisme ». Mais que cette déclaration de Dieudonné soit une provocation antisémite, Coulibaly étant un assassin de Juifs, voilà ce qui n’est pas évoqué devant les lycéens. Evidemment Bianco ne nie pas l’anti-sémitisme de Coulibaly (il en parle ailleurs) mais son juridisme le lui fait oublier au moment même où il faudrait le souligner.
  • (3) http://www.respectmag.com

Sources :

Bianco J-L, Bouzar L, Grzybowski S. L’Après Charlie. Les Editions de l’Atelier – Réseau Canopé, 2015

Badouard R. « Je ne suis pas Charlie ». Pluralité des prises de parole sur le web et les réseaux sociaux. in Lefébure P & Sécail C (dir) Le défi Charlie. Les médias à l’épreuve des attentats. Lemieux éditeur, 2016.
L’article de Romain Badouard est disponible ici : https://www.academia.edu/20020266/_Je_ne_suis_pas_Charlie_._Pluralit%C3%A9_des_prises_de_parole_sur_le_web_et_les_r%C3%A9seaux_sociaux

Collectif Culture Commune. https://collectifculturecommuneblog.wordpress.com/2016/01/25/lobservatoire-de-la-laicite-et-lappel-nous- sommes-unis/

Fiammetta Venner, Coexister ou l’ambition laïcité zéro, in  Crise à l’Observatoire de la laïcité, ProChoix n° 66, mai 2016

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