
Par Jack Rackam
Les Obscurs organisent un groupe de lecture de la « Lettre aux anarchistes » de Pelloutier. Afin de partager un peu cette activité avec nos lecteurs, nous publions ici une note de travail que nous mettrons à jour régulièrement. Le texte ci-dessous n’est rien d’autre qu’une note de méthode ; les mises à jour essaieront de rendre compte des séances de lecture.
Le groupe est constitué de cinq ami-e-s, contributeurs ou lecteurs de la revue. Localisation : Paris, banlieue, Nantes, Béziers. Les réunions de lecture se feront en ligne, mais nous essaierons d’organiser une ou deux rencontres physiques. En fonction de notre expérience du groupe LesLecturesLandauer, quatre ou cinq séances, de deux heures approximativement, devraient être un bon format.
Nous travaillerons sur la version du texte telle que nous l’avons publiée sur le site, après l’avoir rétablie. En effet, plusieurs versions circulent qui comprennent des erreurs suffisamment importantes pour altérer le texte en un ou plusieurs passages, et même le rendre incompréhensible, ou lui faire dire le contraire de ce qu’il dit. Nous avons rétabli le texte à partir de l’édition originale du « Congrès Général du Parti Socialiste Français » en tête duquel est placée la « Lettre aux Anarchistes ».
Nous aurons lu, avant la première séance, le texte de Pelloutier et la notice du Maitron en ligne rédigée par Guillaume Davranche. Un complément bibliographique est donné ci-dessous.
De manière générale, notre méthode de lecture s’inspire, dans un cadre collectif, de l’approche de la lecture comme technique de soi. Préparé par les lectures personnelles, l’exercice de lecture collective s’organisera en trois étapes : comprendre ; expliquer ; s’impliquer.
Pour la première étape (et la plus longue), la compréhension, nous nous diviserons en deux sous-groupes qui se répartiront les deux parties du texte. Evidemment tout le groupe lira l’ensemble du texte, mais cette lecture aura été préparée en sous-groupe.
Nous n’avons aucune envie de « désacraliser » ni le livre, ni le texte, ni la langue, ni Pelloutier…La société en général et l’industrie de la lecture en particulier font déjà cela très bien, et sans nous demander notre avis. Il n’est pas non plus dans nos goûts de défier toute logique et de laisser au hasard le soin de diviser le texte à répartir : nous n’allons donc pas déchirer ce texte pour nous le répartir. Ce sont des jeux d’une autre époque. Le cadavre de la logique n’a rien d’exquis. (1)
« Lire c’est diviser » (Hugues de Saint Victor). Il nous semble donc plutôt que le texte de Pelloutier peut être divisé logiquement en deux parties : l’analyse de la situation après le congrès du parti socialiste ; l’action des anarchistes.
La deuxième partie qui répond à la question : « Cette perspective est-elle pour nous plaire ? » est en quelque sorte le manifeste de Pelloutier pour une société d’hommes libres. Nous sommes des révoltés de toutes les heures…
Comprendre, c’est d’abord comprendre les mots. Ceux de Pelloutier ne sont jamais inutilement compliqués. Mais c’est tout de même un vocabulaire historique. Il ne faut pas complètement détester l’idée de mémoire pour comprendre : « Parti corporatif » ; « propagande » ; « besogne syndicale ».
Pour les noms propres, c’est pire. Entre Malatesta (QUI N’EST PAS CE QUE L’ON CROIT) et Sylvestre, dont on ne sait rien de bon, il faudra au moins se doter d’un bon dictionnaire.
Même chose pour les événements historiques : « conférence de Saint-Martin Hall à Londres en 1896 » ; « décrets du citoyen Millerand ». D’où l’idée d’une préparation de la lecture collective par un sous-groupe qui se charge des recherches et vérifications nécessaires.
Enfin comprendre les idées. Comme unités et comme logique démonstrative. C’est-à-dire : comprendre ce que fait Pelloutier. Pelloutier ne « s’exprime » pas ; il agit. Il y a ici une certaine difficulté, qui tient au contexte politique, à comprendre la remontée de la théorie organisationnelle (première partie) au manifeste « qui sommes-nous ? » (deuxième partie).
On se rapproche de la deuxième étape de la lecture collective : expliquer. Comprendre finit avec ce que fait Pelloutier. Expliquer commence avec ce qu’il veut.
Expliquer, ex-plicare, c’est déplier. Un livre est fait de feuilles pliées. Défaire les plis, c’est partir sur la piste de l’intention, derrière l’agencement du texte.
Confronter l’intention de Pelloutier avec la réception par son premier public, et avec celle de notre époque, avec notre propre réception.
Pas d’organisation spéciale de cette deuxième étape d’explication. Chacun la prépare ; chacun s’en occupe. Se garder de se précipiter dans l’explication avant d’avoir compris. Nous ne sommes pas la télévision.
Si expliquer, c’est défaire les plis, s’impliquer, c’est se remettre soi-même dans les plis, passer d’une conscience de l’opération de lecture, à une conscience de soi-même comme lecteur.
On traduit parfois « implicatio » par « appropriation » mais ce n’est pas un progrès.
L’implication suppose que chacun ait auparavant réfléchi – médité comme on dit partout- sur sa relation au texte et à l’auteur, mais aussi sur sa propre relation à soi-même, comme lecteur ou lectrice ayant lu ce texte, et, plus généralement, comme lecteur disposant d’une mémoire de lecture. En fait l’implication n’est rien d’autre que cette association de la lecture à la mémoire et à la méditation, l’exercice de lecture collective supposant une explicitation, une publication et un partage de cette réflexion.
Note
1/ On sent dans ce passage que l’auteur de cette note a dû être la victime d’une certaine nouvelle méthode de lecture collective, reposant sur le principe de l’autorité illogique.
« Enfin la logique n’est pas facile et personne n’a souhaité la leur enseigner. Aucun drogué n’étudie la logique ; parce qu’il n’en a plus besoin et parce qu’il n’en a plus la possibilité. Cette paresse du spectateur est aussi celle de n’importe quel cadre intellectuel, du spécialiste vite formé, qui essaiera dans tous les cas de cacher les étroites limites de ses connaissances par la répétition dogmatique de quelque argument d’autorité illogique. »
Guy Debord, Commentaires sur la Société du Spectacle
Références :
Fernand Pelloutier, « Lettre aux Anarchistes », publié sur le site Les Obscurs :
Guillaume Davranche, « Fernand Pelloutier », Dictionnaire des anarchiste, Le Maitron en ligne :
https://maitron.fr/spip.php?article156461
Bibliographie complémentaire :
Fernand Pelloutier, « Le Congrès Général du Parti Socialiste Français, 3-8 décembre 1899, précédé d’une Lettre aux anarchistes », Stock, 1900, sur Gallica.
Fernand Pelloutier, « Aux anarchistes », comprenant « Lettre aux anarchistes (1899) », « L’organisation corporative et l’anarchie (1896) », « L’anarchisme et les syndicats ouvriers (1895) », « Qu’est-ce-que la grève générale ? (1895) », préface de Guillaume Goutte, édition de David Doillon et Guillaume Goutte, Nada Editions 2023
Une bibliographie d’ensemble de Fernand P. sur anarlivres:
http://anarlivres.free.fr/pages/biblio/complements/pelloutier.html
Fernand Pelloutier, « Histoire des Bourses du Travail » avec une notice biographique de Victor Dave, et une préface de Georges Sorel, première édition 1902, Editions Plein Chant 2023
Guillaume Davranche, « Pelloutier, Pouget, Hamon, Lazare et le retour de l’anarchisme au socialisme (1893-1900) », Les Cahiers d’histoire, revue d’histoire critique, 2010, repris ici :
Alain Giffard, « Lire Pelloutier », sur l’anthologie de Nada, 2023