Daëch et l’esclavage sexuel

Par Les Obscurs

Une femme enlève sa burka en quittant une zone contrôlée par Daech, dans le nord de la Syrie.

Majid Hamid est directeur du bureau de la chaîne Al-Arabiya à Bagdad, une chaîne internationale saoudienne concurrente d’Al Jazeera, de tendance « Frères Musulmans ». Il y a un peu moins de quinze ans, il était enlevé par les djihadistes d’Al-Qaïda et torturé pendant cinq jours après avoir réalisé un entretien avec le porte-parole de l’armée américaine. En 2006, Al Qaïda en Irak – la matrice de Daësh- constitue avec cinq autres groupes djihadistes le « Conseil consultatif des moudjahidines en Irak ». Ce pseudo conseil proclame le 13 octobre 2006 l’Etat islamique d’Irak, qui deviendra ultérieurement l’Etat islamique. Majid Hamid commence aussitôt une série documentaire sur l’Etat islamique en Irak, intitulée La Fabrication de la mort. Le bureau de Bagdad d’Al Arabiya est alors visé par deux attentats à la voiture piégée en 2005 et 2010 qui font plusieurs morts et blessés parmi les membres de la chaîne.

Début 2024, Majid Hamid entreprend une nouvelle série documentaire, composée de trois volets « Rencontre avec l’épouse d’Al-Baghdadi », « Rencontre avec la fille d’Al Baghdadi », et « Sabaya Al-Baghdadi », soit « Esclave sexuelle d’Al Baghdadi ». Il donne la parole aux proches d’Abou Bakr Al-Baghdadi, le dernier calife de Daëch, et surtout aux femmes qui ont été ses victimes. Pour la plupart, elles sont yézidies, membres de cette minorité ethnique et religieuse, présente en particulier au Kurdistan irakien autour de la ville de Sinjar.

Rappelons que l’ONU, par la voix de Karim Khan, chef de l’enquête spéciale sur les massacres des Yézidis par les djihadistes de Daëch, déclare, le 10 mai 2021, avoir identifié la « preuve claire et convaincante qu’un génocide a été commis par l’Etat Islamique contre les Yézidis en tant que groupe religieux ». Les tueurs de Daëch ont employé divers moyens au service du projet génocidaire : assassinats par balle, décapitation et torture des femmes et hommes adultes, enfants arrachés à leurs parents, drogués, islamisés et transformés en djihadistes, et esclavage sexuel. Les enquêteurs de l’ONU placent l’esclavage sexuel, notamment celui des femmes vierges, distribuées ou vendues aux chefs et aux terroristes de base, au centre du processus génocidaire des Yézidis. Nudia Murad devient la porte-parole de cette cause. On estime que 7000 jeunes femmes et fillettes ont été violées, persécutées, déshumanisées. La Fondation Nadia Murad estime à 2800 le nombre de femmes et de fillettes yézidies toujours introuvables dix ans après les rapts. Aucun partisan de Daech n’a été à ce jour jugé pour génocide. En France, le Sénat a reconnu l’existence du génocide des Yézidis le 14 novembre 2016. Le film de Caroline Fourest « Sœurs d’armes », sorti en 2019, relate le combat d’une brigade internationale des forces combattantes kurdes féminines contre Daech. Le personnage central de Zara figure une rescapée yézidie vendue à un djihadiste, qui rejoint la brigade, après s’être échappée. « Le Silence de Sibel », de l’Iranien Aly Yeganeh, qui est aussi professeur de sémiologie à la Sorbonne, traite du « retour à la vie » des femmes esclaves; il est sorti en salles le 1er mai.

Comme le dit Kamel Daoud, dans le dossier spécial qu’il a rassemblé pour Le Point du 4 avril 2024 sur les documentaires de Majid Hamid : « L’usage des esclaves sexuelles n’est pas un secret ».

Parmi les différents textes parus sur la question de l’esclavage sexuel par Daëch, nous signalons celui de Roger Botte, anthropologue, auteur « d’Esclavages et abolitions en terres d’islam » : « Le retour de l’esclavage » publié sur le site du Huffington Post (12-03-2015). En voici de larges extraits :

« Le djihad donc, et par conséquent le rétablissement de l’esclavage sexuel, Daech en a théorisé le retour après l’assaut de la ville de Sinjar en Irak en août 2014, l’exécution de milliers d’hommes yézidis et la réduction en servitude de la plupart des 4 600 fillettes, jeunes filles et femmes yézidies portées disparues. Dans un article de sa revue de propagande en ligne, Dabiq daté du 12 octobre 2014 et intitulé « La renaissance de l’esclavage avant l’heure », par référence au Jugement dernier, Daech précise : « Après capture, les femmes et les enfants ont été répartis, conformément à la charia, parmi les combattants ayant participé aux opérations de Sinjar, après qu’un cinquième des esclaves a été transféré à l’autorité de Daech en tant que butin de guerre (khums). » Toutes ces femmes ont alors été converties et mariées de force, violées.

La multiplication des mises en esclavage et le constat que le djihadiste de base semble plus apte à manier la kalachnikov qu’à s’adonner à l’exégèse coranique ont conduit Daech à définir son interprétation de l’institution esclavagiste. C’est ainsi que, début décembre 2014, un « Bureau des recherches et des avis juridiques » a publié en arabe une brochure qui constitue une sorte de digest des bonnes pratiques concernant l’esclavage des femmes. Ce manuel, intitulé « Questions et réponses sur la capture et les esclaves », énonce en vingt-sept items le licite et l’illicite en matière d’assujettissement ….

…Le texte définit d’abord ce qu’il faut entendre par captive (al-sabi) afin de confirmer la licéité des rapts et conforter la légitimité de la terreur sur toute femme capturée par des musulmans en raison de son incroyance (kufr): Yézidies, chrétiennes irakiennes et syriennes, alaouites, chiites, Turkmènes, Kurdes, Shabaks, etc. Est-il permis d’avoir des rapports sexuels avec elles ? Oui, répond le manuel qui cite les versets coraniques (23: 1-6) déclarant non blâmables pour un homme les rapports sexuels avec ses épouses ou ses esclaves. Il s’agit là, avec le nom donné aux esclaves (riqab, litt. « nuques ») de la seule référence explicite au Coran.

Le grand nombre de fillettes enlevées a nécessité la régulation des pratiques pédophiles. Ainsi, la question n° 13 : « Est-il permis d’avoir des rapports avec une esclave qui n’a pas atteint la puberté ? Réponse : Il est permis d’avoir des rapports sexuels avec une esclave non encore pubère si elle est capable de rapports ; toutefois si elle n’est pas apte aux rapports sexuels, on se contentera d’en jouir sans rapports. »…

Le travail de Majid Hamid, tel que Kamel Daoud le présente, permet de disposer d’un dossier plus précis des atrocités djihadistes.

Le marché aux esclaves

Abou Bakr et les autres criminels qui dirigeaient Daëch ne se sont pas contentés de se « servir en femmes ». Ils ont réellement cherché à instituer la Sabaya mot qui n’a pas d’équivalent en français, que l’on traduit par « esclave sexuelle », et qui signifie à la fois « butin, propriété, objet, esclave, servante ». Le « marché aux esclaves », « souk ennakhassa » en arabe, n’est pas une métaphore. Les acquéreurs, regroupés sur un groupe WhatsApp intitulé « souk ennissa » ou « marché des femmes », consultent un catalogue de femmes capturées et font leurs propositions. Puis ils viennent chercher l’esclave dans une « ferme de tri » à Raqqa ou Mossoul, où s’entassent un grand nombre de femmes et d’enfants.

La séparation des familles

Après la première séparation avec les hommes, assassinés et torturés, qui précède la mise au marché, la mère est ici séparée de l’enfant, la sœur de son frère ou de sa sœur. Parfois l’acheteur prend l’enfant avec la mère pour avoir un moyen de chantage. La douleur de la séparation est encore augmentée par le sort prévisible de l’enfant : conversion forçée, endoctrinement comme tortionnaire et martyr pour le jeune garçon, esclave sexuelle pour la fillette. Tous les témoignages insistent sur l’horreur poignante de ces séparations.

Le sort des esclaves sexuelles

Le sort des esclaves sexuelles est d’être une simple chose à la disposition de leur propriétaire. Elles passent de mains en mains, circulant selon les intérêts financiers, les goûts, la place hiérarchique du propriétaire. Lorsque les affaires des djihadistes tournent mal, ils tentent d’extorquer une rançon à la famille des esclaves. Elles peuvent être contraintes à toutes les activités : sexuelles, domestiques, économiques. Elles sont au service du djihadiste, mais aussi de ses femmes légitimes et de leurs enfants. Non seulement elles n’ont aucune liberté, mais nombre de djihadistes associent leur jouissance à un protocole de soumission, ponctuelle ou permanente. L’enfermement, les coups, les viols à répétition, tel est le sort des esclaves sexuelles. Les femmes légitimes des djihadistes sont atteintes d’une perversité dont témoignent les anciennes esclaves et qui continue à se manifester aujourd’hui dans les camps.

La pédophilie

A la puberté, les filles esclaves sont à la disposition des djihadistes qui, d’après les témoignages des femmes yézidies, n’attendent pas. Avant la puberté, les rapports sexuels ou la jouissance sans rapports sont aussi autorisés comme l’explique le manuel « Questions et réponses sur la capture et les esclaves » destiné au parfait djihadiste. Autrement dit, le califat d’Abou Bakr est le paradis sur terre des pédophiles.

« Rosita sera trimballée à Rakka, Boukamal, Al Mayadeen…Revendue elle sera de nouveau violée par un autre chef : Abou Jalibib. Un homme obèse qui jouira d’elle ligotée alors qu’elle a seulement 12 ans. »

« Sipan a été kidnappée à l’âge de 14 ans…Les premiers mois de son esclavage, elle est battue, frappée, ligotée. Comme les autres Yézidies. L’âge préféré des clients ? De 10 à 14 ans. On les maquillait, on les préparait. »

« Quant à Riham, sa petite sœur, elle croit l’avoir perdue à tout jamais. Jusqu’au moment où elle apprend, comme toute sa famille, qu’elle était l’esclave sexuelle d’Abou Bakr al Baghdadi, à 12 ans. »

On découvre ainsi que le grand homme des djihadistes, outre d’être un tortionnaire, un génocidaire et un violeur psychopathe, était un banal pédophile. Sipan, qui fut sa victime résume ainsi la personnalité du calife: « Ce n’est pas un homme, mais un monstre…C’est un terroriste. Dangereux. Un homme sans humanité. Un homme qui viole trois femmes par jour. »

Kamel Daoud regrette « qu’en France les scoops d’Al Arabiya [aient] trouvé peu d’écho. »

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